02 août 2011

Into the Wild

Into the Wild, Jon Krakauer, Anchor Books, 1996 (lu en anglais)

Un an après en avoir débuté la lecture, j'ai enfin achevé Into the Wild de Jon Krakauer. Non pas que ce livre soit inintéressant, mais l'aspect aventure qu'il instaure en fait un objet de route, que j'emmenais dans mes différents périples et que je rangeais à mon retour à la maison...
Mon plus récent voyage, dans la sauvage Nouvelle-Écosse, m'a replongée dans ce Wilderness typiquement nord-américain.


The solitude and total freedom of the wilderness created a perfect setting for either melancholy or exultation.
Roderick Nash, Wilderness and the American Mind
Cette nature sauvage a attiré et continue d'attirer de nombreux jeunes, surtout des hommes, sur les routes du globe, à la recherche d'un monde meilleur, et d'une façon de vivre différente. Attirance typiquement occidentale, pour le retour à une vie plus proche de la nature, plus proche de ce que l'on est réellement.

Christopher McCandless est l'un de ces jeunes hommes.
En 1992, Jon Krakauer, alors journaliste pour le Outside Magazine, est chargé d'écrire un article sur la mort d'un jeune du nom de Christopher Johnson McCandless, dont le corps décharné vient d'être retrouvé en Alaska.
Fasciné par cette histoire, hanté par le jeune homme, le journaliste tente de comprendre ce qui a pu conduire ce jeune à finir sa vie de cette façon. Dans une enquête très poussée, Jon Krakauer dresse le portrait d'un jeune éduqué, intelligent et sensible, issu d'une famille plutôt stable malgré certains mensonges découverts par Christopher qui l'opposeront à son père. Refusant la vie qui lui est offerte, Christopher décide de quitter cette société qui ne lui convient plus, il souhaite se couper du monde matériel et de son entourage, pour tenter une expérience solitaire qui le mènera au bout de lui-même.
Dans son journal, Christopher McCandless, qui s'est rebaptisé Alexander Supertramp, ne parle pas de suicide, ni de volonté de passer toute sa vie dans la nature sauvage.
Il envisage plutôt un retour à la société, après une expérience de quatre mois qui lui permettrait de vivre un rêve qui l'habite depuis qu'il est tout petit.
Influencé par de nombreuses lectures, qui l'accompagnent durant ses différents voyages, antérieurs à son voyage final en Alaska, tels les écrits de Henry David Thoreau (Walden ou la vie dans les bois), McCandless semble tout de même avoir la tête sur les épaules, malgré un tempérament fougueux et imprévisible.
Bien sûr, le jeune homme possède ses contradictions, et sa naïveté étonne parfois. Comment penser par exemple qu'après avoir tué un orignal, on peut le conserver plusieurs jours en le fumant comme le faisaient les Indiens d'Amérique ? Et cela, sans l'avoir pratiqué avant ? Sa candeur et son comportement parfois mutique et déconnecté suggèrent  des troubles mentaux. Son dédoublement de personnalité dans ses écrits pourrait renforcer cette impression. Mais d'après l'auteur, il n'en est rien, ou, en tout cas, il n'y a pas assez d'éléments pour confirmer cette thèse.
Durant son enquête, Jon Krakauer a interviewé de nombreuses personnes ayant côtoyé le jeune homme, de sa sœur (de qui il était très proche), à ses amis du secondaire, en passant par des voyageurs, qu'il a croisés durant ses pérégrinations. En effet, Christopher McCandless, avant d'aboutir en Alaska, a erré durant plusieurs mois à travers l'Amérique, travaillant même un bon bout dans une ferme du Dakota du Sud, à Carthage, où il s'est fait un bon ami (Wayne Westerberg). Toutes ces personnes parlent d'un être qui les a beaucoup marquées, quelqu'un semblant dégager beaucoup d'amour et de bonté. Ces individus semblent avoir été si touchés par Christopher McCandless que notre questionnement et notre incompréhension face à sa mort sont encore plus grands.

L'histoire de Christopher McCandless a été popularisée en 2007 par le film de Sean Penn, très fidèle au livre de Jon Krakauer. Les deux hommes prennent le parti de McCandless, idéalisant en quelque sorte ses actes.
Il est vrai qu'en voyant le film, sublimé par la musique d'Eddie Vedder et les magnifiques images, les  émotions sont fortes, et tristesse et incompréhension se mélangent.
Peu de gens ont "critiqué" les actes de McCandless (d'après un sondage très personnel dans mon entourage !). Il m'est arrivé cependant d'en discuter avec des amis l'année dernière, alors que j'étais dans l'Ouest Canadien, et ceux-ci mettaient en lumière l'irresponsabilité de McCandless. À plus large échelle, la discussion en est venue à critiquer l'émoi et l'admiration de la population en général pour le destin de ces jeunes hommes.
Qu'est-ce qui nous fascine dans ces histoires ? Est-ce le courage de ces personnes, qui quittent souvent tout ce qu'elles ont, et suivent leur instinct ? Qu'est-ce qui motive ces jeunes personnes ? Mourir de faim dans la forêt fréquentée par les ours et les coyotes n'est pas franchement attirant...
Est-ce notre désir totalement refoulé par les sociétés occidentales de nous rapprocher de la nature, de notre état primaire, sauvage, complètement perverti par les technologies et la modernité ?

Ce qui est certain, c'est que ces histoires nous secouent quand on en entend parler, en positif ou en négatif. Loin d'être un modèle à suivre, le cas de Christopher McCandless est emblématique d'une génération post-hippie et ressemble à un négatif des Beatniks des années 50/60, "génération perdue" qui parcourait les routes américaines, mais dans le but inverse de se regrouper et de créer de façon « vigoureuse et libertaire ».
Ces deux groupes de personnes, aventuriers des temps modernes, ont toutefois le même objectif, même si les moyens employés pour y arriver diffèrent : trouver un mode de vie idéal et nouveau.

Alors suicide, malchance, inconscience, bêtise ? Le livre n'apporte pas une réponse définitive à la mort de Christopher McCandless, mais permet de réfléchir à ce qui peut amener un homme de 24 ans à se perdre dans le bois, loin de tout, et à y mourir, d'empoisonnement ou de malnutrition (la cause exacte du décès de McCandless n'est pas claire elle non plus : il avait consommé des baies moisies devenues toxiques, mais il était également si décharné que la mort de faim semblait plus probable).

L'ouvrage, agrémenté de nombreux extraits de textes de Thoreau, de Paul Shepard, Jack London, Estwick Evans, Roderick Nash, Mark Twain, et beaucoup d'autres, tous des aventuriers, environnementalistes, explorateurs, expérimentateurs de la nature sauvage, nous pousse à réfléchir au sens que nous souhaitons donner à nos vies. Il offre une réflexion philosophique sur le rapport que nous avons avec la nature, aux autres, à la société.
On en ressort enrichi, habité à la fois par ces paysages magnifiques et ces choix de vie qui nous paraissent si simples, mais qui peuvent aussi s'avérer fatals.

Un site consacré à Christopher McCandless

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Eddie Vedder, Into the Wild (J Records, 2007)

1 commentaire:

Anonyme a dit...

je n'ai pas lu le livre mais le film m'avait gravement touchée, et provoqué une profonde réflexion sur la notion de Liberté.
La liberté va jusqu'à la liberté de mourir comme on le décide même si on est jeune et inconscient. je ne sais pas si je lirai le livre un jour, il m'affecterait trop. Oui j'ai tendance à idéaliser ce genre d'histoire de vie qui ne fait pas de concession à la médiocrité.
Merci Fibula de m'avoir remise en contact avec ce sentiment.