13 décembre 2013

Je l'appelais Cravate

Je l'appelais Cravate, Milena Michiko Flašar, Éditions XYZ, 2013 (Ich nannte ihn Krawate, Berlin, Verlag Klaus Wagenbach, 2012), traduction d'olivier Mannoni


Je dois vous parler d'un autre coup de cœur (décidément nombreux cette année) de cet automne 2013 : le roman de la jeune auteure autrichienne Milena Michiko Flašar, Je l'appelais Cravate, qui a recueilli en Europe de nombreux éloges en 2012.
Les éditions XYZ ont flairé le chef-d'oeuvre et nous leur en sommes très reconnaissants, puisque nous ne pouvons pas dire que la littérature autrichienne tapisse les librairies...
Dans ce court roman qui se déroule au Japon, un salaryman à la dérive rencontre un hikikomori sur un banc de parc. Le premier, travailleur de bureau qui vient de perdre son emploi mais n'ose pas l'avouer à sa femme, le deuxième, jeune homme marginal et perturbé par la disparition de son meilleur ami, incapable de sortir de sa chambre et qui décide un beau jour d'aller s'asseoir dans ce parc. Leur rencontre, timide au départ (le jeune homme n'a parlé à personne depuis deux ans), connait une envolée quasi-lyrique qui les transcendera tous les deux.
Comme les exemples parlent souvent par eux-mêmes, voici trois extraits choisis que je trouve magnifiques, et qui donnent un peu le ton de ce roman poétique et philosophique, écrit dans un style très personnel. Une auteure qui n'en est pas à ses premiers essais littéraires après la publication de plusieurs de ses nouvelles, mais Je l'appelais Cravate est son premier roman. Une plume à suivre absolument !

« La petite fille n'arrête pas de rire. Je me demande souvent pourquoi l'on n'en est plus capable, être follement heureux. Pourquoi, en grandissant, on se retrouve où que l'on soit dans un espace confiné et bas, pourquoi l'on va tout au plus d'un espace à un autre, alors qu'enfant on était dans une pièce sans murs. Car j'ai gardé cela ainsi dans mon souvenir : lorsque j'étais petit, mon gîte était tout mon présent. Ni le passé ni le futur ne pouvaient quoi que ce soit contre moi, et comme il serait beau que ce soit encore ainsi aujourd'hui. Si, par exemple, on pouvait travailler par dévouement, sans effort, et pas pour le résultat. » (p.69)

« Comment dénoncer un fantôme ? Comment expliquer la disparition d'un garçon qui a déjà disparu ? Comment décrire le fait qu'il nous manque, bien qu'il soit absent depuis longtemps ? Et pourtant, dès que le matin se levait, je ne souhaitais rien plus ardemment que ceci : que l'on me cherche et que l'on me trouve. Que l'on me prenne par les épaules, que l'on me gifle et que l'on me demande : Comment est-ce possible que nous soyons passés les uns à côté des autres à ce point-là ? Et que l'on me prenne dans les bras pour me dire : Recommençons à zéro. » (p. 106)

« Est-ce que j'écris encore ? Impensable de ne pas le faire. C'est justement dans la nuit la plus sombre que les mots étaient des gravillons lumineux. La clarté de la lune et des étoiles, ils l'avaient captée et la diffusaient à leur tour. Il y avait parmi eux un mot qui brillait avec une singulière clarté. Le mot "simplicité". Je m'approcherais de lui, d'un pas léger, je le regarderais de tous les côtés, je finirais par le prendre dans la main, sous son charme, je comprendrais que sa magie consiste à briller par lui-même, par sa simple signification. Simplicité. Être simplement là. Supporter cela, simplement. Plus je le supportais, plus il devenait simple de comprendre à quel point il est beau, simplement beau, d'être là. » (p. 157)

Je l'appelais Cravate est publié aux Éditions de l'Olivier en France, sous le titre La cravate

Lætitia Le Clech

Humeur musicale : Cowboy Junkies, The Wilderness 

01 décembre 2013

Littérature belge

Laissez-moi vous  parler de ces bijoux découverts par hasard et de ces rencontres rendues possibles grâce à un livre, rencontres avec des personnages mais aussi avec des auteurs.

Pour le Salon du livre 2013, j'ai été amenée à travailler pour le stand de la Délégation Wallonie-Bruxelles, qui a «pour mission principale de mieux faire connaître aux Québécois toute la diversité de Wallonie-Bruxelles (4,5 millions de personnes), mais aussi d'aider les Wallons et les Bruxellois, intéressés par le Québec, à établir les contacts nécessaires à la réalisation de leurs projets.» (site internet de la Délégation). 
À l'occasion de cet événement, plusieurs auteurs belges francophones ont été reçus pour présenter leurs dernières créations, recevoir des prix et pour rencontrer les lecteurs lors de séances de dédicaces.
Ainsi, les auteurs Françoise Rogier (littérature jeunesse), Christian Darasse (dessinateur de la série de BD jeunesse Tamara), Paul Colize (fiction) et Geneviève Damas (invitée d'honneur du Salon) étaient présents et très ouverts à la rencontre et à la discussion.
Françoise Rogier a remporté le Prix Québec / Wallonie-Bruxelles de littérature jeunesse pour son interprétation très originale du conte Le Petit Chaperon rouge, intitulée simplement C'est pour mieux te manger !
Christian Darasse n'en finissait plus de dédicacer la bande dessinée Tamara, publiée dans le magazine Spirou (tout comme Les Nombrils, dont les auteurs Delaf et Dubuc se trouvaient au stand juste en arrière de nous) qui s'adresse aux jeunes de 13-14 ans
Quant à Paul Colize, auteur de romans que l'on pourrait qualifier de "noirs", il se partageait entre le stand de Gallimard, qui a publié Back-up, son avant-dernier roman, en format poche, et le stand de la Wallonie-Bruxelles.

Mais ma grande découverte fut Geneviève Damas, comédienne, metteure en scène et auteure de théâtre, que nous avons eu la chance de côtoyer plus longuement durant ce salon. Elle a aussi participé à plusieurs conférences sur « l'écriture poétique dans le roman » et sur « l'éducation au cœur de nos vies ». Après avoir également répondu au questionnaire Archambault, elle a participé à une « Confidence d'écrivain », interviewée justement par l'écrivain Gilles Archambault lui-même. En tant qu'invitée d'honneur du Salon du livre, elle a bénéficié d'une plus grande exposition.
Mais avant même de savoir tout cela et même de la rencontrer, je me suis procurée son premier roman, Si tu passes la rivière, édité ici de bien jolie façon par les éditions Septentrion, dans la collection Hamac.

Coup de cœur total. Un petit livre court (150 pages), qui m'a happée dès la première ligne « Si tu passes la rivière, si tu passes la rivière, a dit le père, tu ne remettras plus les pieds dans cette maison. ». Un roman rempli d'une poésie et d'une tendresse infinie. On y suit François, jeune garçon d'un âge tout d'abord indéterminé, livré à lui-même, obsédé par le souvenir de sa sœur qui s'est enfuie, le laissant entre les mains d'un père violent et de deux frères impitoyables.
« [...] je restai là, petit et bête, à regarder ma soeur au milieu de l'eau, qui s'éloignait à chaque pas et je ne savais dire que "Maryse, Maryse" parce que peut-être c'est comme ça la vie quand elle vous enlève ce qu'elle vous a donné de plus beau, il n'y a rien à dire qu'à laisser la rivière couler » (p.14)
On devine que cette famille est engluée dans des non-dits, dans une incapacité à communiquer. On le devine encore plus lorsque François décide d'apprendre à lire et à écrire, lui qui ne faisait que garder des cochons, auxquels il s'attachait comme à de vrais amis, se confiant à eux et les aimant simplement, et se satisfaisant de cette activité, malgré l'humiliation continuelle, le manque d'horizon, et la tristesse d'une vie monotone et rude. La description de la campagne nous laisse penser que nous pourrions être quelque part en Gaspésie ou même dans un village du Centre-du-Québec. L'auteure s'est plutôt inspirée de la région du Borinage, ancien site minier situé dans la province belge du Hainaut qui, depuis la fermeture des mines (aux conditions de travail épouvantables), demeure une région rurale pauvre. Il est fascinant de découvrir l'universalité de la géographie et des thèmes exploités par Geneviève Damas dans son livre.
« Et puis, j'ai entendu le père gueuler dans la cour, gueuler comme un perdu et des drôles de sons que je ne comprenais pas parce que je n'avais jamais entendu quelqu'un pleurer. Chez nous, on ne pleure pas, ça mouille à l'intérieur, mais au dehors c'est sec. » (p.12)
Le curé du village, planche de salut de François, lui permettra de découvrir la vérité sur sa naissance et lui donnera l'élan nécessaire pour prendre sa vie en main. Pour entraver le destin, casser le cycle de l'ignorance, de la peur, et peut-être accéder au bonheur.
En entrevue sur les ondes de Radio-Canada, Geneviève Damas parle de l'importance de la culture, qui « permet d'échapper à la violence et qui créé du lien social ».

 Le livre entièrement écrit au "je" révèle un style poétique parfois naïf, se servant de la simplicité de François pour détourner des formules toutes faites ou des proverbes. Le style évoluera d'ailleurs au fil de l'histoire, au fur et à mesure de l'apprentissage de la lecture par François.
« Fallait pas traîner, car le Marcel, il ne me connaissait pas d'hier, ni d'aujourd'hui, ni de la dernière pluie, ni de la première, ni de rien. » (p.86)
Si tu passes la rivière est un petit bijou de littérature à mettre entre toutes les mains, la découverte pour moi d'une véritable voix de la francophonie, côté belge cette fois-ci !

Entrevue avec Geneviève Damas dans l'émission Plus on est de fous, plus on lit ! (avec une lecture du début du roman)
La critique de Si tu passes la rivière, par Josée Lapointe dans La Presse

Lætitia Le Clech

Humeur musicale : Nick Cave and The Bad Seeds, Live from KCRW

18 novembre 2013

Fruits

Fruits, de Carl Leblanc, Éditions XYZ, Collection Romanichels, 2013, 153 pages


Qui n'a jamais eu à répondre à la question : « Crois-tu au hasard ? ». Qui ne s'est jamais demandé par quelle drôle de coïncidence on se retrouve au même endroit, au même moment, qu'un ami auquel on pense justement.

L'auteur et documentariste Carl Leblanc, dans ce troisième ouvrage (après Le personnage secondaire, aux Éditions Boréal, en 2006 et Artéfact, aux Éditions XYZ, en 2012), en plus de se poser ces questions dans quelques-unes des nouvelles qui composent son livre (et qui s'apparentent à des petits essais sur le sujet), expérimente pleinement ces coïncidences qui lui permettent de capter ces étincelles de beauté qu'il poursuit depuis longtemps.
« Le hasard est l'exemple radical du plaisir de trouver ce qu'on ne cherchait pas. Les coïncidences, ces choses si peu nécessaires, mais qui surviennent plus souvent qu'on le pense, sont, oui, ces «véritables fanaux dans la nuit du sens», comme l'écrit Breton. C'est le réel qui accouche d'un enfant alors que la vie n'est, la plupart du temps, qu'avortements d'occasions. » (Abolitions (en guise de prologue), p.19)
La suite, ici.


L'article de Chantal Guy dans La Presse
Entrevue rafale avec l'auteur dans le journal Métro
« Fruits n'est pas un livre mystique », entrevue dans plus on est de fous, plus on lit...

Le roman précédent de Carl Leblanc, Artéfact, est finaliste au Prix littéraire des collégiens 2014.

Lætitia Le Clech
 
Humeur musicale : Patrick Watson, Close to Paradise (Secret City Records, 2006)

06 novembre 2013

Corbeau et Novembre

Corbeau et Novembre, de Stéphane Achille, Éditions XYZ, Collection Romanichels, 2013, 432 pages

Dans ce deuxième roman, le jeune auteur québécois Stéphane Achille, récipiendaire du prix Robert-Cliche du premier roman en 2007 pour Balade en train assis sur le genoux du dictateur nous présente Charles-Alexandre Dulong, employé dans le service juridique d'une entreprise qui rédige des guides d'utilisation pour des appareils électroménagers. Rien de bien passionnant, d'autant plus que Charles-Alexandre est avocat et pourrait se consacrer à plus intéressant. Mais cet emploi lui convient très bien, car il peut appliquer à sa guise ses protocoles et autres techniques lui permettant de ne pas devenir fou. Car Charles-Alexandre est du genre obsessionnel compulsif. Également incapable d'avoir des relations humaines normales, il s'enferme dans la solitude et la phobie sociale.
Stéphane Achille a construit son roman en 82 courts chapitres, qui alternent entre le présent et le passé. Celui-ci se résume à cet été 1984, dont Charles-Alexandre se souvient dans les moindres détails. Cet été 1984, qui a marqué à jamais son esprit, cause en partie les comportements étranges de Charles-Alexandre.
La lenteur de l'action qui se déploie dans le livre de Stéphane Achille (surtout l'action présente) colle au caractère méticuleux, obsessif et apathique de son personnage. Cependant, cette inaction nous irrite quelque peu. Dans les chapitres consacrés au passé, par contre, des drames se jouent, que l'on devine progressivement. Mais les chapitres très découpés empêchent le déploiement de ces événements, qui sont sans cesse remis au chapitre d'après.
Cela a un double effet : à la fois de nous entraîner dans la spirale de Charles-Alexandre, dans sa folie sous-jacente, et à la fois d'alourdir le texte. Le dénouement de l'histoire devient presque une obsession, la résolution de l'énigme nous attire en même temps que Charles-Alexandre se libère.
Abordant le refus de se mêler au troupeau, la différence qui effraie, le mensonge, le pouvoir que les autres peuvent parfois avoir sur nous (les parents sur les enfants, les gourous dans les sectes, etc.), la maladie mentale, Corbeau et Novembre part comme ça un peu dans tous les sens, à l'image d'un personnage qui ne sait pas trop ce qu'il veut faire de sa vie. On observe son éclosion, la chrysalide devient tranquillement papillon, Stéphane Achille joue avec nos nerfs en étirant le temps le plus possible. Et notre patience est mise à mal.
J'ai donc été déchirée tout au long des 432 pages, qui auraient pu être resserrées, entre un intérêt qui n'a jamais été rompu malgré tout, et une envie de secouer notre personnage principal pour qu'il reprenne sa vie en main et qu'il nous raconte son enfance plus efficacement.

Lætitia Le Clech

Humeur musicale : Grand Corps Malade, Funambule (Believe Recordings, 2013)

13 octobre 2013

Deux bandes dessinées exceptionnelles

Jolies ténèbres, de Kerascoët et Vehlmann, Éditions Dupuis, 2009


 L'émissionLire, sur Artv, suggère par l'entremise de ses collaborateurs de nombreuses lectures. Lors de la précédente saison de cette émission, le collaborateur Matthieu Dugal a évoqué la BD Jolies ténèbres en la décrivant comme « un mélange d’Alice au pays des merveilles et de Mad Max.»... Il n'en fallait pas plus pour me convaincre de la lire et j'ai découvert en effet un dessin singulier aux couleurs très vives, pour raconter une histoire passant de la pure naïveté à la pire cruauté sans aucune raison apparente et sans plus d'explications que cela.
Au départ, un simple goûter entre notre héroïne Aurore et son prince Hector tourne au désastre lorsqu'ils sont inondés par une matière gluante venue d'on ne sait où. Aurore, en meneuse de troupe, se charge d'organiser son petit monde, distribuer à manger et calmer les plus anxieux. C'est que leur habitat, une petite fille morte allongée dans la forêt, se décompose...


À partir de là (seulement après quelques pages), le conte de fée que le lecteur anticipait se déconstruit totalement, se transformant en une lente descente dans un monde cruel où le prince devient un lâche, les petites personnages tous plus méchants les uns que les autres, les animaux poursuivant leurs instincts s'attaquent à la tribu, piquant, trouant, engloutissant les plus faibles. Les petits gnomes le leur rendent bien, se parant d'ailes de mouches, coupant les ailes des rouges-gorges ou crevant les yeux de la gentille souris, tout cela avec une grande violence et de façon totalement détachée en même temps.
C'est que les petits personnages de cette BD, petits esprits de la forêt débarqués dans l'univers de Tim Burton, ne se posent pas vraiment de questions, ne se préoccupant que de trouver de la nourriture ou d'organiser une fête des animaux, ou un mariage.
Assez déstabilisant me direz-vous. Cependant, cette horreur, même si elle n'est pas à mettre entre toutes les mains, ne doit pas dérouter les amateurs de bonnes bandes dessinées, puisque cet ouvrage nous amène dans un univers onirique sublimé par la beauté des dessins et par cet humour corrosif qui parsème l'ouvrage.

À découvrir également des mêmes auteurs :
Miss Pas Touche, aux Éditions Dargaud, 2006-2009 (4 tomes)
Beauté, aux Éditions Dupuis, 2011-2013 (3 tomes)

Pour aller plus loin : 


Peste blanche, de Jean-Marc Pontier, Éditions Les enfants rouges, 2012

À Marseille, un jeune professeur de littérature, Jean-Baptiste Chataud, s'éprend de l'une de ses étudiantes, Marie. Ils vivront une belle histoire jusqu'à ce que les problèmes de drogue de Marie ne prennent le dessus.  La jeune femme disparaît mystérieusement.
La ville entière est alors prise d'une amnésie collective suite aux démarches de Jean-Baptiste pour essayer d'oublier Marie, avec l'aide d'un marabout. Mais comment éclipser celle qui a balisé les murs de la ville de ses citations ? Elle est partout et pourtant, elle n'est nulle part, insaisissable. Seul Jean-Baptiste pourra faire retrouver la mémoire à la ville et à ses habitants, tout en ne perdant pas la sienne.
Quelques vingt années plus tard, le corps de Marie est retrouvé dans des fouilles archéologiques. La vérité surgira alors peut-être.
La peste blanche est le nom que le narrateur donne à cette amnésie collective, référence à la peste qui a sévi à Marseille en 1720. Spécialiste de la question car ayant produit une thèse sur « les épidémies dans la littérature », il met en parallèle les deux époques et soulève ainsi de nombreuses réflexions sur la mémoire (collective et individuelle), sur l'amour et sur la littérature, en citant plusieurs auteurs comme Apollinaire, Giono, Prévost, ou encore le théâtre d'Antonin Artaud, auteur de la pièce Le théâtre et son double, pièce jouée au début de la bande dessinée et moment symbolique qui marquera le début de l'histoire entre le narrateur et Marie.
Le dessin noir et blanc, assez surprenant, parfois simplement esquissé, lui permet de s'adapter à un style mélangeant fantastique, littérature et polar.
L'auteur fait de Marseille un personnage à part entière de son histoire.
À ce sujet, l'auteur nous raconte :
 « J'avais depuis longtemps le désir de faire un livre sur Marseille, une des rares villes où j'ai le sentiment que tout peut arriver à chaque coin de rue, le meilleur de préférence. C'est une ville esthétique et contrastée. Marseille est bien plus qu'un arrière-plan, c'est un personnage à part entière. ».
Cette bande dessinée offre une profondeur rare et subtile que plusieurs lectures permettent d'explorer. Le scénario, solide et original, nous fait découvrir un auteur tout à fait intéressant, également peintre et écrivain, dont on peut découvrir l’œuvre prolifique sur ce site.
On peut également visiter le blogue de l'auteur

Belle prise


Une belle prise à la bibliothèque aujourd'hui. De quoi me régaler sous notre merveilleux soleil d'automne !

Terra Australis, LF Bollée (scénario) et Philippe Nicloux (dessin), Éditions Glénat, 2013

Journal d'un corps, de Daniel Pennac, mis en dessin par Manu Larcenet, Éditions Futuropolis et Gallimard, 2013

Miss Pas Touche, Hubert (scénario) et Kerascoët (dessin), tomes 1 à 4, Éditions Dargaud, 2006-2009

Beauté, Hubert (scénario) et Kerascoët (dessin), tomes 1 et 2, Éditions Dargaud, 2011 et 2012

02 octobre 2013

La dérive des jours

La dérive des jours, de Jonathan Gaudet, Éditions Hurtubise, 2013

« Les champs sont compartimentés par les arbres qui en établissent les limites. Vu du ciel, on dirait un damier ocre et marron, teinté de vert et de gris, de noir et de jaune. Parfois une rivière ou un lac jette une flaque de bleu noir sur cette abstraction géométrique, brisant ses lignes sans fins et ses angles droits. Chaque carré de terre appartient à un propriétaire, grand ou petit, à une corporation en expansion ou à un fermier en cessation de paiement. Les fermes se transforment en industries et l'agriculture artisanale déclare faillite. » (p.20)  
Premier roman d'un jeune touche-à-tout (mais surtout musicien) québécois de 36 ans, La dérive des jours nous entraîne sur la ferme d'une petite famille constituée du père, Gérard et de la mère, Réjeanne, ainsi que de leurs deux enfants Samuel et Faustine, dans la région de la Baie-des-Chaleurs. Soudainement, les eaux montent, venues du sol, venues de nulle part, et envahissent les champs, forçant les membres de la famille à se réfugier dans un érable. Mais nous sommes à mille lieux du Baron perché, d'Italo Calvino (ça me donne l'occasion de citer ce livre, qui est l'un des livres qui m'a le plus marquée durant mon adolescence, ainsi que presque tout ce que Calvino a écrit d'ailleurs), comme le synopsis me l'avait fait imaginer.

Entrant en mode survie, coupés du reste du monde, ils devront se supporter les uns les autres dans tous les sens du terme, face à l'adversité de la nature, à l'intrusion d'un « étrange », face à leurs propres limites (physiques et morales) et face à la pire des conclusions.
Dans une sorte de huis-clos arboricole, l'auteur distille un suspense angoissant. Nous partageons tout au long des 345 pages du roman la détresse des quatre personnages. Chacun réagit avec sa propre psychologie, parfois un peu caricaturale (la jeune fille aimante et soignante, le fils qui veut prendre sa place d'homme, le père écrasé par son travail, la mère soumise), mais décrivant un microcosme familial peu exploré.
« La fatigue, bien entendu. Après quatre-vingt-seize heures suspendu aux branches d'un arbre, le corps ne réagit plus de la même façon. Il souffre d'un mal inédit : l'immobilisme. De nouveaux muscles sont découverts. La fatigue distord les autres sensations. Ligaments étirés, disque intervertébraux écrasés et épiderme à vif. La réalité passe par le filtre de la douleur.
La soif. Le fragile équilibre entre l'eau et la chair sur le point d'être rompu. Ça commence avec ce symptôme quotidien, presque banal : l'envie de boire. Puis, la soif se convertit en un besoin pressant, exigeant et vital.. L'impératif du corps. Les fibres des muscles se distendent, la peau s'assèche, le visage s'amincit et les os saillent. Les dernières ressources sont utilisées. La moindre once de gras est emportée par le cancer de la soif. » (p.235)
Par de belles descriptions de la campagne québécoise, Jonathan Gaudet rend hommage aux paysans et cultivateurs qui dépendent de leurs terres, de la météo et des éventuelles catastrophes. Si son roman frôle l'anticipation, il n'en demeure pas moins très réaliste, faisant la part belle aux préoccupations environnementales, que l'on peut retrouver dans plusieurs romans de cette rentrée littéraire (Le retour de l'ours, de Catherine Lafrance, que je suis en train de lire, aborde frontalement cette thématique sous la forme du conte et de la contre-utopie).
« Moi, il fallait que je prenne la terre. La maudite vaurienne de terre ! Elle te prend tout, te donne rien. Un printemps pourri et y'a rien qui lève, pis il neige en mai et tes pousses gèlent, ensuite c'est un été sans pluie et tout brûle. Mais ça, c'est pas grave parce que l'année d'après, c'est le déluge et tout est noyé ! Toujours trop ou pas assez, pas d'entre-deux. Les champs sans fin. Regardez ça ! » (p. 124)
Malgré une finale qui m'a laissée un peu sur mon appétit, La dérive des jours n'en reste pas moins une surprise inattendue dans la quantité de nouveautés sorties ces dernières semaines. À la fois littérature du terroir et histoire d'horreur par les éléments inquiétants de cette inondation soudaine, huis-clos faisant penser au théâtre par moments (nombreux dialogues) et roman écologique et de science-fiction, Jonathan Gaudet explore avec aisance plusieurs genres. Cette diversité, loin de nous perdre, donne de la force à son premier texte qui nous tient en haleine d'un bout à l'autre.

Lætitia Le Clech

Humeur musicale : Girls in Hawaii, Everest (62TV Records/BANG!/PIAS, 2013)

30 août 2013

Bilan de l'été

Bon, je sais. Vous allez me dire que l'été n'est pas terminé. Que voulez-vous, c'est symbolique. Dans 2 jours, c'est le mois de septembre. Tout le monde est retourné sur les bancs d'école. Alors, moi aussi, j'ai fait mes devoirs et recensé rapidement les jolies choses que j'ai lues cet été. Je vous souhaite à tous une rentrée littéraire enthousiasmante !

Mon roman de l'été : Le roman du mariage, de Jeffrey Eugenides. Pour ses descriptions de la société américaine contemporaine et ses portraits de la jeunesse universitaire désabusée et pour l'amour de la littérature, que chaque personnage déploie selon ses convictions (religieuse, scientifique ou amoureuse).

Le livre qui m'a fait redevenir végétarienne
: No steak, d'Aymeric Caron. Parce que parfois, ça prend juste ça pour passer à l'action. Je n'ai rien appris de très nouveau dans ce livre, mais il a cependant le mérite d'être cohérent et convaincant...

La découverte à approfondir
: On m'a offert Les éphémérides, roman publié en 2012 aux Éditions Rivages, et cela m'a suffisamment titillé pour me pencher sur le cas Stéphanie Hochet.

La découverte tardive
: Testament, de Vickie Gendreau. Le texte de Vicky Gendreau, décédée en mai dernier d'une tumeur au cerveau, prend malheureusement tout son sens aujourd'hui. Un réel talent littéraire chez cette jeune femme, qui a eu le temps de finaliser avec l'aide de son ami Mathieu Arsenault un deuxième livre, Drama Queens, qui sera publié début 2014 aux Éditions Le Quartanier.

La BD de l'été
: Big Questions, d'Anders Nilsen (L'Association, 2013), qui sous ses airs de dessin minimaliste et de questionnements existentiels naïfs nous met dans la peau de petits oiseaux et nous ouvre à leur univers pas si limité qu'on pourrait le penser. 15 ans de travail pour presque 600 pages de résultat. Une pure beauté graphique et narrative.

Une mention spéciale à Bicycle 3000, de l'auteur coréen O Se Hyung (Éditions Kana, 2012), qui relate un fait divers sordide basé sur de nombreuses ellipses et retours en arrière et sur un graphisme froid qui n'est pas sans rappeler Blast de Manu Larcenet. Deuxième mention spéciale à Un printemps à Tchernobyl, d'Emmanuel Lepage (Futuropolis, 2012), BD effrayante sur un reportage à Tchernobyl, de nos jours, pour un projet artistique engagé. La magnificence des dessins vient s'entrechoquer avec l'horreur absolue qui est là sous nos yeux.





 






La musique de l'été : Syd Matters, Sharon Van Etten, Maissiat, La musique du film québécois Camion, Lila dit ça, Lia Ices, Chris Garneau


Lætitia Le Clech

14 août 2013

Trois jours aux Correspondances d'Eastman

Au départ, le festival littéraire des Correspondances d’Eastman, dans les Cantons-de-l’Est, célèbre l’écriture en incitant les visiteurs à envoyer une missive à quelqu’un (gratuitement), après avoir flâné dans le joli village d’Eastman, à la bibliothèque ou le long du lac d’Argent. Quelques lieux sont ainsi aménagés à travers le village pour donner un peu d’inspiration aux écrivains en herbe.

« Donner le goût d’écrire et de lire en passant par l’échange épistolaire est l’un des objectifs avoués du comité organisateur, qui souhaite aussi que cet accent mis sur l’écriture vivante puisse valoriser le livre et le travail des écrivains. » (Site Internet des Correspondances d’Eastman)

À ce sujet, David Goudreault, slammeur et l’un des deux porte-paroles de cette 11e édition, ajoute :

«Pour moi, c'est comme un retour à la terre, confie David Goudreault. Ça me fait souvent rire quand je dis que je suis un auteur qui aime le texte, mais qui ne texte pas! Écrire à la main est pour moi un plaisir, un contact charnel, j'aime les ratures, c'est-à-dire avoir la preuve du doute, de l'erreur, plutôt que de seulement effacer. On efface les courriels, mais on conserve les lettres toute sa vie. Tout le volet épistolaire des Correspondances d'Eastman, c'est un moment d'arrêt qu'on peut se permettre, des vacances pour les gens qui ont un intérêt pour la littérature sous toutes ses formes. Ce peut être un bon moment pour prendre congé de la ville et reconnecter avec l'écriture.» (Entretien avec Chantal Guy, La Presse, 9 août 2013).
À ce but premier viennent se greffer de nombreuses autres activités : rencontres avec des auteurs, cafés littéraires, spectacles musicaux, cabarets littéraires.
Cette édition 2013 fut faste en rencontres magiques et échanges avec le public. La proximité entre les festivaliers et les auteurs a permis beaucoup de profondeur et a rendu les discussions fertiles et capables de s’enrichir entre elles

David Goudreault nous parle de cet aspect :
«Vous partagez un bed & breakfast avec de grands auteurs, et pourquoi pas une chambre avec un grand auteur, lance-t-il à la blague. C'est un événement extrêmement sain, simple et inclusif, où l'on fait des rencontres, où l'on est carrément dans le public, avec qui on discute et prend un verre.» (Entretien avec Chantal Guy, La Presse du 9 août 2013)
Pour ma première participation à cet événement littéraire réputé, j’avais sélectionné quatre activités qui m’ont toutes enchantée.  

Thomas Hellman chante Roland Giguère

L’héritage de la parole

La beauté comme rempart aux horreurs de l’histoire

Entre images et mots : BD et roman graphique 

À ces activités s'est ajoutée la rencontre du photographe du Devoir Jacques Nadeau à l'occasion d'une petite discussion à la bibliothèque du village.



Livres et auteurs :
 
Thomas Hellman chante Roland Giguère (livre-disque), Éditions de l’Hexagone, 2012
Roland Giguère, L’âge de la parole, Éditions de l’Hexagone, 1965
Evelyne de la Chenelière, La concordance des temps, Leméac Éditeur, 2011
Carl Leblanc, Artéfact, Éditions XYZ, 2012
Louise Dupré, Plus haut que les flammes, Le Noroît, 2010
Michel Rabagliati, Paul à Québec, Éditions La Pastèque, 2009
Delaf et Dubuc, Les nombrils, tomes 1 à 6, Éditions Dupuis, 2006-2013
Jacques Nadeau, Carré rouge, Fidès, 2012

Musiques du moment : Sharon Van Etten, Syd Matters, Lila dit ça, la bande-originale du film Camion, tout ça en boucle !