22 octobre 2016

La légèreté


Image trouvée sur le site de Dargaud
Presque deux ans après la tuerie de Charlie-Hebdo du 7 janvier 2015, Catherine Meurisse, dessinatrice au journal depuis 10 ans au moment des faits, nous offre avec La légèreté un récit poignant de l'année qui a suivi cette tragédie. Essayant de retrouver la mémoire des petits instants qui ont précédé le massacre, bousculée par les drames qui se sont enchaînés à la suite du 7 janvier, dont le drame du Bataclan le 13 novembre 2015, Catherine Meurisse va rencontrer son salut dans l'art, la beauté et l'humour, que l'on décèle par petites touches dans La légèreté.

« Faire ce livre était une façon de réordonner les choses, de trouver l'apaisement. » (Télérama, 1er mai 2016)

Rédigé en deux fois, les pages 7 à 71 de juin à août 2015 et les pages 72 à 133 en janvier et février 2016, La légèreté nous fait passer par toutes les étapes du choc post-traumatique, de la perte de mémoire à la dissociation, en passant par le profond désespoir et le questionnement existentiel.

Certaines pages de La légèreté, d'une fulgurante beauté, éclairent le récit d'espoir. Celles-ci, réalisées à l'aquarelle et aux couleurs chatoyantes, contrastent avec les épisodes où l'auteure se remémore ses anciens collègues assassinés. Elle rend un vibrant hommage à ceux-ci, sans exagération, par des détails à première vue insignifiants mais qui prennent de l'ampleur lorsque mis en contexte. Ainsi, Catherine Meurisse tente de se souvenir d'un dialogue d'une belle poésie avec Mustapha, le correcteur de Charlie Hebdo, dont on a moins parlé. La renaissance de Catherine débutera alors qu'elle commencera à se remémorer ce dialogue. Lorsque le beau la touchera de nouveau.

« Par la symbolisation, l'art a permis une médiation entre la violence et moi. J'ai ainsi eu le sentiment d'approcher la mort, les corps de mes amis, en douceur et sans peur. Ces corps, sublimés par la sculpture, n'étaient pas morbides, leur marbre blanc, scintillant, était d'une beauté à couper le souffle. Mon voyage à Rome, au contact des statues et des vestiges antiques, signes d'immuabilité, signes de la violence de l'Histoire suspendue par le temps, m'a permis de retrouver un peu d'éternité, après l'effondrement du 7 janvier. » (Télérama, 1er mai 2016)

On prend conscience aussi dans ce livre du quotidien d'une protection policière, de l'attention médiatique soudaine, parfois violente, que les "survivants" ont dû subir, de la lourdeur, enfin, de chaque journée qui passe et qui amène son lot de cauchemars. Cette légèreté recherchée, si difficile à trouver quand on a vu l'horreur. On repense avec incompréhension à ces actes, à tous les actes d'horreur que certains subissent et on a envie de se rouler en petite boule et de se mettre à pleurer, à crier, ou à serrer un arbre dans ses bras.
« Toi, tu es là depuis toujours, tu ne meurs pas, tu ne tombes pas. Si on te tire dessus, ton écorce engloutit la balle »
p. 73

La légèreté, de Catherine Meurisse, Éditions Dargaud, 2016, 136 pages

Liens intéressants : 
L'entrevue de Catherine Meurisse à l'émission On n'est pas couché (18 juin 2016)

Dany Rousseau fait un parallèle entre la bd de Catherine Meurisse et le livre de Luz, Ô vous, frères humains, d'après l'oeuvre d'Albert Cohen (Futuropolis, 2016), sur le site Bdmétrique.

Humeur musicale : Nick Cave, The Skeleton Tree (Bad Seed Ltd, 2016)


05 octobre 2016

Pebble Island et Birchfield Close

Tous les matins du monde semblent débuter de la même façon : une succession de rituels quasi automatiques, qui nous entraînent comme sur des rails, d’activité en activité, jusqu’à l’effondrement en miroir, le soir, la tête la première plongée dans l’oreiller.
Pourtant, chaque instant possède le potentiel de nous éblouir comme jamais. Encore faut-il accepter de se laisser aller à une contemplation non productive...
Heureusement, il suffit souvent d’un premier pas. C’est ce que nous rappelle de façon très simple  le Britannique Jon McNaught dans ses ouvrages illustrés Birchfield Close et Pebble Island, que Dargaud vient de faire traduire en français sous les noms évocateurs de Dimanche et Histoires de Pebble Island.

Comme toutes le belles histoires d’amour, je suis tombé “par hasard” sur les ouvrages de cet illustrateur anglais.
Publié en version originale aux éditions Nobrow, ces deux ouvrages ont un format atypique : ils sont tout petits. Ils arborent une belle illustration de couverture sur laquelle vient se poser délicatement le titre, sans prétention.
La couverture cartonnée épaisse donne l’impression que l’on va ouvrir un livre intime, un carnet de croquis ou de voyages ou alors un petit livre de chevet ; le genre que l’on garde à portée comme un petit talisman bien à nous, un petit trésor qu’on sort le soir de la table de nuit avant de se coucher juste pour être certain qu’il est toujours là, à nos côtés.

Sans doute ma lointaine éducation catholique émerge-t-elle de son sommeil, parce qu’il est bien question de sacré. Mais pas au sens religieux. Non. Je parle du sacré de l’existence indépendante des mondanités, du tout, omniprésent : tout ce qui existe et qu’on oublie tout le temps.

Prenons Pebble island dans nos mains. La couverture est douce au toucher. L’illustration nous dévoile déjà une idée d’immensité au travers des reflets du soleil sur l’onde des vagues de l’océan. On reste là à regarder doucement pour s’apercevoir alors de la présence de deux oiseaux tournés eux aussi vers les reflets. Nous sommes tous les trois happés par ce que nous voyons.
Pas besoin de chercher midi à quatorze heures. Il suffit simplement d’accepter de se perdre dans la contemplation des milliers de détails qui jaillissent de l’image. Pas la peine non plus d’analyser le travail très détaillé du trait qui sert à merveille son objectif : nous absorber tout entier dans la contemplation. Mais il est temps d’ouvrir le livre.

De façon très humble, voire minimaliste, l’auteur nous détaille alors ce que nous allons découvrir : trois histoires qui se déroulent sur l’île de Pebble.
Alors, nous tournons la page pour découvrir, organisées en rang serré, des petites vignettes. La première histoire peut débuter.

Il n’y aura pas de dialogues. Nous verrons les personnages vivre des petits moments de rien, figés dans ces vignettes, des instantanés. Rapides.
Un enfant joue dans sa chambre. La lumière du soleil apparaît. Il décide de sortir. On le voit alors préparer ses affaires. Vignette après vignette. Il prend un jouet, un fruit, son manteau, et ouvre la porte. Dehors des gouttes tombent.
Courageux ? Il ouvre le portail et part. Il roule, dépasse une maison, le ponton, un bateau et arrive sur la plage. Du haut d’une falaise, un mouton lève la tête et l’observe. On prend du recul alors pour voir l’intégralité de la scène, figée dans le temps dans une vignette qui prend toute sa place : la moitié de la page. On voit ce petit vélo rouler devant l’immensité de l’océan, des nuages et de la plage. On respire alors.
Puis le champ se rétrécit à nouveau. Les vignettes reprennent leur taille initiale, des carrés de moins de 3 centimètres de côté et on observe ce petit garçon continuer à vaquer à ses occupations et ainsi de suite.
L’auteur zoome et dézoome sans cesse ; positionne l’objectif sur des petits riens qui pourraient sembler anodins, mais qui, collés les uns à la suite des autres, racontent des histoires.
Deux enfants décident de monter sur le toit de leur maison. Il regardent alors la vie autour d’eux. Un voisin passe la tondeuse. Un cycliste tombe de vélo sur plusieurs vignettes, des oiseaux s’envolent sur deux pages, et toute l’existence se déplie simplement devant nous. Nous sommes à la place de ces enfants. Nous devenons spectateurs. Nous sommes happés par cet univers, parce qu’il a réussi à nous plonger dedans.
Un oiseau se pose sur une antenne : nous entrons dans la maison par le poste de télévision. Nous suivons les scènes d’un film pour ressortir ensuite.
Et comme dans la réalité, un des enfants sort sa console de jeux vidéos portable et d’un coup son champ se rétrécit pour se réduire à quelques bip bip. L’autre continue à observer le théâtre qui s’offre à lui. L’un verra le Game Over sur son minuscule écran. L’autre aura observé un majestueux coucher de soleil inonder de lumière l’espace autour de lui. Pour l’autre, c’est déjà trop tard. La nuit tombe, il est temps de rentrer.

Ainsi, Jon McNaught nous offre la possibilité de nous évader quand nous le souhaitons au travers de ses ouvrages, mais aussi, peut-être, d’accepter de nous rendre compte qu’à tout moment, il est possible de le faire n’importe où.
Il n’y a sans doute pas de bon moment. Simplement la vie qui se déroule et qu’on peut observer à loisir pour, de temps à autre, être émerveillé, tout simplement, avant de retourner à nos activités.

Il est 11 h 18.

Je cligne des yeux. J’entends à nouveau le monde autour de moi. J’ai la nuque un peu engourdie. Je m’étire et respire un grand coup. Je pense que j’ai oublié de dire que les deux ouvrages sont similaires dans leur approche et valent tous les deux le détour. Mais ça vous l’aviez compris.
Et je rajoute également que pour un amateur de la chose graphique, ces ouvrages empliront votre coeur d’une grande reconnaissance : un arc-en-ciel de situations en si peu de teintes. Des motifs pour exprimer les volumes et les lumières. Le trait pour outil principal. La géométrie pour alliée. L’humanité de l’imperfection dans le geste qui donne envie soi même d’essayer. Comment fait-il ? C’est un artiste.

Il est 11 h 20.

Mon chat miaule. Son poil est d’un roux flamboyant. Il enroule sa queue autour de ma jambe. Sans doute souhaite-t-il un câlin ? Ou alors... Il a encore faim.

Birchfield Close, Jon McNaught, Éditions Nobrow, 2010, 38 pages
Pebble Island, Jon McNaught, Éditions Nobrow, 2011

En anglais (pour le peu de textes ce n’est pas vraiment grave) sur le site de Nobrow
Ou en français chez Dargaud


François Nicaise

(Images tirées des sites : fnac.com, bookdepository.com et nobrow.net)

Humeur musicale lors de la publication de ce texte : Françoiz Breut, Zoo (2016)