26 décembre 2011

Évocation musicale


Dans la littérature, j'aime particulièrement les évocations musicales. Si celles-ci concernent le dernier album de P.J. Harvey, dont j'ai amplement parlé ici, alors le bonheur n'est que plus grand.
« Je tendais soudain l'oreille car ils passaient The Glorious Land de P.J. Harvey. Je tendis l'index vers le plafond. « Cette fille est incroyablement bonne », fis-je en secouant la tête. Je fermai les yeux et me concentrai quelques instants. « Vous avez tort de ne pas me croire, fis-je en lui prenant la main. Je viens d'avoir quelques journées éprouvantes et vous êtes en train d'effacer tout ça. » On entendait à présent On Battleship Hill - de quoi tomber à la renverse. »
Philippe Djian, Vengeances, p. 105

23 décembre 2011

Top littérature et musique

Comme tous les bilans de fin d'année, cet exercice est loin d'être objectif et surtout complet, puisque, bien entendu, je n'ai pas lu le centième de ce qui méritait d'être lu. Idem pour la musique. Mais ça résume un peu ce que j'ai aimé cette année. L'ordre des livres/disques/concerts est aléatoire, il n'y a pas de classement particulier. Sauf peut-être pour PJ Harvey, que j'ai écoutée presque chaque jour depuis sa sortie... D'où sa place en numéro 1.

Mon top littéraire 
1 - Il pleuvait des oiseaux - Jocelyne Saucier - XYZ
2 - Paul au parc - Michel Rabagliati- La Pastèque
3 - La grande maison - Nicole Krauss - Éditions du Boréal
4 - La concordance des temps - Evelyne de la Chenelière - Leméac
5 - La nuit sur les ondes - Elisabeth Hay (paru en 2007 en anglais mais traduit en 2011) - XYZ
6 - Apocalypse bébé - Virginie Despentes - Grasset
7 - Gaston Miron, la vie d'un homme - Pierre Nepveu - Éditions du Boréal
8 - Vengeances - Philippe Djian - Gallimard
9 - Asterios Polyp - David Mazzuchelli- Casterman
10 - Renée - Ludovic Debeurme - Futuropolis

Mon top musical
1 - Let England Shake - PJ Harvey
2 - Father, Son, Holy Ghost - Girls
3 - Metals - Feist
4 - Trame sonore de Belles-Sœurs, théâtre musical mis en scène par René Richard Cyr, d'après la pièce de Michel Tremblay - Daniel Bélanger (bon, je sais, le disque est sorti en 2010)
5 - St-Logan/Maurice - Antoine Corriveau
6 - Hypernuit - Bertrand Belin 
7 - La désert des solitudes - Catherine Major
8 - Variations fantômes - Philippe B
9 - Danger Mouse et Daniele Luppi - Rome
10 - Monogrenade - Tantale
11 - Anna Calvi - Anna Calvi

Concerts 2011
1 - Sophie Hunger - L'Astral, Montréal, le 29 avril 2011
2 - Patrick Watson et Timbre Timber - St-Jean sur Richelieu le 25 mars 2011
3 - Jimmy Hunt - Musée d'art Contemporain et Lavaltrie (version duo) - 4 et 18 mars 2011
4 - Katie Moore - Théâtre de verdure - 5 août 2011
5 - Monogrenade - La Tulipe - 23 novembre 2011

Mentions spéciales au concert-hommage à Lhasa, aussi spectacle de danse, à la 5e salle de la Place des arts, le 12 novembre dernier. Et bien sûr au spectacle Belles-Sœurs, vu à St-Jérôme le 7 octobre 2011.

Et le cinéma ?
Une bonne brassée de films dernièrement me donne envie de faire cette liste :
1 - La piel que habito - Pedro Almodovar
2 - La guerre est déclarée - Valérie Donzelli
3 - La fée - Dominique Abel et Fiona Gordon
4 - Les rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch - Anne Linsel et Rainer Hoffman
5 - Melancholia - Lars von Trier
6 - Monsieur Lazhar - Philippe Falardeau
7 - Le vendeur - Sébastien Pilote

13 décembre 2011

La saison froide

La saison froide, Catherine Lafrance, Éditions La Presse, 2011

Le récit de Catherine Lafrance constitue le premier roman publié par les Éditions La Presse. Celles-ci se spécialisent dans les livres grand public, entre autres les ouvrages pratiques. Leur catalogue comprend des titres diversifiés incluant plusieurs best-sellers. 
En tant que fiction, La saison froide s'adresse donc à ce public qui veut apprendre quelque chose tout en se divertissant. 
À cet égard, le premier roman de la journaliste Catherine Lafrance atteint son objectif.
Elle nous conte l'histoire d'une femme qui décide, après une rupture douloureuse, de partir travailler à Yellowknife, la capitale des Territoires du Nord-Ouest. Elle quitte la canicule pour le grand froid, le Sud du Québec pour le Grand Nord mythique et fantasmé par de nombreuses personnes.
Catherine Lafrance nous offre une belle description du quotidien nordique, de la mentalité des gens qui se battent continuellement contre le froid et les éléments naturels. En effet, on peut se demander qui, de prime abord, irait vivre dans un endroit où il fait presque nuit six mois par année? Où le lac devient si gelé qu'on y aménage des routes qui serviront pendant l'hiver? Où des gens meurent de froid devant leurs portes parce que trop ivres pour trouver la serrure et rentrer chez eux après une soirée un peu trop arrosée?
Qui sont ces gens venus à Yellowknife pour gagner de l'argent, parfois beaucoup d'argent (grâce au travail dans les mines entre autres), et qui n'en repartent plus?
Qu'y trouvent-ils?
Tous ces aspects sont abordés par l'auteure qui n'a pas de réponse toute faite mais qui nous présente souvent le Grand Nord comme un lieu imprévisible, autant dans la vie quotidienne que par les rencontres qu'on y fait, et un lieu où la chaleur des gens vient compenser la froideur de l'air. Car il fait froid, à Yellowknife, et l'on frissonne souvent à la lecture du roman.
« La ville baigne dans le froid, aujourd'hui encore. La ville n'est que froid. La couche de frimas qui s'est formée sur les arbres nus il y a des semaines, au début de l'hiver, est toujours là. Des flocons amidonnés, compacts et glacés, se sont agglutinés aux branches, collant à elles comme une deuxième peau. » (p. 96)
Et les relations y sont aussi parfois rudes, comme le montrent les nombreuses oppositions et incompréhensions entre les Southerners et les Northerners. Dans un environnement aussi brut, comment peut-il en être autrement ?

La saison froide se rapproche du livre d'Elizabeth Hay La nuit sur les ondes, dont j'ai parlé il y a quelques mois et qui se déroule également à Yellowknife. 
Ces deux romans apportent un brillant éclairage pour qui s'intéresse à la mythologie nordique et souhaite en savoir plus sur un territoire du Canada peu connu, y compris des autres Canadiens.
 
Sur le plan de la structure, La saison froide se découpe un peu comme un scénario de cinéma. Quand on sait que Catherine Lafrance est également scénariste de séries télévisées, on comprend mieux son aisance dans ce domaine. La compréhension de certains éléments arrive progressivement, par de nombreux retours en arrière entrecoupés de courts passages dans le présent. Cette structure peut être un peu difficile à suivre par moments et il vaut quasiment mieux lire le livre d'un seul coup pour ne pas se perdre.
Mais à la manière d'une série que l'on suivrait chaque semaine, on est tenu en haleine par un suspense très bien mené. La première (trop?) longue scène – qui se déroule dans un bar – permet de situer tous les lieux et les personnages, notamment la meilleure amie de l’héroïne, Jill, libraire joyeuse.
Puis, le récit nous permet également de découvrir l'environnement de travail de notre protagoniste, qui est journaliste à Radio-Canada. Elle doit couvrir pour son travail une Commission de vérité et de réconciliation sur les pensionnats indiens. Ces passages ouvrent le roman sur un aspect politique qui aurait pu d'ailleurs être davantage élaboré pour nous éclairer sur certaines particularités du Grand Nord.
D'autant plus que l'auteure Catherine Lafrance connaît bien son sujet puisqu'elle anime une émission de radio sur la CBC sur les enjeux nordiques.
Les histoires d'amour de Jill et de notre héroïne ont été secondaires pour moi, même si la fréquentation de ces hommes "de la place" apporte une autre perspective sur les relations humaines dans ces contrées difficiles.

D'un point de vue stylistique, l'auteure a une belle plume et elle la déploie souvent efficacement, même si l'on sent parfois le travail appliqué de la bonne élève. Par exemple, les fréquentes oppositions, surtout à la fin du roman, lors de la rencontre avec les deux hommes mennonites dans le bar, entre l'état présent de l’héroïne (« Pourquoi suis-je fatiguée tout à coup ? ») et le passé avec Sean (« Pourquoi Sean ne pouvait-il dormir cette nuit-là ?» p. 240) sont quelque peu redondantes et prévisibles. Mais ces oppositions continuelles entre le passé et le présent répondent à la structure souhaitée du récit. Celui-ci devient donc très vivant, on ne s'y ennuie pas, même si certains passages auraient pu à mon avis être raccourcis (le voyage en motoneige pour aller au chalet par exemple). L'auteure s'efforce également de mettre beaucoup de couleurs à son récit, au sens propre comme au figuré : « Elle avait des cheveux bruns qui effleuraient ses épaules, une frange impeccablement droite sur le front, juste au-dessus de ses lunettes à monture rouge, une longue jupe noire et une blouse blanche immaculée.» (p. 25)

On se laisse facilement entraîner dans cet épisode de la vie de cette femme qui laisse tout derrière elle et part sans préjugés vers une contrée inconnue. C'est l’œil neuf, parfois naïf, qui est le plus intéressant et nous permet de vivre avec elle cette grande aventure humaine.

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Trentemøller, Shades of Marble (Into the Great Wide Yonder, 2011). Après avoir vu La piel que habito, d'Almodóvar, je me suis jetée sur cette musique envoûtante à écouter à fond les ballons.  Ah, ça fait du bien...