22 juillet 2007

Dans la peau de ...

Dans la peau d'un intouchable, de Marc Boulet, Éditions du Seuil, 1994

Marc Boulet, journaliste, lassé de sa modeste vie parisienne, décide de se faire passer pour un intouchable mendiant, en Inde, afin de vivre la pauvreté extrême, totale, et d'observer le comportement que cet état peut entraîner chez les autres.
Ainsi, après une longue préparation (apprentissage de la langue, de la culture, stratégies pour se colorer la peau, etc.), il se rend avec sa femme à Bénarès où il va encore perfectionner sa langue et se préparer à son expérience. Puis il se lance et part plusieurs semaines dans la rue, à la gare, dans les lieux touristiques, afin de quêter quelques sous pour manger et rencontrer ses semblables.
Il atteindra plusieurs fois le fond, se résignant à rentrer à son hôtel où sa femme l'attend avec inquiétude.
La démarche de Marc Boulet est parfois difficile à saisir
. Fait-il cela juste pour écrire un livre ? C'est ce qu'il semble dire plusieurs fois dans son exercice et notamment à la fin.
En même temps on ne peut pas s'empêcher de se dire que c'est facile pour lui : il joue à l'intouchable, et puis quand ça ne va plus, il rentre chez lui prendre une bonne douche...
L'auteur sait aussi user d'un style souvent familier (voire vulgaire) qui peut parfois énerver. Mépris ou incompréhension ? L'auteur lui-même hésite parfois, oscillant entre un attachement profond à ce pays et des critiques acerbes sur le fonctionnement de l'Inde (système des castes, économie à deux vitesses, anarchie religieuse).

Ce qui ressort de cet ouvrage, c'est toutefois cette connaissance profonde de l'Inde et de son fonctionnement, l'apprentissage de la langue, la volonté de s'intégrer parfaitement à la société et donc de la connaître à fond. On ne peut nier cela, Marc Boulet critique parfois vertement l'Inde, mais par ces mots on sent aussi l'amour qu'il a pour ce pays. C'est un amour mêlé de haine, une haine que l'on ne peut se permettre qu'en connaissant très bien une société, je crois.
Alors la forme peut être critiquable, elle a depuis été maintes fois utilisée (Dans la peau d'un noir, Dans la peau d'un Chinois, Dans la peau d'un homme (!) - que j'ai vu récemment dans la librairie de l'aéroport - et j'en passe...), mais elle n'en est pas moins une façon d'en apprendre davantage sur ce pays fascinant, qui décidément, n'a pas fini de nous étonner.
Une intégration totale dans un pays si différent de la France est impressionnante, et que l'auteur n'ait eu aucun problème avec la police locale ou les autres mendiants peut étonner (parler couramment hindi après 6 mois d'étude de cette langue si complexe me semble impossible. Mais Marc Boulet, diplômé de l'Institut national des langues et civilisations orientales, est probablement un fin linguiste).

Marc Boulet s'explique peu sur ses motivations, on sent qu'il vit cette expérience comme un purgatoire dont il ressortira plus fort. Il s'agit probablement d'une raison assez égocentrique, puisqu'avec ce livre, Marc Boulet ne sauve malheureusement pas les millions d'intouchables qui vivent cette horreur chaque jour. Cependant, il nous éclaire, nous, privilégiés parmi les plus privilégiés du monde, sur cette condition qui existe encore aujourd'hui.
Pas le livre du siècle, mais intéressant pour qui veut se plonger dans l'Inde contemporaine (des 15 dernières années), jusque dans ses recoins les plus sombres...

En écrivant ceci, j'écoute Nick Cave and The Bad Seeds, Sweetheart Come (WEA, 2001)

20 juillet 2007

Il faut qu'on parle de Kevin

Bientôt, je vous parle de ce livre, que je viens de terminer. Pour le moment, il me faut un peu de temps pour le digérer et m'en remettre. Rien que d'y penser, j'en ai les larmes qui me montent aux yeux...
L'un des meilleurs livres que j'ai lu depuis longtemps, une réflexion forte et bouleversante, une histoire abominable admirablement bien écrite (et traduite).

07 juillet 2007

La consécration de Patrick Watson


The Besnard Lakes et Patrick Watson au Métropolis, 5 juillet 2007

La soirée a mal commencé... Le Métropolis, bondé, nous avait repoussé dans ses tréfonds, où l'absence de chaises et de tabourets nous a obligé à nous appuyer sur une rembarde en métal. Au fur et à mesure qu'elle se remplissait, la salle devenait assourdissante, le brouhaha incessant résonnait et nous empêchait même d'écouter attentivement la première partie qui venait de débuter : The Besnard Lakes, que je ne connaissais pas, un groupe de Montréal assez intéressant mais que nous n'avons pas pu apprécier tant les gens n'avaient aucun considération pour la musique qui se jouait devant eux. Bon Dieu, quand on va voir un concert, y-va-t-on pour la musique ou pour discuter avec ses amis ? Je crois que les gens n'ont plus de respect pour la musique, et ne vont plus voir un concert dans le même état d'esprit qu'avant. De plus, des salles comme le Métropolis, pour des concerts proposés par Spectra, ne sont pas là pour favoriser ce respect de la musique (passage incessant des serveurs, accoustique médiocre, places assises limitées). Il n'y avait qu'à voir le monde présent lors de ce spectacle, très certainement au delà de la capacité autorisée par les services incendie de la ville : impossible de se placer correctement pour avoir une bonne vue et/ou un bon son, alors les deux à la fois, imaginez !
Le spectacle de Patrick Watson arrivait à grand pas et nous étions d'accord que, si cela devenait trop insupportable, nous partirions... même à grands regrets... Nous souhaitions le voir, mais le voir dans de bonnes conditions si possible.

Mais là, il s'est passé un truc incroyable : la foule en délire, qui nous gênait au départ, s'est mise à vibrer d'une même énergie. Nous étions tous là POUR Patrick Watson et nous étions si nombreux que c'en était hallucinant. Personne ne s'attendait à un tel enthousiasme, pas même Patrick Watson lui-même. Nous nous sommes laissées porter par l'enthousiasme général et le spectacle a véritablement commencé. La mise en scène nous a réservé de belles trouvailles, trop rares de nos jours dans des concerts rock, comme ces spots qui tombent du ciel et illuminent la scène au moment où la chanson se déchaîne. Le clou du spectacle a été sans conteste le moment où Patrick Watson, armé d'une lampe frontale, est descendu dans le public avec son guitariste pour chanter The Man Under the Sea sans amplification. Au moment du refrain, tous les musiciens étaient remontés sur scène et ont remis le courant pour quelques secondes, puis retour dans le public, tout ça dans une salle complètement noire... L'ensemble d'instruments à vent a eu ici un rôle majeur et a été fortement applaudi. Les musiciens et chanteurs ont d'ailleurs tous été parfaits, usant d'ingéniosité avec leurs instruments (des ballons qu'on dégonfle sur les cordes d'une guitare, il fallait y penser!), avec une belle surprise en la personne de Lhasa, pour un duo avec Patrick Watson.
Un autre moment important a été la reprise en version disco de The Great Escape, il fallait y penser à ça aussi et le public a embarqué avec joie, chantant le talalatatanana en choeur. Patrick Watson a eu une idée de génie !

Le public n'en finissait plus de rappeler le chanteur et son groupe, qui, lui, devait partir au Club Soda pas très loin pour jouer avec The Cinematic Orchestra (Si vous n'avez pas encore écouté l'album de ces derniers, Ma fleur, auquel le montréalais participe, je vous invite à le faire de toute urgence...). Généreux, nous avons eu droit à deux ou trois rappels (ça m'échappe) puis l'auteur-compositeur s'est éclipsé avec sa bière (indispensable bière sur le piano...), sa clope au bec, ses musiciens, ses blagues douteuses sur les francophones (petit bémol à ce niveau là, il aurait pu se forcer un peu à parler plus en français - il est parfaitement bilingue - on est à Montréal, bordel !) et son chapeau de magicien de la musique. À suivre... de très près. Patrick Watson est l'un des meilleurs ambassadeurs de la musique dite "montréalaise", mélange de genres et d'émotions, pour le plaisir des yeux, des oreilles, et du coeur.

PS : J'avais parlé du disque de Patrick Watson ici.

01 juillet 2007

Le voyage de Sahar

Fermez les yeux et écoutez la musique. Fermez les yeux et imaginez un voyage, un paysage apaisant, ondulant. Imaginez un désert. Oui, un désert est approprié lorsque l'on écoute Anouar Brahem.
Son dernier album, Le voyage de Sahar, nous emmène dans des contrées lointaines. Le nom de cet album évoque immanquablement le Sahara, l'origine d'Anouar Brahem, tunisienne, et son instrument, l'oud.
C'est dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal que nous avons vu le groupe d'Anouar Brahem, composé également de François Couturier au piano et de Jean-Louis Matinier à l'accordéon. Dans un théâtre Maisonneuve (Place des Arts) comble, le trio a enchanté son public pendant 1h30.
Je ne connaissais Anouar Brahem que par son album Le pas du chat noir, et par l'album qu'il a réalisé avec l'excellent Keith Jarrett (qui d'ailleurs jouait hier soir juste après Anouar Brahem, dans la salle Wilfrid Pelletier, où je l'avais vu il y a 3 ans :-) Madar.

Petit retour sur une bio exemplaire (merci Wikipédia !) :

À l'âge de 10 ans, il rejoint le Conservatoire national de musique de Tunis et commence à jouer dans des orchestres à l'âge de 15 ans. Joueur d'oud, il compose pour son instrument et diverses formations (en particulier du jazz). En 1981, il s'installe pour 4 ans à Paris, période pendant laquelle il collabore avec Maurice Béjart et compose de nombreuses œuvres originales, notamment pour le cinéma tunisien.

Entre 1985 et 1990, de retour en Tunisie, il poursuit son travail de composition et, par de nombreux concerts, acquiert une notoriété publique. En 1987, il se voit confier la direction de l'Ensemble musical de la ville de Tunis et, en 1988, il ouvre le Festival de Carthage avec Leilatou tayer. Tunis Hebdo écrira : « Si nous devions élire le musicien des années 80, nous choisirions sans hésiter Anouar Brahem ». En 1990, il s'envole pour une tournée aux États-Unis et au Canada et, en 1992, il est appelé à concevoir et à participer activement à la création du Centre des musiques arabes et méditerranéennes au Palais Ennajma Ezzahra du baron d'Erlanger à Sidi Bou Saïd.

Outre ses propres albums, il écrit aussi des musiques de films et fait partie, avec le libanais Rabih Abou-Khalil, de ce courant de la musique contemporaine qui réunit musique arabe et occidentale. Ce « maître enchanteur » qui crée « une musique à la fois totalement ancrée dans une culture ancestrale hautement sophistiquée et éminemment contemporaine dans son ambition universaliste » a joué et enregistré avec de grands noms du jazz contemporain tels que Jan Garbarek, John Surman, Jean-Louis Matinier ou Richard Galliano.

Anouar Brahem s'écoute en sirotant un thé (à la menthe de préférence), en se reposant, en lisant un bon bouquin ou en recevant un bon massage... C'est doux, feutré, sautillant parfois, jamais agressif.
Les musiciens, sur scène, se regardent beaucoup, communiquent avec leurs instruments, comme dans une discussion, le piano accompagne l'oud (dont Brahem se sert comme d'une guitare), et l'accordéon répond à ce même oud dans des solos magnifiques (et très applaudis), où l'instrument se rapproche de l'orgue par les sonorités qui en sortent, comme de longues lamentations. Les passages à l'accordéon de Jean-Louis Matinier ont été les meilleurs moments du spectacle. Mais l'ensemble vaut le détour car le trio fonctionne très bien, dans la connivence et l'excellence musicale.