26 décembre 2011

Évocation musicale


Dans la littérature, j'aime particulièrement les évocations musicales. Si celles-ci concernent le dernier album de P.J. Harvey, dont j'ai amplement parlé ici, alors le bonheur n'est que plus grand.
« Je tendais soudain l'oreille car ils passaient The Glorious Land de P.J. Harvey. Je tendis l'index vers le plafond. « Cette fille est incroyablement bonne », fis-je en secouant la tête. Je fermai les yeux et me concentrai quelques instants. « Vous avez tort de ne pas me croire, fis-je en lui prenant la main. Je viens d'avoir quelques journées éprouvantes et vous êtes en train d'effacer tout ça. » On entendait à présent On Battleship Hill - de quoi tomber à la renverse. »
Philippe Djian, Vengeances, p. 105

23 décembre 2011

Top littérature et musique

Comme tous les bilans de fin d'année, cet exercice est loin d'être objectif et surtout complet, puisque, bien entendu, je n'ai pas lu le centième de ce qui méritait d'être lu. Idem pour la musique. Mais ça résume un peu ce que j'ai aimé cette année. L'ordre des livres/disques/concerts est aléatoire, il n'y a pas de classement particulier. Sauf peut-être pour PJ Harvey, que j'ai écoutée presque chaque jour depuis sa sortie... D'où sa place en numéro 1.

Mon top littéraire 
1 - Il pleuvait des oiseaux - Jocelyne Saucier - XYZ
2 - Paul au parc - Michel Rabagliati- La Pastèque
3 - La grande maison - Nicole Krauss - Éditions du Boréal
4 - La concordance des temps - Evelyne de la Chenelière - Leméac
5 - La nuit sur les ondes - Elisabeth Hay (paru en 2007 en anglais mais traduit en 2011) - XYZ
6 - Apocalypse bébé - Virginie Despentes - Grasset
7 - Gaston Miron, la vie d'un homme - Pierre Nepveu - Éditions du Boréal
8 - Vengeances - Philippe Djian - Gallimard
9 - Asterios Polyp - David Mazzuchelli- Casterman
10 - Renée - Ludovic Debeurme - Futuropolis

Mon top musical
1 - Let England Shake - PJ Harvey
2 - Father, Son, Holy Ghost - Girls
3 - Metals - Feist
4 - Trame sonore de Belles-Sœurs, théâtre musical mis en scène par René Richard Cyr, d'après la pièce de Michel Tremblay - Daniel Bélanger (bon, je sais, le disque est sorti en 2010)
5 - St-Logan/Maurice - Antoine Corriveau
6 - Hypernuit - Bertrand Belin 
7 - La désert des solitudes - Catherine Major
8 - Variations fantômes - Philippe B
9 - Danger Mouse et Daniele Luppi - Rome
10 - Monogrenade - Tantale
11 - Anna Calvi - Anna Calvi

Concerts 2011
1 - Sophie Hunger - L'Astral, Montréal, le 29 avril 2011
2 - Patrick Watson et Timbre Timber - St-Jean sur Richelieu le 25 mars 2011
3 - Jimmy Hunt - Musée d'art Contemporain et Lavaltrie (version duo) - 4 et 18 mars 2011
4 - Katie Moore - Théâtre de verdure - 5 août 2011
5 - Monogrenade - La Tulipe - 23 novembre 2011

Mentions spéciales au concert-hommage à Lhasa, aussi spectacle de danse, à la 5e salle de la Place des arts, le 12 novembre dernier. Et bien sûr au spectacle Belles-Sœurs, vu à St-Jérôme le 7 octobre 2011.

Et le cinéma ?
Une bonne brassée de films dernièrement me donne envie de faire cette liste :
1 - La piel que habito - Pedro Almodovar
2 - La guerre est déclarée - Valérie Donzelli
3 - La fée - Dominique Abel et Fiona Gordon
4 - Les rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch - Anne Linsel et Rainer Hoffman
5 - Melancholia - Lars von Trier
6 - Monsieur Lazhar - Philippe Falardeau
7 - Le vendeur - Sébastien Pilote

13 décembre 2011

La saison froide

La saison froide, Catherine Lafrance, Éditions La Presse, 2011

Le récit de Catherine Lafrance constitue le premier roman publié par les Éditions La Presse. Celles-ci se spécialisent dans les livres grand public, entre autres les ouvrages pratiques. Leur catalogue comprend des titres diversifiés incluant plusieurs best-sellers. 
En tant que fiction, La saison froide s'adresse donc à ce public qui veut apprendre quelque chose tout en se divertissant. 
À cet égard, le premier roman de la journaliste Catherine Lafrance atteint son objectif.
Elle nous conte l'histoire d'une femme qui décide, après une rupture douloureuse, de partir travailler à Yellowknife, la capitale des Territoires du Nord-Ouest. Elle quitte la canicule pour le grand froid, le Sud du Québec pour le Grand Nord mythique et fantasmé par de nombreuses personnes.
Catherine Lafrance nous offre une belle description du quotidien nordique, de la mentalité des gens qui se battent continuellement contre le froid et les éléments naturels. En effet, on peut se demander qui, de prime abord, irait vivre dans un endroit où il fait presque nuit six mois par année? Où le lac devient si gelé qu'on y aménage des routes qui serviront pendant l'hiver? Où des gens meurent de froid devant leurs portes parce que trop ivres pour trouver la serrure et rentrer chez eux après une soirée un peu trop arrosée?
Qui sont ces gens venus à Yellowknife pour gagner de l'argent, parfois beaucoup d'argent (grâce au travail dans les mines entre autres), et qui n'en repartent plus?
Qu'y trouvent-ils?
Tous ces aspects sont abordés par l'auteure qui n'a pas de réponse toute faite mais qui nous présente souvent le Grand Nord comme un lieu imprévisible, autant dans la vie quotidienne que par les rencontres qu'on y fait, et un lieu où la chaleur des gens vient compenser la froideur de l'air. Car il fait froid, à Yellowknife, et l'on frissonne souvent à la lecture du roman.
« La ville baigne dans le froid, aujourd'hui encore. La ville n'est que froid. La couche de frimas qui s'est formée sur les arbres nus il y a des semaines, au début de l'hiver, est toujours là. Des flocons amidonnés, compacts et glacés, se sont agglutinés aux branches, collant à elles comme une deuxième peau. » (p. 96)
Et les relations y sont aussi parfois rudes, comme le montrent les nombreuses oppositions et incompréhensions entre les Southerners et les Northerners. Dans un environnement aussi brut, comment peut-il en être autrement ?

La saison froide se rapproche du livre d'Elizabeth Hay La nuit sur les ondes, dont j'ai parlé il y a quelques mois et qui se déroule également à Yellowknife. 
Ces deux romans apportent un brillant éclairage pour qui s'intéresse à la mythologie nordique et souhaite en savoir plus sur un territoire du Canada peu connu, y compris des autres Canadiens.
 
Sur le plan de la structure, La saison froide se découpe un peu comme un scénario de cinéma. Quand on sait que Catherine Lafrance est également scénariste de séries télévisées, on comprend mieux son aisance dans ce domaine. La compréhension de certains éléments arrive progressivement, par de nombreux retours en arrière entrecoupés de courts passages dans le présent. Cette structure peut être un peu difficile à suivre par moments et il vaut quasiment mieux lire le livre d'un seul coup pour ne pas se perdre.
Mais à la manière d'une série que l'on suivrait chaque semaine, on est tenu en haleine par un suspense très bien mené. La première (trop?) longue scène – qui se déroule dans un bar – permet de situer tous les lieux et les personnages, notamment la meilleure amie de l’héroïne, Jill, libraire joyeuse.
Puis, le récit nous permet également de découvrir l'environnement de travail de notre protagoniste, qui est journaliste à Radio-Canada. Elle doit couvrir pour son travail une Commission de vérité et de réconciliation sur les pensionnats indiens. Ces passages ouvrent le roman sur un aspect politique qui aurait pu d'ailleurs être davantage élaboré pour nous éclairer sur certaines particularités du Grand Nord.
D'autant plus que l'auteure Catherine Lafrance connaît bien son sujet puisqu'elle anime une émission de radio sur la CBC sur les enjeux nordiques.
Les histoires d'amour de Jill et de notre héroïne ont été secondaires pour moi, même si la fréquentation de ces hommes "de la place" apporte une autre perspective sur les relations humaines dans ces contrées difficiles.

D'un point de vue stylistique, l'auteure a une belle plume et elle la déploie souvent efficacement, même si l'on sent parfois le travail appliqué de la bonne élève. Par exemple, les fréquentes oppositions, surtout à la fin du roman, lors de la rencontre avec les deux hommes mennonites dans le bar, entre l'état présent de l’héroïne (« Pourquoi suis-je fatiguée tout à coup ? ») et le passé avec Sean (« Pourquoi Sean ne pouvait-il dormir cette nuit-là ?» p. 240) sont quelque peu redondantes et prévisibles. Mais ces oppositions continuelles entre le passé et le présent répondent à la structure souhaitée du récit. Celui-ci devient donc très vivant, on ne s'y ennuie pas, même si certains passages auraient pu à mon avis être raccourcis (le voyage en motoneige pour aller au chalet par exemple). L'auteure s'efforce également de mettre beaucoup de couleurs à son récit, au sens propre comme au figuré : « Elle avait des cheveux bruns qui effleuraient ses épaules, une frange impeccablement droite sur le front, juste au-dessus de ses lunettes à monture rouge, une longue jupe noire et une blouse blanche immaculée.» (p. 25)

On se laisse facilement entraîner dans cet épisode de la vie de cette femme qui laisse tout derrière elle et part sans préjugés vers une contrée inconnue. C'est l’œil neuf, parfois naïf, qui est le plus intéressant et nous permet de vivre avec elle cette grande aventure humaine.

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Trentemøller, Shades of Marble (Into the Great Wide Yonder, 2011). Après avoir vu La piel que habito, d'Almodóvar, je me suis jetée sur cette musique envoûtante à écouter à fond les ballons.  Ah, ça fait du bien...

28 novembre 2011

Mile End

Mile End, Michel Hellman, Éditions Pow Pow, 2011

Le bédéiste Michel Hellman, que j'ai rencontré lors du dernier Expozine, me disait vivre encore aujourd'hui dans le Mile End, au dessus du Wilensky, et d'après lui, le désormais célèbre (la faute à Arcade Fire, entre autres...) quartier de Montréal est en train de changer.

C'est ce que l'on peut voir dans sa nouvelle bande dessinée intitulée tout simplement Mile End, et publiée aux Éditions Pow Pow, toute nouvelle maison d'édition québécoise, qui se définit ainsi sur son site : « Nous sommes une nouvelle maison d’édition dans le monde de la bande dessinée québécoise. Tenter de définir une ligne éditoriale si tôt dans le projet serait se mettre des barrières que l’on devrait faire tomber par la suite. Passant de l’humour au drame, nos deux premières publications donnent un avant-goût du spectre de genres que nous voulons couvrir. Nous publierons des auteurs établis et ferons aussi découvrir de nouveaux talents au public québécois. Et nous avons bien l’intention de nous amuser et de vous surprendre. »

Mises à part quelques anecdotes vraiment inhérentes au quartier Mile End, l'ouvrage de Michel Hellman touche la vie de quartier en général, en se concentrant plus sur des spécificités québécoises (le ramassage des poubelles, le ramassage de la neige, la difficulté de l'hiver...) que sur des caractéristiques uniquement reliées au quartier Mile End.
Cependant, certains détails, des lieux, des personnages démontrent une réelle connaissance du quartier Mile End. Celui-ci est aujourd'hui réputé pour ses hipsters, ses groupes de musique, ses loyers désormais inaccessibles (le quartier a connu, tout comme le Plateau Mont-Royal voisin, une véritable gentrification qui n'est pas terminée), mais aussi ses institutions et sa population (Fairmount Bagels, Wilensky, les Juifs hassidiques). Tout cela, et plus encore, est bien évoqué et décrit dans la bande dessinée.
D'autre part, ces singularités québécoises, croquées par le dessinateur, nous font souvent rire et Michel Hellman se fait le témoin d'une époque presque révolue, en témoigne l'histoire de son ordinateur...
Le coup de crayon de Michel Hellman est très simple, subtil. Son souci du détail, sans lourdeur. Il se représente lui-même sous les traits d'un ours, anthropomorphisme offrant un clin d’œil à plusieurs auteurs de BD tels Trondheim.

J'ai adoré les premières pages qui résument en 20 cases la formation du quartier Mile End, en prenant quelques raccourcis qui en font un ensemble hilarant. Cela pourrait commencer ainsi : « Au début, la Terre n'était que feu, le Mile End n'était qu'un champ »...
Le regard assez original de Michel Hellman et sa façon d'illustrer les anecdotes cocasses de sa vie font de son deuxième ouvrage publié (après Iceberg, en 2010, publié chez Colosse, Jimmy Beaulieu Éditeur) une réussite.

Le site de l'auteur
Le premier livre de Michel Hellman et

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Geographer, Animal Shapes (Tricycle Records, 2011)

27 novembre 2011

Quai 31

Quai 31, Marisol Drouin, La Peuplade, édition et diffusion d'art, 2011

Petite maison d'édition basée à Chicoutimi, La Peuplade offre des ouvrages fort jolis, et des textes originaux venus de jeunes auteurs québécois. Notons la publication dernièrement du dernier roman de Bertrand Laverdure, Bureau universel des copyrights, qui n'en est pas à ses premières armes.

Marisol Drouin, originaire de la région de Charlevoix, signe quant à elle avec Quai 31 son premier roman. Celui-ci nous raconte l'histoire d'Échine et de sa mère, forcés de fuir une île submergée par les eaux et qui sont transportés, avec leurs semblables, par voie maritime, sur des terres plus accueillantes, ou devrais-je dire plus sèches. Parce que pour l'accueil, on repassera... La saleté côtoie le charcutage d'organes, les séances de masturbation collective, la chasse sauvage aux chats, la maladie, la froideur des sentiments et la ségrégation sociale (Haute-Ville / Basse-Ville). Roman presque d'anticipation, dans un futur peut-être pas si lointain, mais on espère que non, Quai 31 suit son personnage principal, Échine, qui rencontre Pinoche, Chirma, et toutes sortes de personnages trafiqués, transplantés, opérés, et évoluant dans des lieux glauques, au milieu desquels trônent des bocaux remplis d'organes humains.
Pas très joyeux tout cela me direz-vous ? Non, en effet, et c'est par moment encore bien pire. Mais je ne veux pas vous écœurer de ce curieux petit roman.
Il contient au contraire quelques trouvailles magnifiques et un rythme certain, sous une plume plutôt froide mais qui correspond à l'effet recherché. Les personnages sont en effet presque désincarnés dans ce roman, encore plus lorsque survient une étrange maladie appelée le tordu, malformation de la colonne vertébrale qui se répand comme une trainée de poudre et qui fait que ceux qui en sont atteints se recroquevillent sur eux-mêmes dans d'atroces douleurs jusqu'à en mourir. Notre ami Échine en est exempt grâce à une opération qu'il a "gagnée" avant d'être transporté dans son nouveau lieu de vie. Ce qui fait de lui, et de tous les autres "sans-terres", un suspect idéal à éliminer.
Le rythme de la narration est soutenu et les dialogues aiguisés, ce qu'imagine l'auteure a certaines résonances dans notre présent. Ce qui en fait un livre intéressant à lire et prometteur pour la suite. Même si l'avenir, sous la plume de Marisol Drouin, paraît bien incertain... 

Ma Mère en a parlé sur son site (Merci à elle pour le cadeau!)
Le blogue de l'auteure

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Keith Jarrett, The Köln Concert (ECM Records, 1975)

26 novembre 2011

Gaston Miron

Gaston Miron, la vie d'un homme, par Pierre Nepveu, Éditions du Boréal, 2011

Livre reçu dans le cadre de Masse Critique Québec, automne 2011

Dans cette imposante biographie, le poète, essayiste et professeur Pierre Nepveu se met totalement au service de son sujet pour livrer au lecteur curieux et avide d'Histoire la vie de Gaston Miron.
À travers la vie de ce poète célébré par tous, c'est toute l'Histoire du Québec qui se raconte, le Québec de la Grande Noirceur et celui de la Révolution Tranquille. Celui de la Crise d'Octobre et de tous les événements, aussi bien sociaux que culturels, qui ont bâti le Québec d'aujourd'hui.
En cela, Gaston Miron, la vie d'un homme, dépasse la simple biographie.
Les chapitres sont organisés par grandes thématiques, ce qui nous éloigne également du catalogage chronologique que l'on retrouve bien trop souvent dans la plupart des biographies.
La démarche de Pierre Nepveu se résume assez bien dans cette phrase, page 171 : « On ne saisit pas tout à fait le Miron poète si l'on n'y perçoit non seulement l'homme du folklore et de l'aventure scoute, l'apôtre des bonnes causes, mais aussi, jamais loin derrière, l'observateur critique, l'analyste social, le journaliste - si l'on ne voit pas que sous l'énergumène se répandant volontiers en pitreries, il y a un être diablement sérieux qui regarde à la loupe son milieu et en détecte les défaillances et les carences profondes. »
On comprend un peu mieux l'approche adoptée par le biographe : chaque aspect de la personnalité de Gaston Miron, qui est surtout connu par le grand public comme le poète national du Québec, est décortiqué et analysé.
Cela permet de relier en un seul homme des sentiments parfois contradictoires, ainsi que des valeurs et des inquiétudes qui ont traversé le Québec.
Nous côtoyons également les Gilles Carle et Hubert Aquin de ce monde, et assistons contemplatifs au génie de ces personnalités qui voulaient absolument changer les choses.
On retiendra entre autres de Miron son attachement aux Laurentides et au Nord, ainsi que sa difficulté de vivre une relation amoureuse en tant que jeune adulte, qui lui inspireront de nombreux poèmes, dont La marche à l'amour et La batèche. Pierre Nepveu ne cache pas dans sa biographie les difficultés de vivre de Miron, ni ses difficultés à créer. Ses premiers textes sont plutôt naïfs et simples, et le biographe n'hésite pas à pointer les erreurs de français ou les incohérences en inscrivant un (sic) entre parenthèses à côté de certains de ses vers... Mais on devine également l'attachement de l'auteur à son sujet, comment pourrait-il en être autrement quand on se consacre à quelqu'un de la sorte ? Quelle générosité de rendre un tel hommage à un artiste et un créateur québécois d'une telle importance, afin que son œuvre reste pour encore très très longtemps vivante dans la mémoire collective du Québec.

On se doute qu'une telle somme d'informations a demandé un énorme travail de recherche à Pierre Nepveu. Le projet est né il y a plus de 10 ans, et c'est grâce à des milliers de documents et de multiples rencontres, entrevues et lectures que l'auteur a réussi, après plus de six années d'écriture, à organiser sa biographie autour de grands thèmes, eux-mêmes intégrés dans une chronologie allant de 1928 - année de sa naissance - à la mort du poète en 1996.
Dans un style très riche et qui nous captive d'un bout à l'autre du livre, agrémenté d'annotations en fin d'ouvrage, d'un index précis et des incontournables photos biographiques, le livre de Pierre Nepveu, œuvre monumentale, restera à jamais la référence biographique sur le créateur de L'homme rapaillé, elle-même œuvre unique de toute une vie.

La nuit de la poésie, de  Jean-Claude Labrecque et Jean-Pierre Masse 
À écouter : Douze Hommes Rapaillés chantent Gaston Miron (Spectra, 2008)
À lire : le questionnaire de Mallarmé auquel Pierre Nepveu répond en se mettant dans la peau de Miron
Une belle critique de Tristan Malavoy-Racine dans le journal Voir

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Catherine Major, Le désert des solitudes (Spectra, 2011)

20 novembre 2011

Paul au parc

Paul au parc, Michel Rabagliati, Éditions La Pastèque, 2011

Image tirée du Journal La Presse, parution du week-end du 5 et 6 novembre

L'arrivée d'un nouveau Paul est toujours un événement, il n'y avait qu'à voir la file d'attente au Salon du livre ces derniers jours au stand des Éditions de la Pastèque pour s'en  convaincre... Particulièrement depuis Paul à Québec, Michel Rabagliati est une vraie star !
Dans le tout dernier de la série des Paul, l'auteur nous plonge dans le climat politique de 1970 (revendications du FLQ, Crise d'Octobre, etc.) grâce à une reconstitution minutieuse des détails historiques comme il sait si bien le faire. Fin observateur de son époque, chaque petit détail dans les dessins permet de situer plus précisément l'ambiance du moment, que ce soit dans la rue ou à la maison, avec ses parents, sa sœur qui se moque perpétuellement de lui, et surtout cette grand-mère parisienne qui vit dans l'appartement en face, sur le même palier, et qui s'immisce dans l'intimité de la famille, au grand dam de la mère de Paul.

À l'été 1970, l'organisation scoute à laquelle Paul va prendre part deviendra une deuxième cellule familiale d'importance pour lui. Encouragés par les animateurs scouts, qui à l'époque, n'avaient pas l'image dépassée qu'ils peuvent avoir aujourd'hui, ainsi que par la lecture du livre Comment on devient créateur de bande dessinée, de Franquin (créateur de Spirou et de Gaston Lagaffe) et Gillain (Tanguy et Laverdure), Paul développera ses talents artistiques (photo, dessin). 
Il passera également sa première nuit seul dans la forêt, découvrira la vie en communauté, avec sa sizaine les Bruns, et partagera les valeurs plus ouvertes et libérales de ses animateurs, qui tentent de se détacher des préceptes plus formels de Baden-Powell, fondateur du scoutisme, dans un contexte de modernisation du Québec.
Parallèlement au monde scout, Paul découvre aussi l'amour avec Hélène et sort tranquillement de l'enfance, sans grands heurts ni malheurs.
Dans cette atmosphère plus légère et anecdotique, la finale plus dramatique arrive de façon inattendue et nous permet de verser cette petite larme qui fait que les Paul sont des incontournables de la BD, capables de nous émouvoir, de nous faire rire, de nous toucher. Michel Rabagliati est un auteur toujours aussi sensible et qui sait traduire par un coup de crayon simple et reconnaissable entre tous toute une gamme d'émotions.

Les Éditions de la Pastèque (au bas de cette page, vous pourrez lire tous les articles consacrés au dernier Paul)
L'article du Devoir, par Fabien Deglise
L'article de La Presse, par Alexandre Vigneault

[Lætitia Le Clech]

15 novembre 2011

Danse Lhasa danse

Il est étonnant de ne rien lire dans les médias (si ce n'est des pré-papiers) sur l'événement Danse Lhasa danse de vendredi dernier à la cinquième salle de la Place des Arts. Même si ce spectacle ne sera pas reproduit, car il a été créé pour une soirée unique (peut-être aurons-nous des surprises ?), il m'apparait intéressant de souligner l'audace et la beauté de celui-ci. Danse Lhasa danse a été présenté dans le cadre de Coup de cœur francophone, en hommage à la magnifique Lhasa.

Regroupant pas moins de 25 personnes en tout, dont 6 chanteurs, le spectacle Danse Lhasa danse a été imaginé par l'artiste multidisciplinaire Pierre-Paul Savoie, qui a eu cette idée après la mort de Lhasa De Sela le 1er janvier 2010. Il a présenté ce projet atypique à Alain Chartrand, le directeur général et artistique de Coup de cœur.
L'idée était de fusionner la danse et la musique sans séparer les deux médiums artistiques. 
On peut dire que le pari a été réussi puisque la danse a littéralement "habillé" la musique de Lhasa, la rendant encore plus charnelle, presque vivante. Un magnifique tango, des corps qui se cherchent, se trouvent, roulent l'un sur l'autre, des danseurs qui se fuient, qui se retrouvent. Gumboots, danse contemporaine, flamenco, tango, tous ces styles se sont enchaînés avec bonheur.
Des six chanteurs, seuls Thomas Hellman et Bïa ont réellement connu Lhasa. Ils nous ont livré une performance tout en finesse et en émotions. Bïa pourrait être la petite sœur spirituelle de Lhasa par son intensité et la chaleur de son chant. Thomas Hellman a chanté et joué du banjo en laissant parler la musique.
Les autres chanteurs, Karen Young, à l'aise dans tous les registres, Alexandre Désilets (qui a également dansé avec Roxane Duchesne-Roy et qui a interprété avec brio trois chansons dont Con Toda Palabra, certainement l'une des plus connues de Lhasa, ainsi que De Cara A la Pared), Geneviève Toupin et Alejandra Ribera, une grande découverte (quelle voix!), ont tous été magnifiques de justesse. Ces chanteurs étaient accompagnés par Denis Faucher (piano, synthétiseur), Joe Grass (le seul ancien musicien de Lhasa présent, à la guitare), Sheila Hannigan (violoncelle) et Pascal Racine-Venne (batterie), sous la direction musicale de Philippe Brault (contrebasse).

Les 21 chansons très bien choisies pour leurs thématiques étaient parfois accompagnées d'explications, dites par Lhasa elle-même, moments d'intenses émotions. Quelques petites vidéos ont été présentées également, mais juste assez pour ne pas rentrer dans le "facile". On l'a aussi entendue rire, la belle Lhasa, et cet éclat de rire restera ancré en moi comme souvenir de cette chanteuse qui célébrait la vie autant qu'elle essayait de comprendre et d'accepter la mort.

À noter : un autre spectacle rendra hommage à Lhasa, avec quelques-uns des musiciens vus samedi soir dernier. Cela aura lieu au Rialto, le 6 janvier 2012, et vous pouvez vous procurer des billets ici. Cela promet d'être extraordinaire vu la liste des invités (Arthur H, Patrick Watson, The Barr Brothers...)...

"Son œuvre m’a transpercé et elle m’atteint là où le créateur veut prendre parole, déclare le fondateur de la compagnie PPS Danse. Je me sens comme un relais de la résonance qu’elle a eue en moi: je reprends le flambeau pour mettre son héritage en lumière. Comme le dit si bien Mario Légaré, son bassiste, Lhasa avait quelque chose de sacré. Elle chantait avec son âme. Donner une vision à ses chansons et les faire résonner à travers le corps est une belle façon de lui dire merci et de lui rendre hommage. Parce que la danse, c’est le langage de l’âme."(extrait de l'article de Fabienne Cabado du journal Voir)

Un article vient de paraître, qui apporte des informations supplémentaires sur le côté danse du spectacle.

[Lætitia Le Clech]

02 novembre 2011

Et au pire, on se mariera

Et au pire, on se mariera, Sophie Bienvenu, Éditions La mèche, 2011

Quelle belle surprise que cette nouvelle petite maison d'édition là ! La mèche, division de La courte échelle nous offre des livres beaux et agréables. Format parfait, douceur de la couverture, lettrage séduisant pour l’œil...

Et le contenu, qu'en est-il ? La maison d'édition attaque avec deux titres, La solde d'Éric McComber, et Et au pire, on se mariera, de Sophie Bienvenu.
Cette dernière, au Québec depuis une dizaine d'années, nous avait déjà livré les états d'âme d'un chien sur son blogue Lucie le chien, "adapté" en format livre par Septentrion, dans la collection Hamac (en même temps qu'Un taxi la nuit et Les chroniques d'une mère indigne). Elle a par ailleurs déjà exploré le monde de l'adolescence avec sa série jeunesse (k), parue à La courte échelle.
Dans son premier roman, l'auteure anthropomorphe crée le personnage d’Aïcha, jeune ado du Centre-Sud de Montréal, qui nous raconte son histoire. Enfin, à nous, ou plutôt à une travailleuse sociale. On devine un drame, la tension dans le récit s'intensifie, les mensonges d’Aïcha sont de plus en plus nombreux, sa colère de plus en plus forte.
Elle a dit tout doucement : « Mais Aicha... Il abusait de toi, c'était un sale type. »
Je voulais la tuer.
Tu sais, quand t'as l'impression que tu sors de ton corps, tellement t'as de la rage en dedans et qu'il n'y a plus de place pour toi-même ? Ben, c'est comme ça que je me suis sentie. J'ai crié fort et longtemps. (p.71)
C'est qu’Aïcha a fait la rencontre de Sébastien (Baz) et en est tombée amoureuse. Sauf que Baz a le double de son âge. Pour Aïcha, pas de problème, elle fera tout pour le séduire, sans que celui-ci n'entre cependant dans son jeu. À moins que...
Pourquoi des fois, tu donnes tout, tout, tout à quelqu'un, tellement tout qu'il te reste plus rien pour toi, même pas toi-même, et il en veut pas ? Il te crisse tout ça en pleine face, sans prendre la peine de t'expliquer, ou quoi. Juste en te tape-tape-tapant sur la tête avant de retourner gratter des tounes poches sur sa guitare de merde. (p.56)
Sophie Bienvenu utilise le langage adolescent de façon très précise. Si, au départ, on peut se demander comment elle s'en sortira pour que tournures de phrases ou expressions restent naturelles, on se rend compte qu'elle touche juste et incarne parfaitement cette adolescente brisée par la vie, qui énumère avec froideur ses drames personnels, comme si elle lisait une liste d'épicerie.
Par le biais de son personnage adolescent, unique narrateur de ce livre, l'auteure aborde des thèmes rarement traités par la littérature. Elle avoue d'ailleurs volontiers qu'elle voulait déranger le lecteur par ses propos et les thèmes abordés. Un de ses amis lui aurait même dit : « Je ne veux pas lire tes saloperies ». Une chose est sûre : ce ne sont certainement pas des saloperies, car il n'y a aucune perversion dans Et au pire, on se mariera. Juste une très jeune femme qui n'a jamais appris comment elle devait aimer et être aimée. Une très jeune femme qui commet l'irréparable pour ce qu'elle croit juste, parce qu'elle est toute croche.
Et Sophie Bienvenu réussit dans ce court récit à nous happer dans le quotidien d’Aïcha et à nous accrocher à sa souffrance.

Entrevue avec l'auteure dans La Presse, par Chantal Guy
Le site de Sophie Bienvenu 

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : la folie de Camille, avec son dernier album Ilo Veyou, paru chez EMI il y a 15 jours

22 octobre 2011

La chute de Sparte [AJOUT]

La chute de Sparte, Biz, Éditions Leméac, 2011

Quatrième de couverture :
Steeve, grand lecteur, féroce critique de la société, raconte sa dernière année de secondaire marquée par la mort du quart-arrière des Spartiates, l'équipe de football de l'école Gaston-Miron.

La chute de Sparte ressemble à son auteur : drôle, cultivé, aux opinions fortes, aux désirs vifs, et dont la passion pour l'Histoire confère au récit une profondeur insoupçonnée. Son narrateur rejoint, par son esprit agile et caustique, ces grandes figures adolescentes à l'esprit torturé qui s'apprêtent à quitter l'enfance pour une aventure adulte pas piquée des vers...

Dans son article du Journal Voir, le journaliste Dominic Tardif sous-entendait que les adolescents auxquels s'adresse le roman de Biz ne seraient pas touchés par son propos. J'ai voulu tenter l'expérience avec un ado de mon entourage en lui faisant lire le roman et en lui proposant de m'écrire ses impressions. Son enthousiasme à la lecture des premières pages fut tel qu'il a achevé les 165 pages du roman en seulement quelques jours et qu'il m'a écrit son texte immédiatement.

Le voici :

La chute de Sparte est un livre écrit par Biz, le chanteur du groupe Loco Locass. Je l’ai adoré car il s'agit d'un livre qui combine humour, joie, noirceur et tristesse. C’est selon moi le juste milieu d’une vie normale. En effet, tout être humain a des hauts et des bas. 
C’est aussi l’image parfaite d’un adolescent. Un adolescent est souvent révolté et veut toujours avoir du plaisir. Mais quand une vérité sort ou quand on lui met le nez dans son caca, ça lui fait prendre conscience des choses. Ce qu’il n’aime pas faire. Comme de se retrouver face à la bêtise des autres, et donc face à la sienne en quelque sorte.
De plus, Steeve et son ami Samir ont souvent des discussions avec les parents de Samir, et ils parlent de sujets qui nous touchent. Par exemple, dernièrement, en sortant du cours d'histoire, on a parlé de la souveraineté du Québec avec mes amis. La défense de la langue française est aussi un sujet qui nous préoccupe et on en parle souvent entre nous.

Les traits psychologiques comme physiques des personnages sont mis en valeur et ça donne un côté chaleureux au livre. Comme si nous avions vu les scènes. J’ai aussi aimé le fait qu’il y ait plusieurs éléments déclencheurs : entre autres, la colère de Maxime Giroux et la mort de MSA. Ces deux éléments déclencheurs amènent du piquant à l’histoire, ce qui fait que l’on reste encore plus accroché au livre.
La bagarre avec Maxime Giroux m'a fait penser à ce qui arrive parfois dans mon école. Certains élèves se battent souvent à cause du racisme ou de la jalousie. Il faut dire qu'il y a beaucoup de bandes qui se forment naturellement selon les classes sociales ou la culture. Pour cet aspect, le livre est très réaliste.
En ce qui concerne l'homosexualité, il y a plusieurs élèves à l'école qui se disent bisexuels ou homosexuels, et personne ne les ennuie avec ça. Par contre, le mot "fif" comme insulte (Pour les lecteurs de la France, le mot "fif" est l'équivalent de "tapette") est toujours très populaire, mais ne pointe pas précisément l'orientation sexuelle de la personne visée par l'insulte. C'est un mot fourre-tout.

Quand on rentre dans ce livre de 165 pages, on veut juste qu’il dure éternellement. Pour y ajouter du piquant, on aurait bien aimé que la relation entre la prof de français et Steeve se développe un peu plus, qu'elle l'encourage plus encore ou qu'il ose lui avouer son amour.
Mais la fin du livre est très optimiste, on sait que Steeve a fait le bon choix et qu'il réussira.

Bravo Biz!

[Théo-Paul Petit]

Alors qu'un jeune de 15 ans vient à nouveau de mettre fin à ses jours parce qu'il se faisait écœurer à l'école à cause de sa bisexualité déclarée, le livre de Biz tombe à point et offre je crois une belle ouverture sur un monde adolescent intelligent, qui évoque aussi ces troubles, ces malaises, ce mal-être propre à l'adolescence mais qui accorde une réflexion contrastée, plus poussée, plus sensible à la différence. Cela change de l'image que la plupart des gens ont des jeunes, et en cela, Biz a bien saisi (ou s'est bien remémoré sa propre adolescence !) tous les contrastes qui traversent la vie de nos adolescents.
Il est certain que le narrateur - quand on connaît un peu Biz comme orateur (il a notamment officié régulièrement cet été dans l'émission On aura tout lu, et les débats étaient parfois houleux!) et comme chanteur des textes de Loco Locass - nous fait penser à son créateur, avec ses idées (notamment au sujet de la souveraineté du Québec) et son ton.
Mais l'environnement dans lequel évolue Steeve, son école secondaire, sa famille, ses amis, tout cela a particulièrement touché notre chroniqueur d'un jour !
Et vous, avez-vous aimé La chute de Sparte, de Biz ?

[Lætitia Le Clech]

Petit ajout : une entrevue avec Biz aux Francs-Tireurs, sur Télé-Québec. Passionnant !

Humeur musicale : Girls, Father, Son, Holy Ghost (Turnstile, 2011). Magnifique, planant, à la fois profond et léger comme l'été...

08 octobre 2011

Belles-Soeurs

Belles-sœurs, théâtre musical, d'après Les Belles-Sœurs, de Michel Tremblay, Livret, paroles et mise en scène de René-Richard Cyr, Musique de Daniel Bélanger




Vu à la polyvalente de Saint-Jérôme, le 7 octobre 2011

Pour la petite histoire : 
Germaine Lauzon a gagné un million de timbres-primes, qui lui permettent de se procurer des objets divers qu'elle choisit dans un catalogue. Afin de coller tous ces timbres, elle invite chez elle ses sœurs, belles-sœurs, amies et voisines à l'aider. L'ambiance dégénère rapidement à cause de la jalousie de ces femmes.

Nul besoin de publiciser l'adaptation du chef-d’œuvre de Michel Tremblay, mise en scène par René-Richard Cyr, en musique par Daniel Bélanger, et interprétée par des comédiennes toutes plus formidables les unes que les autres. En effet, les critiques sont toutes plus que dithyrambiques et il est presque impossible de trouver des billets pour l'une des dates proposées durant l'année 2011-2012...
« Un ravissement total, une grande réussite [...] On a beau vouloir mesurer ses propos, restreindre ses emportements... Rien n'y fait ! Devant un objet aussi exceptionnellement abouti, on ne peut s'empêcher de crier au génie.»
Christian St-Pierre, Voir
« Un grand show populaire, un irrésistible party. La qualité du jeu d'ensemble des 15 comédiennes est impressionnante. le spectacle mis en scène par Cyr a du rythme et de l'âme. Bref, le pari est relevé avec brio.»
Marie Labrecque, Le Devoir

Réunissez trois génies, Michel Tremblay, René-Richard Cyr et Daniel Bélanger qui unissent leurs forces et développent avec leurs compétences et leurs talents propres une pièce qui transcende le théâtre et la comédie musicale, qui fait vivre un monument de la culture populaire québécoise, en y faisant chanter, qui plus est, des actrices au talent immense.
Une mention spéciale pour Maude Guérin, qui, par sa seule présence, sans ouvrir la bouche pendant la moitié du spectacle, dégage tout un personnage... Mais toutes sont extraordinaires. Au niveau du chant, leurs voix s'unissent harmonieusement et soutiennent les textes parfois drôles, parfois durs, toujours justes. Mon accompagnatrice a été subjuguée par la voix de Kathleen Fortin (que l'on a vue entre autres dans Les invincibles et dans Nelligan).

Cette pièce de théâtre musical donne envie de chanter et lorsqu'elle se termine, on en veut encore et encore...

À voir absolument si des dates s'ajoutent ou que des amis vous proposent leurs billets ! 
(D'ailleurs si quelqu'un qui lit ce billet a des places à me proposer, je suis preneuse...)

Le site Internet de Belles-sœurs

[Lætitia Le Clech]

En écrivant ceci, j'écoute le disque Belles-sœurs !

02 octobre 2011

New York, New York

New York, 6e édition mise à jour par Annie Gilbert et Pierre Ledoux, Éditions Ulysse, 2011

Livre reçu dans le cadre de Masse Critique Québec, automne 2011

Critiquer un guide de voyage n'est pas chose aisée si l'on ne peut se déplacer sur les lieux qui sont évoqués.
Ainsi, en recevant dans le cadre de Masse Critique le guide Ulysse sur New York, mis à jour pour la sixième fois, j'aurais pu me retrouver le bec à l'eau. Mais il se trouve que, le hasard faisant bien les choses, nous avions prévu un petit week-end dans la Grosse Pomme. Je peux donc facilement me baser sur ces quelques jours et parcourir ce guide, qui me fera revivre une très belle fin de semaine.
Loin de moi l'idée de tout lire, je vais vous parler des endroits que j'ai visités, en comparant ma perception à ce que le guide en dit.

Tout d'abord, on remarquera que le guide Ulysse offre de belles cartes précises et nombreuses, ce qui est un must quand on n'arrive pas à mettre la main sur un plan correct une fois sur place.
Le guide est, d'autre part, bien séparé entre l'historique, le géographique, les renseignements plus généraux au début, puis les attraits touristiques, par quartier (à noter que tous les quartiers de New York sont inclus et pas seulement Manhattan), avec une bonne sélection de musées.
À ce sujet, une petite anecdote. Nous avions décidé d'aller visiter le Whitney Museum of American Art, histoire de changer un peu des MoMA et autres Guggenheim... Nous espérions y voir des toiles de Basquiat, Hopper et consorts. Mais le musée ne consacre finalement que peu d'espace à sa collection permanente, qui est si importante qu'ils ne peuvent pas toujours tout montrer et qu'ils changent régulièrement ce qu'ils présentent. Tout le reste correspond à des expos temporaires. Nous avons, grâce à cela, découvert un peintre que je ne connaissais pas : Lyonel Feininger. Par contre, nous n'avons vu aucun Basquiat... Alors avant de vous rendre à ce musée a priori fort intéressant, renseignez-vous sur ce que vous pourrez y voir. Nous étions assez déçus, étant donné le prix payé à l'entrée, surtout que nous n'en avions choisi qu'un, par manque de temps et de budget. Il vaut mieux, alors, se rabattre sur des valeurs sûres.
Concernant les attraits touristiques, tout le monde sait que New York en regorge et ce ne sont pas les activités qui manqueront. Elles sont ici toutes très bien regroupées.
Toutes les activités que nous avons eu le temps de faire sont même répertoriées dans les premières pages, intitulées "Le meilleur de New York". La High Line, la traversée du Brooklyn Bridge, une balade dans Central Park, la visite d'un ou deux musées sont des incontournables à New York. Vous n'avez qu'à choisir...

Dans une deuxième grande partie, on trouve tout ce qui concerne l'hébergement, la restauration et les sorties, toujours classés par quartier.
L'hôtel que nous avons fréquenté à Brooklyn n'est pas listé mais valait vraiment le coup, à la fois pour le prix et pour sa situation (150$ par nuit pour une chambre double privée avec salle de bains), à une vingtaine de minutes de Manhattan (station de métro à 3 minutes de l'hôtel). Il s'agit du Sumner Hotel, situé dans le East Williamsburg. Une de nos amies a logé à l'auberge de jeunesse The New York Loft Hostel, à Brooklyn, que j'ai pu visiter, et qui est vraiment très bien aménagée. Dortoirs tout neufs, déco moderne, personnel sympathique et souriant ! Les prix sont assez élevés mais l'amie qui logeait là y retournerait sans hésiter.
Vous trouverez sûrement votre bonheur dans tous les hébergements proposés dans le guide Ulysse, il y en a pour toutes les bourses. On sait que se loger à New York peut revenir très cher, alors en évaluant bien la manière dont vous voulez passer votre séjour dans la Grosse Pomme, vous trouverez un moyen pour que cela soit plus économique pour vous. Par exemple, si vous voyagez en groupe, vous pouvez trouver un appartement à louer, ce qui réduira beaucoup le prix consacré à l'hébergement. Ulysse cite plusieurs ressources Internet pour trouver un appartement temporaire. J'en rajouterai cependant une : le site Internet Housetrip, qui vous permet de trouver des appartements selon des critères très précis. Une mine d'or !

Encore une fois, Ulysse offre des cartes vers la fin du guide, en situant toutes les ressources (hôtels, restaurants, bars) évoquées dans le guide. Un plus.
Une taverne de Greenwich Village où nous sommes allés est référencée dans le guide : la White Horse Tavern, quartier général du poète Dylan Thomas (qui s'y évanouit en 1953 après avoir bu 18 whiskys, selon la légende), de Jack Kerouac et de Bob Dylan. Nous y avons pris une bonne bière dans une ambiance très américaine.

Aux grands magasins de Manhattan, nous avons préféré le marché aux puces de Brooklyn, où nous nous sommes délectés de toutes les bébelles possibles et imaginables. Un homme offrait même sur ce marché aux puces des "granola + Relationship Advice" (granola + conseil relationnel), ça ne s'invente pas, c'est New York...
Tous ces marchés aux puces et autres antiquaires et magasins spécialisés sont répertoriés dans le guide mais je n'ai pas trouvé la référence de ce marché aux puces de Williamsburg. Dommage, car en plus d'y trouver peut-être des objets hétéroclites, vous pourrez profiter d'une des plus belles vues de Manhattan qu'il m'ait été donné de voir durant ce séjour. Le quartier Williamsburg, absolument charmant, se trouve en effet sur les bords de l'East River.
À Brooklyn, on trouve aussi beaucoup de galeries artistiques, et nous avons eu la chance de participer au vernissage de quelques artistes dans l'une d'elles, The Invisible Dog.
Le lieu et les expos présentées valent le détour. Une très belle expérience.
Sans le savoir, nous avons dîné dans l'un des restaurants in de Brooklyn, le SEA, qui offre une cuisine thaïlandaise raffinée et peu chère, dans un décor très recherché. Le guide Ulysse en parle également comme un bon resto au style très new-yorkais.

Vous voulez aller à New York et les punaises de lit vous font peur ? Sachez qu'il existe un registre des punaises de lit, visible ici.
Je n'ai pas vu la mention des punaises de lit dans le guide Ulysse, mais bon, c'est sûr que ce n'est pas très vendeur...

En somme, un très bon guide sur New York, pour en avoir feuilleté plus d'un durant ce séjour, je le recommanderais vivement, et repartirai avec la prochaine fois. De plus, celui-ci est assez léger et peut donc se transporter facilement.
Quoi qu'il en soit, New York est un incontournable pour qui aime la vie urbaine, et on ne s'y ennuie jamais !

Alors, bon voyage !

Humeur musicale : Feist, Metals (Cherrytree / Interscope / Universal, 2011)

15 septembre 2011

Mon amoureux est une maison d'automne

Mon amoureux est une maison d'automne, Mara Tremblay, Éditions Les 400 coups, 2011

Mettons tout d'abord les choses au clair : Ce roman n'est pas une autobiographie.
«Pas du tout, répond la principale intéressée. Je me révèle beaucoup plus dans mes disques. Mes chansons sont toutes autobiographiques. Pour moi, la musique et la littérature, ce sont deux types d’écriture complè­tement différents. La première est connectée à mon cœur, à mes émotions, tandis que la deuxième est reliée à mon imagination. Je me suis mise dans la peau d’une autre personne. Je pouvais lui faire vivre ce que je voulais.»
Ce qui n'empêche pas d'avoir de la difficulté à "oublier" Mara derrière le personnage de Florence.
Florence, début quarantaine, mère de deux enfants qu'elle chérit plus que tout, est aux prises avec le deuil (sa mère vient de mourir), la maladie (elle est bipolaire), la rupture amoureuse (elle est séparée du père de ses enfants et a de la difficulté à se stabiliser auprès d'un homme). Elle se cherche, beaucoup, et la plume de Mara Tremblay décortique ses gestes et pensées quotidiennes, et nous fait vivre les montagnes russes que Florence traverse. Cela comporte ses qualités et ses défauts. Qualités pour le fond : l'évocation de la réalité d'une personne bipolaire, des agressions sexuelles que l'on tait bien trop souvent, et des troubles sexuels et affectifs découlant de ces drames.
Défauts pour la forme : le côté décousu et narcissique de l'exercice, la multiplication excessive du pronom personnel je, plaqué là pour nous relater le quotidien et les émotions souvent redondants de Florence. Malheureusement, ces défauts de style empêchent l'attachement au personnage, qui au lieu de nous attendrir, semble nous étouffer en même temps qu'il s’essouffle lui-même.
Ce récit s'apparente à un journal, comme le dit Nathalie Petrowski (voir le lien sur l'article ci-bas), au « journal d'une bipolaire ». Thérapie probablement bénéfique pour son auteure qui, en évoquant la mort de la mère de Florence et en l'opposant à la naissance de son deuxième enfant, tente de provoquer son propre travail de deuil, qu'elle avoue avoir du mal à faire. Si le titre nous laisse imaginer une œuvre poétique, il s'agit surtout d'un récit cathartique pour Mara Tremblay, et il nous donne l'impression d'avoir été écrit dans l'urgence et peu retravaillé par la suite. Ce qui aurait pu faire la différence entre un projet d'écriture et un objet littéraire.  

L'article (entrevue) de Nathalie Petrowski dans La Presse
L'entrevue à Plus on est de fous, plus on lit !

[Lætitia Le Clech] 

01 septembre 2011

Manabé Shima

Manabé Shima, Florent Chavouet, Éditions Philippe Picquier, 2010


Coup de cœur BD de l'été
Le Japon est tellement une île qu'il est un archipel.
Dans le catalogue japonais, on trouve des îles industrielles, des îles artificielles, des îles sacrées, des îles formol, des îles atoll, des îles balnéaires, des îles bleu-vert, des îles sauvages, des îles sans âge, des îles connues, Shikoku, et même des îles où l'on pêche et l'on boit.
Parmi ces miettes de terre, il y a Manabeshima, une île dont on parle peu, mais où poussent très bien les poissons.

C'est ainsi que nous est présenté le dernier ouvrage du bédéiste français Florent Chavouet, passionné de l'Asie et du Japon en particulier, qui a passé deux mois sur l'île de Manabeshima, à l'été 2009.
Il n'avait que 2 000 euros en poche, et a souvent dû troquer ses dessins contre des services divers...
Il a dessiné et relaté le quotidien de cette petite île de pêcheurs traditionnels, dont la population décroît, contrairement à sa voisine Shiraishishima, qui se peuple chaque été de nombreux touristes balnéaires.
Florent Chavouet nous offre une vraie cartographie de l'ile de Manabeshima, nous proposant même une magnifique carte grand format du village de Honmura, insérée à la fin du livre.
Déjà créateur de Tokyo Sanpo (Promenades à Tokyo), que je me promets de lire bientôt (et qui a reçu le Prix Ptolémée 2009 au Festival international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges), Florent Chavouet parcourt actuellement la Corée du Sud et le Japon, à vélo, et il se trouve en ce moment même à... Manabeshima ! Quelle coïncidence...
Là-bas, il a probablement retrouvé tous ses amis, rencontrés lors de son séjour, et qui l'ont accueilli presque comme un membre de leur famille. Dans l'ouvrage de Florent Chavouet, nous faisons leur connaissance en lisant leur quotidien, dessiné avec un souci du détail étonnant. Les représentations des habitations - en particulier - sont saisissantes, tant il y a des détails à regarder et d'explications à lire. J'ai souvent retourné le livre pour ne perdre aucun élément présenté, ce qui m'a un peu rappelé l'ouvrage Feuille de chou, de Matthieu Sapin, sur le tournage du film de Joann Sfar, Gainsbourg, vie héroïque.  Mais la comparaison s'arrête là car les deux ouvrages n'ont rien à voir au niveau du style.

L'auteur nous relate le quotidien d'un petit village ordinaire, avec un humour souvent subtile, parfois décapant. Tout le monde y passe, y compris les chats du coin, et nous avons même droit, p.62-63, à une "Géopolitique de la griffe", où l'auteur nous explique les territoires et lieux de bataille de nos amis félins.
Ses dessins sont d'ailleurs très réalistes et ressemblent souvent à des photographies. Représentations des hommes, des chats, mais aussi de la nature, des plantes, de la nourriture, et des poissons, entre autres. Florent Chavouet, en plus d'être un géographe, un cartographe et un sociologue, se fait naturaliste, et s'approche en ce point du travail artistique de Taniguchi, dont le travail minutieux de représentation de la nature (notamment les arbres et la montagne) m'a toujours fascinée. L'arbre dessiné en p.82 - que je ne peux malheureusement pas vous montrer - est magnifique.

C'est finalement l’œuvre profondément humaniste d'un homme curieux, ouvert à l'Autre, qui nous fait découvrir avec passion un pays qu'il aime visiblement, et qu'il nous donne surtout envie d'aimer à notre tour, et de visiter. Florent Chavouet, comme nous le prouve son périple actuel à bicyclette, est un aventurier baroudeur comme il ne s'en fait presque plus (on pense à Nicolas Bouvier), et il nous fait partager, grâce à son don pour le dessin, ses observations simples, mais jamais simplistes, sur la condition humaine dans des contrées lointaines.

Le site de l'auteur
Un très bon article sur le site Cafés géographiques
Une entrevue de l'auteur

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : poc...poc...poc...poc...poc...poc...POC (tournoi de tennis US Open oblige...)

21 août 2011

La grande maison

La grande maison, Nicole Krauss, Éditions du Boréal, 2011

Le dernier roman de la brillante auteure Nicole Krauss donne le vertige, par son ambition, sa complexité narrative, la lecture attentive qu'il nous impose. Roman exigeant, à l'histoire qui se déploie dans plusieurs directions, à différentes époques, dans différents pays, cette œuvre de la New-Yorkaise est éblouissante à plusieurs égards.

L'histoire nous transporte de New York à Londres en passant par Jérusalem. Un énorme bureau d'acajou, aux multiples tiroirs, dont un seul ferme à clé, sert d'écritoire à une auteure américaine, Nadia. Une jeune femme, Leah, contactera la femme pour récupérer le bureau de son père, Daniel Varsky, un poète chilien assassiné, qui avait légué ce bureau à Nadia. Mais devant le trouble que l'absence de ce bureau provoque chez elle, Nadia décide de partir à Jérusalem, afin de retrouver la jeune Leah.
Nous rencontrons également Yoav, le frère de Leah, jeune homme mystérieusement traumatisé par son père, le collectionneur d'art Weisz, qui recherche des objets que les gens ont dû abandonner à cause de la guerre. Le fameux bureau est peut-être l'un de ces objets.
Nous lisons aussi la confession d'un père à son fils, parti étudier et vivre à Londres et qui exercera comme brillant avocat puis juge, tout en voulant devenir écrivain. Un père plein de regrets et qui souhaite se rapprocher de son enfant.
Et nous verrons aussi comment un homme se rendra compte que sa femme lui a caché tout un pan important de sa vie et quel traumatisme révèlera cette découverte.
Tous ces destins se recoupent, d'une façon ou d'une autre, et les ficelles se démêlent à la fin du récit. Ces destins brisés, abimés par la guerre, par la solitude, par le deuil, déroulent le fil de leurs vies riches, qui trouvent toutes leurs points d'ancrage dans la transmission, l'héritage. Ils sont tous en réaction face à leurs traumatismes propres.
L'auteure explique en effet :
« Mes livres abordent tous la façon dont chacun réagit à une catastrophe, qu'il s'agisse comme dans La Grande Maison de la Shoah, de la dictature chilienne ou de la guerre de Yom Kippour. Et ce qui m'intéresse en effet dans cette réaction au pire, c'est la façon, chez ceux qui y ont survécu, dont ils ont dû se réinventer eux-mêmes, souvent à travers des réinterprétations radicales du passé, une réécriture de leurs souvenirs. »
Les lecteurs qui s'accrocheront pour suivre le fil conducteur de cette histoire, qui exige que l'on se laisse emporter dans cette œuvre monumentale, que l'on fasse entièrement confiance à son architecte, qui, par son écriture si fine, si précise, évocatrice comme rarement, nous permet de toucher à l'essence même de l'humain, ceux-là s'orienteront vers ce dernier commentaire, et partageront une expérience de lecture totale.
Nicole Krauss nous pousse dans nos retranchements, dans nos fragilités, et ses personnages nous habitent longtemps après la lecture de son roman. Elle nous pousse aussi à nous abandonner dans les bras de Dame Littérature, et nous transmet son amour des livres et des mots.
À la fois suspense inquiétant autour d'un bureau, qui nous apparaît quasiment magique (il est source de l'inspiration de l'auteure du premier chapitre, son absence entraînant la panne sèche et le syndrome de la page blanche), et que l'on recherche dans tout le roman, et drame psychologique qui nous entraîne sur les rives de la Shoah, avec toutes les questions sur l'identité et la mémoire que cela implique, La grande maison (Great House), complexe et riche, ne peut laisser personne indifférent.
Après L'histoire de l'amour, dont j'ai parlé ici, Nicole Krauss nous offre un roman plus complexe, moins drôle, mais les thématiques qui traversent les deux livres se rejoignent, et on y trouve le même amour que l'auteure a pour la vie et la littérature.
Devant ce colossal travail et cette brillante et approfondie réflexion, je m'incline.
« Le seul lieu auquel j'appartiens, c'est l'espace du livre que j'écris. Un lieu fictif que je reconstruis. »
Nicole Krauss

Une critique à laquelle je m'identifie pleinement
Une rencontre avec Nicole Krauss, à écouter absolument. Elle nous parle du processus d'écriture, entre autres
Vous pouvez aussi lire cette entrevue dans les Inrockuptibles

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Tinariwen, Tassili (V2, 2011). Tinariwen sera en tournée nord-américaine en novembre, et ce sera Sophie Hunger qui fera ses premières parties ! Surveillez les dates ici

02 août 2011

Into the Wild

Into the Wild, Jon Krakauer, Anchor Books, 1996 (lu en anglais)

Un an après en avoir débuté la lecture, j'ai enfin achevé Into the Wild de Jon Krakauer. Non pas que ce livre soit inintéressant, mais l'aspect aventure qu'il instaure en fait un objet de route, que j'emmenais dans mes différents périples et que je rangeais à mon retour à la maison...
Mon plus récent voyage, dans la sauvage Nouvelle-Écosse, m'a replongée dans ce Wilderness typiquement nord-américain.


The solitude and total freedom of the wilderness created a perfect setting for either melancholy or exultation.
Roderick Nash, Wilderness and the American Mind
Cette nature sauvage a attiré et continue d'attirer de nombreux jeunes, surtout des hommes, sur les routes du globe, à la recherche d'un monde meilleur, et d'une façon de vivre différente. Attirance typiquement occidentale, pour le retour à une vie plus proche de la nature, plus proche de ce que l'on est réellement.

Christopher McCandless est l'un de ces jeunes hommes.
En 1992, Jon Krakauer, alors journaliste pour le Outside Magazine, est chargé d'écrire un article sur la mort d'un jeune du nom de Christopher Johnson McCandless, dont le corps décharné vient d'être retrouvé en Alaska.
Fasciné par cette histoire, hanté par le jeune homme, le journaliste tente de comprendre ce qui a pu conduire ce jeune à finir sa vie de cette façon. Dans une enquête très poussée, Jon Krakauer dresse le portrait d'un jeune éduqué, intelligent et sensible, issu d'une famille plutôt stable malgré certains mensonges découverts par Christopher qui l'opposeront à son père. Refusant la vie qui lui est offerte, Christopher décide de quitter cette société qui ne lui convient plus, il souhaite se couper du monde matériel et de son entourage, pour tenter une expérience solitaire qui le mènera au bout de lui-même.
Dans son journal, Christopher McCandless, qui s'est rebaptisé Alexander Supertramp, ne parle pas de suicide, ni de volonté de passer toute sa vie dans la nature sauvage.
Il envisage plutôt un retour à la société, après une expérience de quatre mois qui lui permettrait de vivre un rêve qui l'habite depuis qu'il est tout petit.
Influencé par de nombreuses lectures, qui l'accompagnent durant ses différents voyages, antérieurs à son voyage final en Alaska, tels les écrits de Henry David Thoreau (Walden ou la vie dans les bois), McCandless semble tout de même avoir la tête sur les épaules, malgré un tempérament fougueux et imprévisible.
Bien sûr, le jeune homme possède ses contradictions, et sa naïveté étonne parfois. Comment penser par exemple qu'après avoir tué un orignal, on peut le conserver plusieurs jours en le fumant comme le faisaient les Indiens d'Amérique ? Et cela, sans l'avoir pratiqué avant ? Sa candeur et son comportement parfois mutique et déconnecté suggèrent  des troubles mentaux. Son dédoublement de personnalité dans ses écrits pourrait renforcer cette impression. Mais d'après l'auteur, il n'en est rien, ou, en tout cas, il n'y a pas assez d'éléments pour confirmer cette thèse.
Durant son enquête, Jon Krakauer a interviewé de nombreuses personnes ayant côtoyé le jeune homme, de sa sœur (de qui il était très proche), à ses amis du secondaire, en passant par des voyageurs, qu'il a croisés durant ses pérégrinations. En effet, Christopher McCandless, avant d'aboutir en Alaska, a erré durant plusieurs mois à travers l'Amérique, travaillant même un bon bout dans une ferme du Dakota du Sud, à Carthage, où il s'est fait un bon ami (Wayne Westerberg). Toutes ces personnes parlent d'un être qui les a beaucoup marquées, quelqu'un semblant dégager beaucoup d'amour et de bonté. Ces individus semblent avoir été si touchés par Christopher McCandless que notre questionnement et notre incompréhension face à sa mort sont encore plus grands.

L'histoire de Christopher McCandless a été popularisée en 2007 par le film de Sean Penn, très fidèle au livre de Jon Krakauer. Les deux hommes prennent le parti de McCandless, idéalisant en quelque sorte ses actes.
Il est vrai qu'en voyant le film, sublimé par la musique d'Eddie Vedder et les magnifiques images, les  émotions sont fortes, et tristesse et incompréhension se mélangent.
Peu de gens ont "critiqué" les actes de McCandless (d'après un sondage très personnel dans mon entourage !). Il m'est arrivé cependant d'en discuter avec des amis l'année dernière, alors que j'étais dans l'Ouest Canadien, et ceux-ci mettaient en lumière l'irresponsabilité de McCandless. À plus large échelle, la discussion en est venue à critiquer l'émoi et l'admiration de la population en général pour le destin de ces jeunes hommes.
Qu'est-ce qui nous fascine dans ces histoires ? Est-ce le courage de ces personnes, qui quittent souvent tout ce qu'elles ont, et suivent leur instinct ? Qu'est-ce qui motive ces jeunes personnes ? Mourir de faim dans la forêt fréquentée par les ours et les coyotes n'est pas franchement attirant...
Est-ce notre désir totalement refoulé par les sociétés occidentales de nous rapprocher de la nature, de notre état primaire, sauvage, complètement perverti par les technologies et la modernité ?

Ce qui est certain, c'est que ces histoires nous secouent quand on en entend parler, en positif ou en négatif. Loin d'être un modèle à suivre, le cas de Christopher McCandless est emblématique d'une génération post-hippie et ressemble à un négatif des Beatniks des années 50/60, "génération perdue" qui parcourait les routes américaines, mais dans le but inverse de se regrouper et de créer de façon « vigoureuse et libertaire ».
Ces deux groupes de personnes, aventuriers des temps modernes, ont toutefois le même objectif, même si les moyens employés pour y arriver diffèrent : trouver un mode de vie idéal et nouveau.

Alors suicide, malchance, inconscience, bêtise ? Le livre n'apporte pas une réponse définitive à la mort de Christopher McCandless, mais permet de réfléchir à ce qui peut amener un homme de 24 ans à se perdre dans le bois, loin de tout, et à y mourir, d'empoisonnement ou de malnutrition (la cause exacte du décès de McCandless n'est pas claire elle non plus : il avait consommé des baies moisies devenues toxiques, mais il était également si décharné que la mort de faim semblait plus probable).

L'ouvrage, agrémenté de nombreux extraits de textes de Thoreau, de Paul Shepard, Jack London, Estwick Evans, Roderick Nash, Mark Twain, et beaucoup d'autres, tous des aventuriers, environnementalistes, explorateurs, expérimentateurs de la nature sauvage, nous pousse à réfléchir au sens que nous souhaitons donner à nos vies. Il offre une réflexion philosophique sur le rapport que nous avons avec la nature, aux autres, à la société.
On en ressort enrichi, habité à la fois par ces paysages magnifiques et ces choix de vie qui nous paraissent si simples, mais qui peuvent aussi s'avérer fatals.

Un site consacré à Christopher McCandless

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Eddie Vedder, Into the Wild (J Records, 2007)

11 juillet 2011

Je vois parfois des choses si belles...

« Je vois parfois des choses si belles que je me réjouis de ne pas les posséder. » (p.45)

« J'attends d'un poème qu'il me tranche la gorge et me ressuscite. » (p.59)

« L'absolu a éclaté sur le carrelage dans un bruit de vaisselle précieuse. De toute façon on ne s'en servait jamais. » (p.67)

« Lire, c'est ajouter au livre, découvrir, en s'y penchant, son propre visage dans la fontaine de papier blanc. » (p.76)

« Chaque fois que de l'angoisse arrive, je la mets dans une valise que je glisse sous mon lit. De temps en temps je tire la valise, je la mets sur le lit, je l'ouvre : elle ne contient rien, ou bien un lumineux petit arbre fruitier. » (p.84)

« Quand le peintre japonais Hokusai meurt en 1849 il a, par ses dessins, rendu la vie dix mille fois plus vivante qu'elle n'était avant lui. Sans doute est-ce là le travail que chacun doit accomplir par sa vie : frotter la pièce d'or mise dans notre main à notre naissance, afin qu'elle brille dix mille fois plus quand la mort nous la volera. » (p92)

Nul besoin d'en rajouter après ces quelques passages glanés dans Un assassin blanc comme neige, dernière parution de Christian Bobin chez Gallimard. 
Peut-être juste cette explication de l'auteur lui-même sur son livre, une très belle justification d'écriture...


Christian Bobin - Un assassin blanc comme neige par Librairie_Mollat

07 juillet 2011

Renée

Renée, de Ludovic Debeurme, Édition Futuropolis, 2011

Ludovic Debeurme nous a donné en 2006 le sublime Lucille, histoire d'amour entre une jeune fille anorexique et le fils d'un pêcheur, Arthur, marqué par le suicide de son père.
La suite était attendue depuis tout ce temps, et sans cesse reportée.
Le roman graphique de plus de 500 pages appelait une prolongation, le récit initiatique de nos deux héros nous laissant sur notre faim et dans l'expectative.
Cinq ans plus tard, c'est donc avec une autre œuvre magistrale que nous retrouvons Arthur, Lucille, mais aussi Renée, personnage qui s'ajoute au livre fleuve de Ludovic Debeurme (les pages ne sont pas numérotées et je ne les ai pas comptées, mais c'est un livre énorme comme on les aime). Renée est une jeune femme éprise d'un musicien de jazz marié. Arthur, Lucille et Renée seront unis par un événement dramatique qui se déroulera lors du séjour en prison d'Arthur.

Je n'en dit pas plus sur l'histoire, mais je reviens sur la forme. Ludovic Debeurme est un jeune auteur de bande dessinée et illustrateur. Dans sa leçon de dessin, Ludovic Debeurme nous explique sa façon de travailler. Il nous dit entre autres que « ce qui l'intéresse, ce sont les détails. Pas le détail pour le détail, mais le détail pour ce que ça a de rapport avec la folie. »
Il poursuit : « Quand je suis dans le rêve et que je parle davantage des fantasmes et du rêve, j'ai besoin d'avoir un dessin qui a plus de poids et plus de présence, presque formel et réel.
Alors que Lucille, qui se passe dans un quotidien plus réel, social, appelle quelque part un dessin plus léger, plus épuré.
La suite de Lucille (Renée) aura deux écritures graphiques. J'introduis un nouveau personnage qui a un rapport aux fantasmes, au rêve qui surgit dans sa vie à la limite de la folie. Le trait plus gravé, plus précis lui convient bien. Avec le personnage de Lucille, je reviens à un trait plus simple. Du coup, ce qui est un peu schizophrène, c'est de passer de l'un à l'autre. Ça ne se fait jamais sans heurts. »
On remarque, en feuilletant les pages de Renée, l'absence totale de cases, inhérentes à la bande dessinée classique. Cela donne une impression de liberté totale pour l'auteur, qui parvient à développer son histoire sans carcan. Cela nous offre aussi de l'espace pour souffler, pour récupérer face à ce que l'auteur nous offre, et qui nous remue.
D'autre part, tous les dessins sont effectués au crayon, noir et blanc. À ce sujet, l'auteur s'exprime également : « Le crayon amène une immédiateté. Le geste peut vraiment être là. Et en même temps, il donne la possibilité de retravailler le dessin, sans cesse, grâce à la gomme.
La peinture à l'huile peut amener une certaine lourdeur. Dans le dessin au crayon, il y a une espèce de fraîcheur. »
On constate, d'autre part, dans cette suite de Lucille, le peu de textes, laissant toute la place à la force du dessin. Les mots présents tout au long du récit viennent cependant appuyer avec efficacité les émotions complexes des personnages.
« D'habitude, je ne pense jamais au vide qui m'entoure... Là, j'ai l'impression qu'il est plus important que moi! »
Un autre aspect qui marque l’œuvre de Ludovic Debeurme demeure l'onirisme, présent dans presque toutes les pages de ces deux tomes. L'auteur alterne entre réalisme et poésie, en représentant ses personnages aux prises avec leur passé, leurs racines, les troubles de leur âme, dessinés sous forme de corps qui se transforment parfois de façon monstrueuse. L'auteur, à ce sujet, explique « qu'avec la transformation des personnages, notre propre regard se transforme ».
Les êtres de ce récit sont tour à tour chrysalides et papillons, monstres colériques et cicatrices béantes.
Parfois, les corps disparaissent, ou deviennent minuscules, se glissent sous la peau ou ne font plus qu'un avec la nature. Des dessins quelquefois effroyables, qui viennent chercher les sentiments les plus enfouis des personnages, à la limite de la psychanalyse.
Pour les amener tranquillement vers plus de sérénité ? Tout comme dans Lucille, la fin laisse entrevoir une lueur d'espoir, d'apaisement, mais cela reste bien instable.

Ludovic Debeurme, volontiers comparé à Charles Burns pour le style, possède une voix unique. Loin de vouloir séduire son lectorat, il propose une singulière façon d'aborder les affres de la vie, de l'adolescence et de l'amour, mais aussi de canaliser la colère qui nous habite et l'angoisse qui nous traverse parfois.

Un reportage sur Arte

[Lætitia Le Clech]


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