11 juin 2011

La concordance des temps

La concordance des temps, Évelyne de la Chenelière, Leméac Éditeur, 2011

La quatrième de couverture nous dit : « Avec une énergie loin du désespoir, lucide et vitale, Évelyne de la Chenelière explore dans son premier roman le gouffre qui éloigne et sépare, malgré eux, les êtres les plus semblables ».
Un mot me semble important ici, il s'agit d'« explore ».
Autant la forme que le fond semblent en effet résulter de recherches et d'explorations de la part de l'auteure, dont c'est le premier roman. On lui connaît plusieurs pièces de théâtre, dont certaines ont obtenu un grand succès et ont été traduites dans plusieurs pays (Des fraises en janvier, montée en 1999 pour la première fois). 
L'auteure parle de la différence entre écrire pour le théâtre et l'écriture d'un roman :
« Écrire pour le théâtre, c'est avoir la conscience d'écrire une partition dont d'autres créateurs vont s'emparer, ce qui est très heureux, mais c'est un matériau pour la scène, prévu pour un laps de temps, explique-t-elle. Cette idée du temps est complètement brisée avec le roman puisque, évidemment, chaque lecteur s'empare du livre dans une temporalité qui est la sienne. Je trouvais que, mine de rien, dans la construction d'un objet théâtral, il y a une partie de censure dans l'écriture. J'avais envie d'une liberté totale, d'un espace, d'une chambre à moi. »
On peut trouver dans son roman plusieurs aspects théâtraux qui lui viennent de son expérience.
Les personnages, qui avancent l'un vers l'autre (enfin, l'un avance, l'autre pas) pour se rencontrer et qui nous font part de leurs réflexions foisonnantes.
Les différentes parties qui pourraient correspondre à différents actes, malgré un déséquilibre entre la première partie et les autres.
Mais surtout la langue et son maniement. Tout repose sur cet amour pour la langue française.
J'ai pu entendre quelques passages du livre magnifiquement lus, à la radio, par l'artiste Thomas Hellman (lui-même un amoureux de la langue et merveilleux lecteur) pour me rendre compte que ce livre révélait d'autres secrets à chaque différente lecture (lecture silencieuse ou lecture à voix haute).
« Et si tout s'inversait, je veux dire la sexe des choses, la genre des mots qui nomment les gens les animaux les objets et les concepts ?
Si, sans autre justification que la plaisir d'un expérimentation, nous nous mettions, toi et moi, à nous parler de ce façon, peut-être que les notions eux-mêmes nous apparaîtraient dans un perspective nouveau. Peut-être que nous découvririons par cette nouvelle langage, que certaines mots deviennent moins effrayantes quand elles changent de sexe...» (p.20)
Ce passage est si beau que j'aimerais vous le recopier en entier... Mais je vous laisserai le découvrir, en lisant le texte, ou bien en écoutant le lien ci-haut.
Des perles comme celles-ci, ce roman en contient de nombreuses et si la lecture de l'ensemble m'a semblé par moment ardue, chacun de ces passages magnifiques me ressaisissaient et me ramenaient à la profondeur du texte.

Un homme marche vers une femme, qui l'attend dans un restaurant. Il est sans cesse retardé par des événements ou des rencontres inattendues. Cette attente, de part et d'autre, donne lieu à des réflexions sur l'amour, le couple, la famille. Ce qui rend la lecture plus difficile est le fait que les narrateurs alternent si souvent qu'à un moment donné, nous ne savons plus si c'est "il" ou si c'est "elle". Nous savons bien sûr que cela est voulu.
Ce livre mérite plusieurs lectures, pour la beauté de la langue et l'exercice de style, mais aussi pour intégrer tous les thèmes et réflexions qui y sont abordés par l'auteure.
On peut ainsi ouvrir le livre à une page au hasard et méditer sur ce que l'on y trouvera.
Essayons pour voir : 
« J'ai demandé pardon à ma sœur, qui m'a pardonné. Je me suis rendu compte qu'il était bon d'être pardonné, même pour une faute qu'on n'avait pas commise ». (p.69)
Une autre : 
« Je suis plutôt du type à constater la nature sans chercher sa proximité, ni sa transformation, ni sa possession. Les simplistes concluent à tort que la nature m'indiffère ou m'effraie » (p.29)
Alors, ça vous inspire ?

[Lætitia Le Clech]

Un très bon article de Chantal Guy dans La Presse

 Humeur musicale : Bonnie Prince Billy

2 commentaires:

Anonyme a dit...

"Il était un fois un petit sorcière qui aurait aimé être bonne.Mais chaque fois qu'elle essayait de faire la bien, elle déclenchait un catastrophe"...Ou encore, dans une autre histoire, "Un jour c'était la nuit, une vieille sorcière toute jeune qui demeurait Rue Bicond préparait une savoureuse mixture dégoutante dans une grosse marmite minuscule..."Ce que tu évoques du livre de Evelyne La Chenelière me rappelle ce livre-jeu de Yak Rivais qui amène par des exercices de styles - changement d'articles, opposition des adjectifs - à remettre en question les constructions grammaticales classiques et ouvre ainsi de nouvelles perspectives au jeune lecteur tout le faisant s'amuser. Peut-être De la Chenelière en fait-elle de même avec la grammaire de la rencontre amoureuse et la syntaxe de la vie. En tout cas, ce que tu en dis pique la curiosité et invite à la découverte. Merci : )
Sylvie

Lætitia Le Clech a dit...

Merci pour tes commentaires toujours pertinents. J'aime beaucoup ta phrase : « de la Chenelière en fait de même avec la grammaire de la rencontre amoureuse et la syntaxe de la vie »...
C'est un peu cela en effet. Ce texte ouvre nos horizons !