28 novembre 2011

Mile End

Mile End, Michel Hellman, Éditions Pow Pow, 2011

Le bédéiste Michel Hellman, que j'ai rencontré lors du dernier Expozine, me disait vivre encore aujourd'hui dans le Mile End, au dessus du Wilensky, et d'après lui, le désormais célèbre (la faute à Arcade Fire, entre autres...) quartier de Montréal est en train de changer.

C'est ce que l'on peut voir dans sa nouvelle bande dessinée intitulée tout simplement Mile End, et publiée aux Éditions Pow Pow, toute nouvelle maison d'édition québécoise, qui se définit ainsi sur son site : « Nous sommes une nouvelle maison d’édition dans le monde de la bande dessinée québécoise. Tenter de définir une ligne éditoriale si tôt dans le projet serait se mettre des barrières que l’on devrait faire tomber par la suite. Passant de l’humour au drame, nos deux premières publications donnent un avant-goût du spectre de genres que nous voulons couvrir. Nous publierons des auteurs établis et ferons aussi découvrir de nouveaux talents au public québécois. Et nous avons bien l’intention de nous amuser et de vous surprendre. »

Mises à part quelques anecdotes vraiment inhérentes au quartier Mile End, l'ouvrage de Michel Hellman touche la vie de quartier en général, en se concentrant plus sur des spécificités québécoises (le ramassage des poubelles, le ramassage de la neige, la difficulté de l'hiver...) que sur des caractéristiques uniquement reliées au quartier Mile End.
Cependant, certains détails, des lieux, des personnages démontrent une réelle connaissance du quartier Mile End. Celui-ci est aujourd'hui réputé pour ses hipsters, ses groupes de musique, ses loyers désormais inaccessibles (le quartier a connu, tout comme le Plateau Mont-Royal voisin, une véritable gentrification qui n'est pas terminée), mais aussi ses institutions et sa population (Fairmount Bagels, Wilensky, les Juifs hassidiques). Tout cela, et plus encore, est bien évoqué et décrit dans la bande dessinée.
D'autre part, ces singularités québécoises, croquées par le dessinateur, nous font souvent rire et Michel Hellman se fait le témoin d'une époque presque révolue, en témoigne l'histoire de son ordinateur...
Le coup de crayon de Michel Hellman est très simple, subtil. Son souci du détail, sans lourdeur. Il se représente lui-même sous les traits d'un ours, anthropomorphisme offrant un clin d’œil à plusieurs auteurs de BD tels Trondheim.

J'ai adoré les premières pages qui résument en 20 cases la formation du quartier Mile End, en prenant quelques raccourcis qui en font un ensemble hilarant. Cela pourrait commencer ainsi : « Au début, la Terre n'était que feu, le Mile End n'était qu'un champ »...
Le regard assez original de Michel Hellman et sa façon d'illustrer les anecdotes cocasses de sa vie font de son deuxième ouvrage publié (après Iceberg, en 2010, publié chez Colosse, Jimmy Beaulieu Éditeur) une réussite.

Le site de l'auteur
Le premier livre de Michel Hellman et

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Geographer, Animal Shapes (Tricycle Records, 2011)

27 novembre 2011

Quai 31

Quai 31, Marisol Drouin, La Peuplade, édition et diffusion d'art, 2011

Petite maison d'édition basée à Chicoutimi, La Peuplade offre des ouvrages fort jolis, et des textes originaux venus de jeunes auteurs québécois. Notons la publication dernièrement du dernier roman de Bertrand Laverdure, Bureau universel des copyrights, qui n'en est pas à ses premières armes.

Marisol Drouin, originaire de la région de Charlevoix, signe quant à elle avec Quai 31 son premier roman. Celui-ci nous raconte l'histoire d'Échine et de sa mère, forcés de fuir une île submergée par les eaux et qui sont transportés, avec leurs semblables, par voie maritime, sur des terres plus accueillantes, ou devrais-je dire plus sèches. Parce que pour l'accueil, on repassera... La saleté côtoie le charcutage d'organes, les séances de masturbation collective, la chasse sauvage aux chats, la maladie, la froideur des sentiments et la ségrégation sociale (Haute-Ville / Basse-Ville). Roman presque d'anticipation, dans un futur peut-être pas si lointain, mais on espère que non, Quai 31 suit son personnage principal, Échine, qui rencontre Pinoche, Chirma, et toutes sortes de personnages trafiqués, transplantés, opérés, et évoluant dans des lieux glauques, au milieu desquels trônent des bocaux remplis d'organes humains.
Pas très joyeux tout cela me direz-vous ? Non, en effet, et c'est par moment encore bien pire. Mais je ne veux pas vous écœurer de ce curieux petit roman.
Il contient au contraire quelques trouvailles magnifiques et un rythme certain, sous une plume plutôt froide mais qui correspond à l'effet recherché. Les personnages sont en effet presque désincarnés dans ce roman, encore plus lorsque survient une étrange maladie appelée le tordu, malformation de la colonne vertébrale qui se répand comme une trainée de poudre et qui fait que ceux qui en sont atteints se recroquevillent sur eux-mêmes dans d'atroces douleurs jusqu'à en mourir. Notre ami Échine en est exempt grâce à une opération qu'il a "gagnée" avant d'être transporté dans son nouveau lieu de vie. Ce qui fait de lui, et de tous les autres "sans-terres", un suspect idéal à éliminer.
Le rythme de la narration est soutenu et les dialogues aiguisés, ce qu'imagine l'auteure a certaines résonances dans notre présent. Ce qui en fait un livre intéressant à lire et prometteur pour la suite. Même si l'avenir, sous la plume de Marisol Drouin, paraît bien incertain... 

Ma Mère en a parlé sur son site (Merci à elle pour le cadeau!)
Le blogue de l'auteure

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Keith Jarrett, The Köln Concert (ECM Records, 1975)

26 novembre 2011

Gaston Miron

Gaston Miron, la vie d'un homme, par Pierre Nepveu, Éditions du Boréal, 2011

Livre reçu dans le cadre de Masse Critique Québec, automne 2011

Dans cette imposante biographie, le poète, essayiste et professeur Pierre Nepveu se met totalement au service de son sujet pour livrer au lecteur curieux et avide d'Histoire la vie de Gaston Miron.
À travers la vie de ce poète célébré par tous, c'est toute l'Histoire du Québec qui se raconte, le Québec de la Grande Noirceur et celui de la Révolution Tranquille. Celui de la Crise d'Octobre et de tous les événements, aussi bien sociaux que culturels, qui ont bâti le Québec d'aujourd'hui.
En cela, Gaston Miron, la vie d'un homme, dépasse la simple biographie.
Les chapitres sont organisés par grandes thématiques, ce qui nous éloigne également du catalogage chronologique que l'on retrouve bien trop souvent dans la plupart des biographies.
La démarche de Pierre Nepveu se résume assez bien dans cette phrase, page 171 : « On ne saisit pas tout à fait le Miron poète si l'on n'y perçoit non seulement l'homme du folklore et de l'aventure scoute, l'apôtre des bonnes causes, mais aussi, jamais loin derrière, l'observateur critique, l'analyste social, le journaliste - si l'on ne voit pas que sous l'énergumène se répandant volontiers en pitreries, il y a un être diablement sérieux qui regarde à la loupe son milieu et en détecte les défaillances et les carences profondes. »
On comprend un peu mieux l'approche adoptée par le biographe : chaque aspect de la personnalité de Gaston Miron, qui est surtout connu par le grand public comme le poète national du Québec, est décortiqué et analysé.
Cela permet de relier en un seul homme des sentiments parfois contradictoires, ainsi que des valeurs et des inquiétudes qui ont traversé le Québec.
Nous côtoyons également les Gilles Carle et Hubert Aquin de ce monde, et assistons contemplatifs au génie de ces personnalités qui voulaient absolument changer les choses.
On retiendra entre autres de Miron son attachement aux Laurentides et au Nord, ainsi que sa difficulté de vivre une relation amoureuse en tant que jeune adulte, qui lui inspireront de nombreux poèmes, dont La marche à l'amour et La batèche. Pierre Nepveu ne cache pas dans sa biographie les difficultés de vivre de Miron, ni ses difficultés à créer. Ses premiers textes sont plutôt naïfs et simples, et le biographe n'hésite pas à pointer les erreurs de français ou les incohérences en inscrivant un (sic) entre parenthèses à côté de certains de ses vers... Mais on devine également l'attachement de l'auteur à son sujet, comment pourrait-il en être autrement quand on se consacre à quelqu'un de la sorte ? Quelle générosité de rendre un tel hommage à un artiste et un créateur québécois d'une telle importance, afin que son œuvre reste pour encore très très longtemps vivante dans la mémoire collective du Québec.

On se doute qu'une telle somme d'informations a demandé un énorme travail de recherche à Pierre Nepveu. Le projet est né il y a plus de 10 ans, et c'est grâce à des milliers de documents et de multiples rencontres, entrevues et lectures que l'auteur a réussi, après plus de six années d'écriture, à organiser sa biographie autour de grands thèmes, eux-mêmes intégrés dans une chronologie allant de 1928 - année de sa naissance - à la mort du poète en 1996.
Dans un style très riche et qui nous captive d'un bout à l'autre du livre, agrémenté d'annotations en fin d'ouvrage, d'un index précis et des incontournables photos biographiques, le livre de Pierre Nepveu, œuvre monumentale, restera à jamais la référence biographique sur le créateur de L'homme rapaillé, elle-même œuvre unique de toute une vie.

La nuit de la poésie, de  Jean-Claude Labrecque et Jean-Pierre Masse 
À écouter : Douze Hommes Rapaillés chantent Gaston Miron (Spectra, 2008)
À lire : le questionnaire de Mallarmé auquel Pierre Nepveu répond en se mettant dans la peau de Miron
Une belle critique de Tristan Malavoy-Racine dans le journal Voir

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Catherine Major, Le désert des solitudes (Spectra, 2011)

20 novembre 2011

Paul au parc

Paul au parc, Michel Rabagliati, Éditions La Pastèque, 2011

Image tirée du Journal La Presse, parution du week-end du 5 et 6 novembre

L'arrivée d'un nouveau Paul est toujours un événement, il n'y avait qu'à voir la file d'attente au Salon du livre ces derniers jours au stand des Éditions de la Pastèque pour s'en  convaincre... Particulièrement depuis Paul à Québec, Michel Rabagliati est une vraie star !
Dans le tout dernier de la série des Paul, l'auteur nous plonge dans le climat politique de 1970 (revendications du FLQ, Crise d'Octobre, etc.) grâce à une reconstitution minutieuse des détails historiques comme il sait si bien le faire. Fin observateur de son époque, chaque petit détail dans les dessins permet de situer plus précisément l'ambiance du moment, que ce soit dans la rue ou à la maison, avec ses parents, sa sœur qui se moque perpétuellement de lui, et surtout cette grand-mère parisienne qui vit dans l'appartement en face, sur le même palier, et qui s'immisce dans l'intimité de la famille, au grand dam de la mère de Paul.

À l'été 1970, l'organisation scoute à laquelle Paul va prendre part deviendra une deuxième cellule familiale d'importance pour lui. Encouragés par les animateurs scouts, qui à l'époque, n'avaient pas l'image dépassée qu'ils peuvent avoir aujourd'hui, ainsi que par la lecture du livre Comment on devient créateur de bande dessinée, de Franquin (créateur de Spirou et de Gaston Lagaffe) et Gillain (Tanguy et Laverdure), Paul développera ses talents artistiques (photo, dessin). 
Il passera également sa première nuit seul dans la forêt, découvrira la vie en communauté, avec sa sizaine les Bruns, et partagera les valeurs plus ouvertes et libérales de ses animateurs, qui tentent de se détacher des préceptes plus formels de Baden-Powell, fondateur du scoutisme, dans un contexte de modernisation du Québec.
Parallèlement au monde scout, Paul découvre aussi l'amour avec Hélène et sort tranquillement de l'enfance, sans grands heurts ni malheurs.
Dans cette atmosphère plus légère et anecdotique, la finale plus dramatique arrive de façon inattendue et nous permet de verser cette petite larme qui fait que les Paul sont des incontournables de la BD, capables de nous émouvoir, de nous faire rire, de nous toucher. Michel Rabagliati est un auteur toujours aussi sensible et qui sait traduire par un coup de crayon simple et reconnaissable entre tous toute une gamme d'émotions.

Les Éditions de la Pastèque (au bas de cette page, vous pourrez lire tous les articles consacrés au dernier Paul)
L'article du Devoir, par Fabien Deglise
L'article de La Presse, par Alexandre Vigneault

[Lætitia Le Clech]

15 novembre 2011

Danse Lhasa danse

Il est étonnant de ne rien lire dans les médias (si ce n'est des pré-papiers) sur l'événement Danse Lhasa danse de vendredi dernier à la cinquième salle de la Place des Arts. Même si ce spectacle ne sera pas reproduit, car il a été créé pour une soirée unique (peut-être aurons-nous des surprises ?), il m'apparait intéressant de souligner l'audace et la beauté de celui-ci. Danse Lhasa danse a été présenté dans le cadre de Coup de cœur francophone, en hommage à la magnifique Lhasa.

Regroupant pas moins de 25 personnes en tout, dont 6 chanteurs, le spectacle Danse Lhasa danse a été imaginé par l'artiste multidisciplinaire Pierre-Paul Savoie, qui a eu cette idée après la mort de Lhasa De Sela le 1er janvier 2010. Il a présenté ce projet atypique à Alain Chartrand, le directeur général et artistique de Coup de cœur.
L'idée était de fusionner la danse et la musique sans séparer les deux médiums artistiques. 
On peut dire que le pari a été réussi puisque la danse a littéralement "habillé" la musique de Lhasa, la rendant encore plus charnelle, presque vivante. Un magnifique tango, des corps qui se cherchent, se trouvent, roulent l'un sur l'autre, des danseurs qui se fuient, qui se retrouvent. Gumboots, danse contemporaine, flamenco, tango, tous ces styles se sont enchaînés avec bonheur.
Des six chanteurs, seuls Thomas Hellman et Bïa ont réellement connu Lhasa. Ils nous ont livré une performance tout en finesse et en émotions. Bïa pourrait être la petite sœur spirituelle de Lhasa par son intensité et la chaleur de son chant. Thomas Hellman a chanté et joué du banjo en laissant parler la musique.
Les autres chanteurs, Karen Young, à l'aise dans tous les registres, Alexandre Désilets (qui a également dansé avec Roxane Duchesne-Roy et qui a interprété avec brio trois chansons dont Con Toda Palabra, certainement l'une des plus connues de Lhasa, ainsi que De Cara A la Pared), Geneviève Toupin et Alejandra Ribera, une grande découverte (quelle voix!), ont tous été magnifiques de justesse. Ces chanteurs étaient accompagnés par Denis Faucher (piano, synthétiseur), Joe Grass (le seul ancien musicien de Lhasa présent, à la guitare), Sheila Hannigan (violoncelle) et Pascal Racine-Venne (batterie), sous la direction musicale de Philippe Brault (contrebasse).

Les 21 chansons très bien choisies pour leurs thématiques étaient parfois accompagnées d'explications, dites par Lhasa elle-même, moments d'intenses émotions. Quelques petites vidéos ont été présentées également, mais juste assez pour ne pas rentrer dans le "facile". On l'a aussi entendue rire, la belle Lhasa, et cet éclat de rire restera ancré en moi comme souvenir de cette chanteuse qui célébrait la vie autant qu'elle essayait de comprendre et d'accepter la mort.

À noter : un autre spectacle rendra hommage à Lhasa, avec quelques-uns des musiciens vus samedi soir dernier. Cela aura lieu au Rialto, le 6 janvier 2012, et vous pouvez vous procurer des billets ici. Cela promet d'être extraordinaire vu la liste des invités (Arthur H, Patrick Watson, The Barr Brothers...)...

"Son œuvre m’a transpercé et elle m’atteint là où le créateur veut prendre parole, déclare le fondateur de la compagnie PPS Danse. Je me sens comme un relais de la résonance qu’elle a eue en moi: je reprends le flambeau pour mettre son héritage en lumière. Comme le dit si bien Mario Légaré, son bassiste, Lhasa avait quelque chose de sacré. Elle chantait avec son âme. Donner une vision à ses chansons et les faire résonner à travers le corps est une belle façon de lui dire merci et de lui rendre hommage. Parce que la danse, c’est le langage de l’âme."(extrait de l'article de Fabienne Cabado du journal Voir)

Un article vient de paraître, qui apporte des informations supplémentaires sur le côté danse du spectacle.

[Lætitia Le Clech]

02 novembre 2011

Et au pire, on se mariera

Et au pire, on se mariera, Sophie Bienvenu, Éditions La mèche, 2011

Quelle belle surprise que cette nouvelle petite maison d'édition là ! La mèche, division de La courte échelle nous offre des livres beaux et agréables. Format parfait, douceur de la couverture, lettrage séduisant pour l’œil...

Et le contenu, qu'en est-il ? La maison d'édition attaque avec deux titres, La solde d'Éric McComber, et Et au pire, on se mariera, de Sophie Bienvenu.
Cette dernière, au Québec depuis une dizaine d'années, nous avait déjà livré les états d'âme d'un chien sur son blogue Lucie le chien, "adapté" en format livre par Septentrion, dans la collection Hamac (en même temps qu'Un taxi la nuit et Les chroniques d'une mère indigne). Elle a par ailleurs déjà exploré le monde de l'adolescence avec sa série jeunesse (k), parue à La courte échelle.
Dans son premier roman, l'auteure anthropomorphe crée le personnage d’Aïcha, jeune ado du Centre-Sud de Montréal, qui nous raconte son histoire. Enfin, à nous, ou plutôt à une travailleuse sociale. On devine un drame, la tension dans le récit s'intensifie, les mensonges d’Aïcha sont de plus en plus nombreux, sa colère de plus en plus forte.
Elle a dit tout doucement : « Mais Aicha... Il abusait de toi, c'était un sale type. »
Je voulais la tuer.
Tu sais, quand t'as l'impression que tu sors de ton corps, tellement t'as de la rage en dedans et qu'il n'y a plus de place pour toi-même ? Ben, c'est comme ça que je me suis sentie. J'ai crié fort et longtemps. (p.71)
C'est qu’Aïcha a fait la rencontre de Sébastien (Baz) et en est tombée amoureuse. Sauf que Baz a le double de son âge. Pour Aïcha, pas de problème, elle fera tout pour le séduire, sans que celui-ci n'entre cependant dans son jeu. À moins que...
Pourquoi des fois, tu donnes tout, tout, tout à quelqu'un, tellement tout qu'il te reste plus rien pour toi, même pas toi-même, et il en veut pas ? Il te crisse tout ça en pleine face, sans prendre la peine de t'expliquer, ou quoi. Juste en te tape-tape-tapant sur la tête avant de retourner gratter des tounes poches sur sa guitare de merde. (p.56)
Sophie Bienvenu utilise le langage adolescent de façon très précise. Si, au départ, on peut se demander comment elle s'en sortira pour que tournures de phrases ou expressions restent naturelles, on se rend compte qu'elle touche juste et incarne parfaitement cette adolescente brisée par la vie, qui énumère avec froideur ses drames personnels, comme si elle lisait une liste d'épicerie.
Par le biais de son personnage adolescent, unique narrateur de ce livre, l'auteure aborde des thèmes rarement traités par la littérature. Elle avoue d'ailleurs volontiers qu'elle voulait déranger le lecteur par ses propos et les thèmes abordés. Un de ses amis lui aurait même dit : « Je ne veux pas lire tes saloperies ». Une chose est sûre : ce ne sont certainement pas des saloperies, car il n'y a aucune perversion dans Et au pire, on se mariera. Juste une très jeune femme qui n'a jamais appris comment elle devait aimer et être aimée. Une très jeune femme qui commet l'irréparable pour ce qu'elle croit juste, parce qu'elle est toute croche.
Et Sophie Bienvenu réussit dans ce court récit à nous happer dans le quotidien d’Aïcha et à nous accrocher à sa souffrance.

Entrevue avec l'auteure dans La Presse, par Chantal Guy
Le site de Sophie Bienvenu 

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : la folie de Camille, avec son dernier album Ilo Veyou, paru chez EMI il y a 15 jours