02 novembre 2011

Et au pire, on se mariera

Et au pire, on se mariera, Sophie Bienvenu, Éditions La mèche, 2011

Quelle belle surprise que cette nouvelle petite maison d'édition là ! La mèche, division de La courte échelle nous offre des livres beaux et agréables. Format parfait, douceur de la couverture, lettrage séduisant pour l’œil...

Et le contenu, qu'en est-il ? La maison d'édition attaque avec deux titres, La solde d'Éric McComber, et Et au pire, on se mariera, de Sophie Bienvenu.
Cette dernière, au Québec depuis une dizaine d'années, nous avait déjà livré les états d'âme d'un chien sur son blogue Lucie le chien, "adapté" en format livre par Septentrion, dans la collection Hamac (en même temps qu'Un taxi la nuit et Les chroniques d'une mère indigne). Elle a par ailleurs déjà exploré le monde de l'adolescence avec sa série jeunesse (k), parue à La courte échelle.
Dans son premier roman, l'auteure anthropomorphe crée le personnage d’Aïcha, jeune ado du Centre-Sud de Montréal, qui nous raconte son histoire. Enfin, à nous, ou plutôt à une travailleuse sociale. On devine un drame, la tension dans le récit s'intensifie, les mensonges d’Aïcha sont de plus en plus nombreux, sa colère de plus en plus forte.
Elle a dit tout doucement : « Mais Aicha... Il abusait de toi, c'était un sale type. »
Je voulais la tuer.
Tu sais, quand t'as l'impression que tu sors de ton corps, tellement t'as de la rage en dedans et qu'il n'y a plus de place pour toi-même ? Ben, c'est comme ça que je me suis sentie. J'ai crié fort et longtemps. (p.71)
C'est qu’Aïcha a fait la rencontre de Sébastien (Baz) et en est tombée amoureuse. Sauf que Baz a le double de son âge. Pour Aïcha, pas de problème, elle fera tout pour le séduire, sans que celui-ci n'entre cependant dans son jeu. À moins que...
Pourquoi des fois, tu donnes tout, tout, tout à quelqu'un, tellement tout qu'il te reste plus rien pour toi, même pas toi-même, et il en veut pas ? Il te crisse tout ça en pleine face, sans prendre la peine de t'expliquer, ou quoi. Juste en te tape-tape-tapant sur la tête avant de retourner gratter des tounes poches sur sa guitare de merde. (p.56)
Sophie Bienvenu utilise le langage adolescent de façon très précise. Si, au départ, on peut se demander comment elle s'en sortira pour que tournures de phrases ou expressions restent naturelles, on se rend compte qu'elle touche juste et incarne parfaitement cette adolescente brisée par la vie, qui énumère avec froideur ses drames personnels, comme si elle lisait une liste d'épicerie.
Par le biais de son personnage adolescent, unique narrateur de ce livre, l'auteure aborde des thèmes rarement traités par la littérature. Elle avoue d'ailleurs volontiers qu'elle voulait déranger le lecteur par ses propos et les thèmes abordés. Un de ses amis lui aurait même dit : « Je ne veux pas lire tes saloperies ». Une chose est sûre : ce ne sont certainement pas des saloperies, car il n'y a aucune perversion dans Et au pire, on se mariera. Juste une très jeune femme qui n'a jamais appris comment elle devait aimer et être aimée. Une très jeune femme qui commet l'irréparable pour ce qu'elle croit juste, parce qu'elle est toute croche.
Et Sophie Bienvenu réussit dans ce court récit à nous happer dans le quotidien d’Aïcha et à nous accrocher à sa souffrance.

Entrevue avec l'auteure dans La Presse, par Chantal Guy
Le site de Sophie Bienvenu 

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : la folie de Camille, avec son dernier album Ilo Veyou, paru chez EMI il y a 15 jours

4 commentaires:

Anonyme a dit...

bravo, encore un super texte qui donne envie de lire, encore et encore :)

Lætitia Le Clech a dit...

@ Ma Mère : Merci ! Mais j'ai l'impression d'avoir oublié de parler de plein de choses...

Djemaa a dit...

Bonne semaine, merci pour cette critique, Pascal, journaliste.

Atichoo! a dit...

Allo ! Je suis en train de le lire et hormis le language qui surprend au début mais auquel on s'habitue, je dois dire que c'est une belle découverte.

Quand se prend-t-on un café madame ?