29 mai 2012

Quelques BD

Apnée, Zviane, Éditions Pow Pow, 2010
Grand prix de la ville de Québec 2011 (prix Bédéis Causa)

Dans ce magnifique petit album, la jeune auteure québécoise Zviane, avec une grande pudeur, décrit l'état dépressif dans lequel son héroïne, Sophie, a été plongée. Elle s'en est sortie, mais reste fragile.
Le dessin, en noir et blanc, et avec ses zones de gris, s'adapte tout à fait au propos subtil de l'auteure. C'est sobre, les personnages sont croqués un peu comme dans les mangas, et chose étrange, ils n'ont presque pas de visages, pas d'yeux en tout cas, ce qui est le détail le plus frappant. Cet élément amène une espèce de vide abyssal qui pourrait s'apparenter à l'état dans lequel se trouve Sophie. 
Le récit se découpe en plusieurs petits chapitres écrits au "tu", qui se concluent tous par des épilogues (parfois à l'humour acide) à propos des personnages qui traversent la vie de Sophie. Par exemple, ce garçon que Sophie fréquente, alcoolique, dépressif et suicidaire... « Il se suicidera dans trois ans, huit mois et deux jours. Tu n'auras rien pu faire.»
Certains passages sont d'une beauté rare, comme ce passage musical, représenté par des touches de piano, des notes de musique, et des cases vides, qui par leur silence, nous atteignent droit au cœur. 
Zviane, de son vrai nom Sylvie-Anne Ménard, enseigne également la musique et cela n'est pas étranger à la réussite de cet album. Il y a une douce musique dans cet album, mélancolique, et on sent aussi que c'est par la musique que Sophie peut s'en sortir et surtout se laisser aller.

Le site de l'auteure

L'âge dur, Max de Radiguès, L'employé du Moi, 2010

Explorant les affres de l'adolescence, l'auteur d'origine belge Max de Radiguès arrive à nous charmer avec cet album petit format, tiré d'un fanzine édité de janvier 2009 à octobre 2010.
Ses jeunes sont touchants, drôles, sincères, et fragiles. Le pari est réussi pour l'auteur qui voulait, « par de petites choses, de petits événements, de petites anecdotes, essayer de retrouver cette ambiance et cet état de l'adolescence. »
Vous y trouverez probablement un peu de vous à cet âge dans cet ouvrage!

Max de Radiguès est maintenant l'auteur de six bandes dessinées, dont la toute dernière, 520 km, paraîtra aux éditions Sarbacane en août 2012.

À noter que Max de Radiguès était en résidence à Montréal à l'atelier 7070 durant l'année 2011.

Une entrevue avec l'auteur


L'art de voler, Antonio Altarriba (scénario) et Kim (dessin), Denoël Graphic, 2011 (édition originale chez Edicions de Ponent, 2009)


La BD la moins évidente des trois est sans conteste celle-ci. Témoignage historique dans la veine de Maus, d'Art Spiegelman, L'art de voler relate la vie d'Antonio Altarriba père, qui a traversé l'Espagne du XXe siècle. Le point de départ du récit est le suicide de celui-ci,  à l'âge de 90 ans, le 4 mai 2001. Son fils, également nommé Antonio, s'est alors promis de rendre hommage à ce père qui toute sa vie, s'est préparé à cette mort, à cet envol final. Antonio Altarriba fils s'est basé sur un manuscrit de 200 pages que son père a rédigé, encouragé par son fils, alors qu'il traversait une profonde dépression, à la fin de sa vie. Il a également fait la part belle à ses souvenirs d'enfance, vécus avec ses parents mais aussi avec les amis anarchistes de son père.
En effet, Antonio père a vécu les années du franquisme de façon amère. Engagé dans la résistance très jeune, après avoir fui son village où son père le voulait paysan, comme lui, alors qu'il ne rêvait que de la ville, il est envoyé en France à l'arrivée de Franco au pouvoir en  1939, après une guerre civile très dure de 1936 à 1939. Il combat avec les forces républicaines après avoir déserté l'armée nationale.
Durant la Seconde guerre Mondiale, il sera caché dans une ferme près de Guéret (Creuse) où il vivra paradoxalement ses plus belles années. Fait prisonnier par les nazis, il s'en sortira miraculeusement, et décidera par la suite de retourner en Espagne, alors qu'il s'était promis le contraire.
Commencera alors pour lui une lente descente aux enfers, trahi par ses associés, déçu par sa relation avec sa femme, seul son fils né en 1952 lui offrira quelques rayons de soleil.

Ce long récit (plus de 200 pages) n'offre pas beaucoup de répit au lecteur. Très réaliste, il nous entraîne avec son héros dans ses nombreuses désillusions. Ses malheurs sont profonds et pourtant il s'accroche, espère toujours s'en sortir. Cela l'amène à vivre de nombreuses aventures professionnelles, politiques et amoureuses. Le scénario mêle ces différents aspects afin de relater l'histoire d'un homme de son temps, ancré dans son époque et dans son pays.
Certains passages au sujet de la guerre civile espagnole sont très complexes, mais ne doivent pas rebuter le lecteur. On ressort de cette lecture avec de nouvelles connaissances sur cette période sombre de l'Histoire, à l'heure où l'Espagne traverse une nouvelle crise.
Complexe mais ô combien nécessaire. Cet ouvrage est un hommage vibrant et passionnant à ce père, héros anonyme de l'histoire espagnole. C'est aussi très triste, et le constat final, même si l'auteur affirme le vouloir empli d'espoir, reste plutôt négatif au sujet de la destinée humaine, du rapport à l'argent et au pouvoir et de la vieillesse.

Une entrevue avec l'auteur

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : les éclairs dans le ciel et Stuart A. Staples dans les oreilles.

23 mai 2012

Le moderne cabaret

Le moderne cabaret, Vic Verdier, Éditions XYZ, 2012

Qui est Vic Verdier? Le personnage principal de ce roman? Le nom de plume de Simon-Pierre Pouliot? Un trentenaire qui réalise son rêve d'ouvrir un cabaret et qui se heurte à des imprévus quelquefois dignes d'un polar? Et bien, tout ça à la fois. C'en est un peu mêlant, finalement, mais on s'attache à lui, qui qu'il soit.
Donc, Vic Verdier, l'auteur, nous présente Vic Verdier, jeune homme qui s'apprête à emménager avec sa copine Fred, et à ouvrir le cabaret dont il rêve depuis longtemps (on en parle déjà dans son premier roman, L'appartement du clown, paru aussi chez XYZ en 2010). Quelques mésaventures viendront pimenter ses projets. Parallèlement, on suit aussi Oliver, l'ami de Vic revenu au pays sans que ce dernier ne soit mis au courant, qui raconte à Jas (l'autre ami de Vic) son histoire épique au Chili à la poursuite de Douze.
Deux histoires parallèles, donc, mais qui se distinguent assez bien dans l'ensemble.
L'histoire est très ancrée à Montréal, Saint-Henri pour le cabaret de notre héros, le Mile End côté est (Casgrain) pour son appartement, rue Waverly, aéroport Pierre-Elliott Trudeau, on navigue en terrain connu (enfin, ça dépend pour qui). Au Chili, c'est une autre paire de manches.
Les parties situées au Chili, même si elles nous offrent quelques réflexions intéressantes sur la vengeance et que nous sommes témoins de l'évolution d'Oliver dans ses épreuves, nous perd un peu par le côté trop surréaliste du dédoublement de personnalité d'Oliver. On a du mal à accrocher à cette folie passagère.
Pourtant, le même procédé utilisé avec le grand-père de Vic, qui ressurgit d'entre les morts pour donner des conseils à son petit-fils, fonctionne beaucoup mieux, même si les apparitions de Papi Verdier auraient probablement pu être abrégées.
Le texte est un peu alourdi par trop de cabotinage. Personnellement, le narrateur ou l'auteur qui s'adresse au lecteur, ça me laisse plutôt froide. Mais le tout reste fluide, drôle, imaginatif, et brosse le portrait juste d'un groupe de trentenaires unis par l'amour et l'amitié, en proie aux doutes face à l'engagement.
L'auteur nous offre encore une fois à la fin de l'ouvrage la liste de toutes les chansons citées dans le texte. Parfaitement intégrées à son texte. Original et plaisant pour la mélomane que je suis. Cette liste, très éclectique (ça va de Marie Laforêt à Félix Leclerc, en passant par Manu Chao et U2), est à l'image de ce roman : très éclaté, mais qui nous tient par un fil qui nous permet de lire avec un réel plaisir cette histoire jusqu'à la fin.

Simon-Pierre Pouliot est un jeune auteur (né en 1976) diplômé en histoire et en communications. Il travaille depuis plus de dix ans pour le Cirque du Soleil. Le Moderne cabaret est son deuxième roman, après L'appartement du clown, paru chez XYZ lui aussi.

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : This is the Kit, Wriggle Out The Restless (Brassland, 2010)