07 novembre 2015

Confessions et science-fiction

Je ne tiens qu'à un fil mais c'est un très bon fil, Sylvie Laliberté, Les éditions Somme toute, 2015

PatsyLes éditions Trames, Tessa Poncelet et Jérôme Poloczek, 2015

Les tranchées - Maternité, ambiguïté et féminisme, en fragments, Fanny Britt, Éditions Atelier 10, Collection Documents, par l'équipe de Nouveau Projet, 2013

Ping-Pong, version commentée, Zviane, Éditions Pow Pow, 2015


Mes dernières lectures, sans que je le choisisse vraiment (vraiment?), se sont entremêlées pour former un tout. Ce tout, ce sujet, cette force commune qui les traverse, c'est la confession. Laissez-vous toucher par ces auteures, qui se dévoilent et pas qu'un peu dans des textes tour à tour drôles et profonds. Ce sont aussi quatre petits livres relativement inclassables, au ton singulier et rafraîchissant.
J'en profite pour vous signaler un événement autour du livre Patsy, le mercredi 25 novembre à 18 h. Lisez le livre et présentez-vous nombreux pour en discuter à ce cercle de lecture qui se déroulera à la librairie Le port de tête!





Loin de ces confessions, j'ai (re)découvert la science-fiction avec Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques? (Blade Runner), de Philip K. Dick, et Le guide du voyageur intergalactique de Douglas Adams, et plusieurs documents qui m'ont permis d'explorer ce genre littéraire que je connaissais peu. Tout cela pour des travaux universitaires qui m'emportent loin de ma zone de confort...

Humeur musicale : Esmerine, Lost Voices (Bounsound, 2015) 

04 octobre 2015

Les transformations du livre


Débat : Devons-nous brûler nos livres?
ARTVstudio. Animation : Marie-Christine Trottier et Michèle Corbeil (directrice du festival)

(image empruntée au site internet du FIL)
Nous étions conviés le samedi 26 septembre dernier à débattre, dans le cadre du Festival international de la littérature (FIL), « autour de l’avenir du livre et des autres traces écrites en cette ère du grand virage numérique » (d’après le programme du FIL).
Le Festival international de la littérature, créé en 1994 par l’UNEQ (Union des écrivaines et des écrivains québécois), célèbre les mots par des spectacles littéraires, des conférences et des animations littéraires originales et créatives.

Dans le petit ARTVstudio de la Place des Arts, plusieurs intervenants du domaine du livre, ainsi que de simples lecteurs, se sont exprimés sur ce vaste sujet : le directeur de la nouvelle Maison de la littérature de Québec, Bernard Gilbert; le directeur de l’UNEQ, Francis Farley-Chevrier; l’auteur, critique littéraire et journaliste, Pierre Lepape; l’auteure, critique littéraire et éditrice, Michèle Gazier; l’auteur, journaliste et éditeur, Tristan Malavoy-Racine; le blogueur, Manouane Beauchamp; le photographe officiel du FIL, Pierre Crépô – qui a établi une relation entre le traitement réservé aux livres et celui réservé à la photographie; l’écrivaine et animatrice de radio, Violaine Forest; ainsi qu’une ancienne archiviste; une journaliste du magazine L’actualité, et bien d’autres.

Grâce à cette diversité de participants, la discussion a pu s’ouvrir sur de nombreux horizons. Ainsi, parler de « brûler des livres », « se débarrasser de nos livres » ou, dans un acte moins définitif, les donner à des organismes ou à des amis, histoire d’élaguer nos bibliothèques, pose la question de la durée de vie d’un livre, et en particulier de sa vie dans notre bibliothèque.
Dans notre monde mouvant, comment imaginer, par exemple, transporter notre bibliothèque si l’on doit partir vivre dans un autre pays?
C’est ici que le support numérique intervient. Le livre numérique nous offre la possibilité de garder avec nous nos livres préférés, même en voyageant ou en immigrant. 
D’autre part, le rêve d’une bibliothèque totale – cher aux grands lecteurs, mais rendu impossible par la quantité grandissante de publications nouvelles – ne pourrait devenir réaliste que par le biais d’une bibliothèque virtuelle, disent les défenseurs du livre numérique présents dans la salle.

L’idéal serait peut-être un équilibre entre les deux supports, afin de cesser de voir le livre numérique comme un adversaire du livre traditionnel. Les bibliothèques publiques gagneraient à suivre la vague du numérique pour ne pas perdre leurs lecteurs, selon une ancienne archiviste. Lorsque l’on pense à se débarrasser de certains de nos livres, il faudrait donc être prêt à ne garder que les livres-objets essentiels.

Du point de vue d’une spécialiste de la littérature jeunesse, le livre numérique perd tout intérêt dans ce domaine, où le contact avec le livre comme objet est d’une première importance pour l’enfant qui découvre la lecture. Le livre numérique – qui standardise tout, y compris le format – supprime toutes les particularités de cette littérature. 
Néanmoins, pour d’autres clientèles – comme les aveugles, par exemple –, le livre numérique est un support indispensable. Cette avenue avait déjà été balisée par le livre audio.

Par ailleurs, le livre numérique permet d’accéder très facilement à la littérature du monde entier, tel que le souligne Michèle Corbeil (la directrice du festival) qui se dit, malgré tout, plutôt réticente face au format.

Avant tout, la question essentielle, telle qu’énoncée par Tristan Malavoy-Racine, n’est-elle pas de savoir ce qui nous fait tant réagir lorsqu’il s’agit de parler de la « fin » du livre papier? Pourquoi le livre est-il vu comme un objet sacro-saint? Représente-t-il l’ultime refuge dans des temps de noirceur? Cette réflexion a provoqué à la fois l’euphorie et un silence perplexe dans l’assistance.

Le livre peut-il représenter, comme le souligne le photographe Pierre Crépô, une présence ancrée dans le temps face à l’instantanéité de notre époque? En effet, la valorisation du « commentaire » rapide et éphémère (puisqu’avoir une discussion sur les réseaux sociaux correspond, en quelque sorte, à une nouvelle forme de correspondance épistolaire) n’abolit-elle pas la notion du temps, étant donné que ces commentaires s’effacent souvent aussi vite qu’ils ont été écrits?

L’idée de « brûler nos livres » – que tous s’entendent à trouver horrible – a donc engagé les participants à ce débat à réfléchir à plusieurs transformations. Notamment celles de l’objet-livre – qui n’a pas vraiment changé depuis les débuts de l’imprimerie moderne (il y a plus de 550 ans) tel que l’a précisé l’auteur Pierre Lepape. Les modifications de l’écrit (entraînées par l’arrivée des réseaux sociaux) et les changements dans le comportement des lecteurs ont également été abordés, sans oublier les modifications que le support numérique entraîne (notamment pour les droits d’auteur) telles qu’expliqué par le directeur de l’UNEQ, Francis Farley-Chevrier.

Cependant, il semble n’y avoir qu’un pas entre l’océan de possibilités offertes par le numérique et... la noyade! Les chiffres relatifs aux ventes de livres numériques aux États-Unis ont baissé et laissent présager un retour en force du livre traditionnel. D’autre part, il se publie de plus en plus de romans chaque année, ce qui tend à relativiser les données catastrophistes sur la baisse de la lecture. Tout ceci reste donc discutable.
Une réflexion qui se poursuit donc et qui devrait nous aider à envisager l’avenir, particulièrement à titre de futurs professionnels de l’information, en incluant ces nouvelles manières de lire, afin que personne ne s’y perde!


Lætitia Le Clech

Voir, sur le sujet du  livre numérique, l'article de Fabien Deglise paru dans Le Devoir ce samedi 3 octobre, L'impossible mort d'un livre bien vivant.


Le paradis dans une bibliothèque



(photo empruntée au site Internet du FIL)
Présenté à l’occasion des 10 ans de la Grande Bibliothèque du Québec, le spectacle littéraire Le paradis n’est-il pas une bibliothèque ? porte un titre qui fait référence à Borges (La bibliothèque de Babel, 1941) et à Bachelard (La poétique de la rêverie, 1960). Il a eu lieu le vendredi 25 septembre dernier dans le cadre de la 21e édition du Festival international de la littérature (FIL). Ce festival, créé en 1994 par l’UNEQ (Union des écrivaines et des écrivains québécois), célèbre les mots par des spectacles littéraires, des conférences et des animations littéraires originales et créatives. 

« Une bibliothèque que l’on monte est une vie » (Dominguez, 2004) 

Le but du spectacle littéraire Le paradis n’est-il pas une bibliothèque ? était de présenter des extraits de livres qui parlent de bibliothèques, en les révélant dans une lecture collective et passionnée. Les comédiens et comédiennes Marc Béland, Renaud Lacelle-Bourdon, Marie-Ève Pelletier, Dominique Quesnel et Simon Lacroix se sont prêtés au jeu du partage littéraire avec une grande ferveur.
La mise en scène épurée (brouillonne par moments), agrémentée de projections d’extraits de films (trop courts et non référencés), forçait le spectateur à se concentrer sur les mots livrés par les comédiens. Ceux-ci ont commencé le spectacle par un extrait jubilatoire et particulièrement bien senti d’Un ange cornu avec des ailes de tôle, de Michel Tremblay (1996). Chaque spectateur a ressenti l’émotion de sa première visite dans une bibliothèque grâce aux mots du grand auteur et dramaturge québécois… 

« Les livres sont notre immortalité » (Chalamov, 2003) 

Les lectures, tour à tour théoriques avec Georges Perec, philosophiques avec Carlos Maria Dominguez, poétiques avec Victor Hugo ou politiques avec Ray Bradbury et Alberto Manguel, nous ont fait découvrir ou redécouvrir l’amour incommensurable de ces écrivains pour les mots et les livres. Mais aussi la réflexion qu’ils ont menée toute leur vie sur la portée que les mots peuvent avoir dans notre vie.  Ce qui aurait pu devenir lassant s’est révélé une brillante mise en exergue de la présence et de l’importance des livres dans la vie de tout lecteur, jusqu’à en devenir parfois fou, comme dans le livre de Carlos Maria Dominguez, La maison en papier. L’auteur y présente les livres comme dangereux pour qui les aime trop… 

« La censure des livres est commune à tous les peuples de tous les temps » (Manguel, 2006) 

Abordant également le thème de la censure, le spectacle nous a présenté ceux qui ne les aiment pas, les livres, avec un extrait d’archives de l’autodafé de livres sur l’Opernplatz de Berlin, en 1933 (plus de 20 000 livres considérés comme « hérétiques » furent brûlés par les nazis), suivi d’un extrait de Fahrenheit 451, de Ray Bradbury, joué par nos comédiens.
Ne jamais oublier que la liberté reste fragile… et ici en particulier celle que nous procurent les livres.
L’Histoire n’a pas ménagé les livres, et Victor Hugo s’en est offusqué dans son poème À qui la faute ?, tiré du recueil consacré à l’année 1870, L’année terrible. En effet, l’incendie du palais du Louvre, le 24 mai 1871, par les communards a détruit une grande partie des livres de la bibliothèque du Louvre.
 « As-tu donc oublié que ton libérateur
C’est le livre ? Le livre est là sur la hauteur ;
Il luit ; parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d'esclave et plus de paria. »

Quelques pauses cabotines (pas toujours nécessaires) nous ont permis de souffler quelques minutes en écoutant l’énumération des bibliothécaires célèbres (Jorge Luis Borges, Georges Bataille, Roland Barthes, Goethe, André Breton, peu de femmes ici…). Le combat littéraire que se sont livré Renaud Lacelle-Bourdon et Marie-Ève Pelletier, sur le mode « je choisis un livre au hasard dans le chariot, je lis les premiers mots et tu devines de quel livre il s’agit », se voulait drôle mais tombait quelque peu à plat. Le cabotinage a des limites…
Car ce qui comptait vraiment, dans ce spectacle, était de « prêter l’oreille aux livres silencieux [pour que] les voix du monde [nous] parviennent » (Jean-Frédéric Messier).
De ce point de vue-là, il s’agissait d’une soirée réussie.

Lætitia Le Clech

Livres évoqués dans ce texte :

Bachelard, G. (1960). La poétique de la rêverie. Paris: PUF.
Borges, J. L. (1951). La bibliothèque de Babel. Dans Fictions. Paris : Gallimard.
Bradbury, R. (1955). Fahrenheit 451. Paris: Denoël.
Chalamov, V. (2003). Mes bibliothèques. Paris: Interférence.
Dominguez, C. M. (2004). La maison en papier. Paris: Seuil.
Hugo, V. (1872). À qui la faute ? In L’année terrible. Consulté à l’adresse http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/victor_hugo/a_qui_la_faute.html
Manguel, A. (2006). La bibliothèque, la nuit. Paris: Actes Sud/Leméac.
Perec, G. (2003). Penser/Classer. Paris: Seuil.
Tremblay, M. (1996). Un ange cornu avec des ailes de tôle. Paris/Montréal: Actes Sud/Leméac.

Vous trouverez d’autres suggestions de livres qui portent sur les bibliothèques à la page de l’événement, sur le site du FIL.

25 août 2015

Un été, plusieurs lectures marquantes

Americanah, de Chimamanda Ngozi Adichie, aux Éditions Gallimard, 2014
Ce roman a tout : une histoire et une réflexion passionnantes et très contemporaines, un style, et des émotions. Il raconte aussi l'une des plus belles histoires d'amour que j'ai pu lire jusqu'à présent. On navigue entre le Nigeria et les États-Unis, sous le regard acéré de l'héroïne Ifemelu, qui nous fait part de ses découvertes et de ses interrogations. Brillant.
À découvrir maintenant : ses deux autres romans, L'autre moitié du soleil et L'hibiscus pourpre.


Vernon Subutex, tome 1, de Virginie Despentes, aux Éditions Grasset & Fasquelle, 2015
Du pur Virginie Despentes, brut de décoffrage, direct, trash. Ce roman choral se déploie progressivement en même temps que ses personnages, qui tournent tous autour de l'anti-héros du roman, le Vernon du titre. Celui-ci se retrouve à la rue en possession de cassettes vidéo testamentaires venant d'un chanteur à succès mort d'une overdose et accessoirement ami de Vernon. À cause de cela, Vernon deviendra l'homme le plus recherché de Paris en même temps qu'il se perdra (ou se trouvera?) dans le dénuement le plus total. L'auteure, par cette mise en scène très habile, dépeint une France multiple et tragique.

Les deuxièmes, Zviane, Éditions Pow Pow, 2013
Une histoire toute simple et un peu triste d'amour adultérin entre deux musiciens, qui se déroule sus nos yeux avec une grande sensualité. Zviane imagine même une « partition de sexe », ce qui fait de cette oeuvre une sorte de BD musicale et sexuelle. Exercice très intéressant pour cette auteure aussi musicienne.
« Trop de morceaux de musique finissent trop longtemps après la fin » Igor Stravinsky





La Civilisation, ma Mère!..., Driss Chraïbi, Éditions Folio, 1972
Ne vous fiez pas au titre un peu étrange de ce court roman écrit en 1972 par l'écrivain marocain de langue française Driss Chraïbi, mort en 2007, que je ne connaissais pas du tout mais qui est pourtant considéré comme faisant partie du patrimoine marocain. Il dresse ici un portrait sensible d'une femme marocaine dépassée par la modernité et que ses deux fils racontent à différentes étapes de sa vie dans deux parties distinctes : « Être » et « Avoir ». Dans « Avoir », elle prend possession de sa vie grâce à la connaissance et à l'éducation. Un roman très avant-gardiste et un auteur très moderne!



520 km, Max de Radiguès, Éditions Sarbacane, 2012
BD initiatique sur l'adolescence, les 520 km du titre correspondent à la distance séparant Simon, 14 ans, de son amoureuse - ou plutôt ex-amoureuse (c'est son statut facebook qui le précise) - Louise. Simon les franchira pour la retrouver à Montpellier. Sur son chemin, quelques rencontres pas toujours sympas. Agréable et touchant, dans un style artistique très simple (dessin et mise en couleurs). Max de Radiguès devient un spécialiste des affres de l'adolescence, après L'âge dur, paru en 2011 à L'employé du Moi.





Trois chevaux, Erri De Luca, Éditions Gallimard, 2001
Court roman de 118 pages qui m'a foudroyée par sa beauté et par son histoire pure et dépouillée, proche de l'essentiel : la terre, l'amour. Les mots nous font ressentir et sentir les éléments. Nous accompagnons cet homme devenu jardinier dans son pays d'origine, l'Italie, où il est revenu après avoir vécu en Argentine avec la femme qu'il aimait mais qui a été assassinée en raison de ses convictions politiques. En Italie, il rencontre Làila et doit apprendre à vivre dans le présent, en harmonie avec ces parfums, cette terre qu'il chérit. Mais y arrivera-t-il? L'auteur décrit très bien la mélancolie et les doutes qui assaillent le narrateur, en entremêlant passé et présent.
Un bijou de littérature.



Humeur musicale : DM Stith, Heavy Ghost

11 août 2015

Le 12 août, j'achète un livre québécois...

... Mais le reste de l'année aussi, hein!

Depuis presque un an, je ne suis malheureusement plus autant à jour dans les parutions d'ouvrages québécois. Comme je n'écris presque plus ici, et que je lis beaucoup moins (mais beaucoup quand même), faire des recommandations d'achats pour la journée de demain m'apparaît un peu présomptueux.
Je me suis malgré tout penchée sur les sites de plusieurs maisons d'édition pour sélectionner quelques livres qui m'apparaissent intéressants ou qui sont l'oeuvre d'auteurs que j'aime.

- Catherine Leroux : auteure de La marche en forêt et du Mur mitoyen, Catherine Leroux s'apprête à publier son prochain roman, Madame Victoria, le 28 septembre. Alors en attendant, pourquoi ne pas découvrir ses deux premiers avant de se procurer son nouveau en septembre?

- Aux Éditions Lux, plusieurs essais traitant de problématiques actuelles peuvent nous éclairer et nous permettre une réflexion nécessaire en ces temps troublés. Ainsi, l'essai Brut, La ruée vers l'or noir, écrit par un collectif composé de David Dufresne, Nancy Huston, Naomi Klein, Melina Laboucan-Massimo et Rudy Wiebe, nous met sous les yeux l'horreur des sables bitumineux.
L'essai Voir son steak comme un animal mort, de Martin Gibert, aborde des thèmes qui me sont chers : le végétarisme, le véganisme et nos paradoxes face aux animaux.
Toujours aux Éditions Lux, inutile de vous reparler de Soeurs volées, d'Emmanuelle Walter ou des essais de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, Elles ont fait l'Amérique et Ils ont couru l'Amérique (un troisième tome s'en vient!), qui sont pour moi des essentiels.

- En BD, je me suis penchée sur les nouvelles parutions des Éditions Pow Pow, que j'aime bien et voilà que Zviane, auteure du magnifique Apnée, a fait paraître un nouvel album intitulé Ping-Pong, sorte d'essai sur l'art, la création et la bande dessinée. Intriguant.

- Mon choix de romans se porterait sur les Éditions Héliotrope, puisqu'il faut choisir, et je me laisserais tenter par la Forêt contraire d'Hélène Frédérick, ou bien par l'un des romans de Patrice Lessard, dont j'avais adoré Nina, paru en 2012. Peut-être son roman policier Excellence poulet, paru cette année, ou son Enterrement de la sardine, pour voyager encore au Portugal...

D'autres nombreux auteurs sont à découvrir. Radio Canada a fait il y a quelques mois une liste de 10 jeunes auteurs à découvrir, que vous pouvez lire ici. Parmi ceux-ci, on retrouve Stéphanie Pelletier, dont le premier livre Quand les guêpes se taisent m'avait enthousiasmée, et Marjolaine Beauchamp, dont j'ai pu apprécier tout le talent lors de la soirée d'ouverture du festival Jamais lu, S'appartenir(e). Elle a publié en 2011 un recueil de poésie intitulé Aux plexus, aux éditions de l'écrou.

 Je vous souhaite de merveilleuses lectures!
 

Mise à jour concernant mes achats...




16 juillet 2015

City Lights Bookstore

Lors d'un récent voyage à San Francisco, j'ai visité la librairie City Lights, située dans le quartier North Beach, à la frontière de Chinatown. Cette librairie et maison d'édition, fondée en 1953 par le poète Lawrence Ferlinghetti, est devenue célèbre pour avoir publié en 1956 le texte Howl and others Poems, d'Allen Ginsberg. De nombreux auteurs du mouvement beatnik l'ont fréquentée, et le café Vesuvio, situé juste en face de la librairie, a également vu passer son lot d'écrivains, en particulier Jack Kerouac qui y passa une nuit entière en 1960, repoussant son départ vers Big Sur (sur la côte californienne) pour y rencontrer Henry Miller.
Outre la poésie et la littérature beatnik (présentées toutes deux dans une salle spéciale, la Poetry Room), la librairie se spécialise en politique et dans les mouvements sociaux. La collection à ce sujet est assez impressionnante.
D'autre part, des activités littéraires semblent s'y dérouler presque tous les soirs.
Voici un petit tour d'horizon en images...

La librairie, sur la rue Columbus, à San Francisco (North Beach)

L'allée Jack Kerouac, devenue piétonne en 2007















Le café Vesuvio, repaire de nombreux poètes, musiciens de jazz et artistes















Une fresque sur les murs de la librairie
Une partie de la collection de livres politiques





















Le rouleau "orginal" de On the Road, de Jack Kerouac





















Lire peut changer votre vie





















L'étage de la poésie à la librairie City Lights

12 février 2015

Le chardonneret


Le chardonneret, de Donna Tartt, Éditions Plon, Collection Feux Croisés, traduit de l'anglais (The Goldfinch) par Edith Soonckindt, 2013, 787 pages

Prix Pulitzer 2013, catégorie fiction

Fil rouge de ce roman-fleuve, Le chardonneret, petit tableau du peintre flamand Carel Fabritius, élève de Rembrandt, habite cette fiction digne des plus grands romans initiatiques. Peuplée de personnages forts, Theodore Decker et Boris en tête, il nous guide en quelque sorte dans la quête de Theo, que nous suivons durant 14 années, de New York à Amsterdam en passant par Las Vegas.
Nous avons tous une "année charnière" dans notre vie, une année où nous grandissons subitement, où nous vivons un événement plus grand que nature, qui nous fait changer, nous fait avancer différemment. Theodore, ou Theo, vit ce moment à l’âge de 13 ans, lorsqu’il perd sa mère subitement dans un attentat alors qu'ils visitent un musée à New York. Dans cette exposition sur les maîtres flamands, Le chardonneret, de Carel Fabritius, « le tableau le plus extraordinaire de toute l'exposition », selon la mère de Theo. « Fabritius y dévoile quelque chose qu'il a découvert seul et qu'aucun peintre au monde ne savait avant lui pas même Rembrandt » (p.35). Pris d'un sentiment d'urgence, encouragé par un vieil homme blessé par l'attentat, il subtilise le tableau. Celui-ci l'accompagnera alors, tantôt fardeau et tantôt objet rassurant et nostalgique. Suite au drame, Theo est balloté entre la riche famille Barbour et son père qui réapparaît tout à coup, peut-être appâté par l’héritage de son fils, et qui l’emmène à Las Vegas. Malheureux dans cet univers factice, temporaire et superficiel (les «vrais» habitants de Las Vegas – dans ce livre – vivent dans des résidences en plein désert, loin de tout et souvent pour des périodes déterminées par des contrats de travail instables), délaissé, mal aimé, sombrant dans alcool et drogues très jeune avec son nouvel ami Boris, Theo s’enfuira de nouveau à New York pour retrouver Hobie, auquel il est lié par le drame qu’il a vécu à 13 ans. Fragile psychologiquement, en possession de son trésor qui le raccroche à sa mère, à cet instant charnière, à l'amour, le seul, le vrai, et à la vie, il deviendra au fil des années l'associé d'Hobie dans son magasin d'antiquités. Et donc en lien permanent avec l'art, qui le sauve en quelque sorte du drame qui le hante toujours.

La première partie new-yorkaise, déchirante, décrit la souffrance, la perte, le deuil d’un jeune garçon. On se rapproche alors de Dickens et son Oliver Twist et aussi de L’attrape-cœurs de Salinger pour les déambulations new-yorkaises d'Holden Caulfield, la solitude, la déprime et le malheur qui semblent interminables.
 
La partie située à Las Vegas, dans la même veine, offre peu de répit. Nous voyons Theo sombrer dans une sorte de déchéance, sur les pas de son père alcoolique et accompagné par son nouvel ami d’origine russe Boris, qui, s’il n’en est pas moins un véritable ami (et presque le seul vrai ami que Theo aura) demeure une sombre influence pour lui. De plus, la bouillonnante "grosse pomme" s'oppose à l'ennuyante Las Vegas, cela n'aide pas. Choc des cultures : l'Amérique est vaste.
C'est encore un drame familial qui fait rentrer Theo à New York. Sa vie semble quelque peu se stabiliser dans cette troisième partie, même si elle dévoile davantage son apathie et son côté sombre, traits de caractère accentués par sa quête des paradis articificiels. Sa torpeur apparaît insurmontable et se transmet au lecteur qui se demande quand ce jeune homme sera enfin heureux. Theo subit son destin et le seul élément lui permettant de sortir réellement de lui-même demeure ce tableau.
À la page 563 de la version française, nous assistons à un retournement de situation qui nous laisse sur le carreau. Cela paraît un peu tiré par les cheveux, mais nous n’en sommes pas à une invraisemblance près dans ces quelques 786 pages, qui s'étirent quelque peu sur la fin et qui auraient sûrement pu être resserrées un peu. La finale "amsterdamienne", notamment, affûte la patience du lecteur, ou l'exaspère, au choix.

J’avoue que cette partie m’a un peu perdue pendant quelques chapitres. Le changement de style, passant tout à coup, sous la gouverne de Boris, du roman initiatique au polar est cependant négocié avec brio et nous tient – finalement – haletants jusqu’au dénouement (mais alors, on a hâte d'y arriver!).
La traduction de ce livre, souvent louangée, m’a une fois de plus laissée perplexe, non pas à cause des quelques coquilles qui me semblent inévitables et pardonnables, mais à cause de l’aspect franco-français insupportable pour un roman américain. Theo ne va pas à l’école secondaire mais au «lycée» et il s’exprime parfois d’une drôle de manière pour un petit américain. Pour éviter ces frustrations, je vous conseille donc la lecture de cet excellent roman, véritable page-turner (tiens, pour employer un vrai mot anglais difficile à traduire), en anglais, si vous en êtes capable. Sinon, ce n’est quand même pas si mal, et de toute façon, je ne suis pas assez spécialiste et j’ai bien trop de respect pour les traducteurs pour en juger ou critiquer.

Ce qui est sûr, c’est que l'on n'envisage plus du même œil les tableaux des expositions d’art que nous souhaitons visiter dans le futur et que ce joli petit chardonneret, que l’on peut admirer à La Haye (Pays-Bas) au musée Mauritshuis a inspiré un beau et ambitieux troisième roman à Donna Tartt, que l’on peut découvrir également en lisant ses deux premiers livres Le maître des illusions (The Secret History) et Le petit copain (The Little Friend). 
On sent cette auteure imprégnée par son sujet et peut-être s'est-elle laissée elle aussi séduire par le tableau de Fabritius. 
Car « si un tableau se fraie vraiment un chemin jusqu'à ton cœur et change ta façon de voir, de penser et de ressentir, tu ne te dis pas "Oh, j'adore cette œuvre parce qu'elle est universelle", "j'adore cette œuvre parce qu'elle parle à toute l'humanité". Ce n'est pas la raison qui fait aimer une œuvre d'art. C'est plutôt un chuchotement secret provenant d'une ruelle. Psst, toi. Hé gamin. Oui toi. [...] Un choc cardiaque individuel. Ton rêve, celui de Welty, celui de Vermeer. Tu vois un tableau, j'en vois un autre, le livre d'art le place encore à un autre niveau, la dame qui achète la carte à la boutique du musée voit encore tout à fait autre chose, et je ne te parle pas des gens séparés de nous par le temps, quatre cents ans avant nous, quatre cents après notre disparition, cela ne frappera jamais quelqu'un de la même manière, pour la grande majorité des gens, cela ne les frappera pas en profondeur du tout, mais un vraiment grand tableau est assez fluide pour se frayer un chemin dans l'esprit et le cœur sous toutes sortes d'angles différents, selon des modes uniques et particuliers. À toi, à toi. J'ai été peint pour toi. » (p. 773)


Lætitia Le Clech 

08 janvier 2015

Peine perdue

Peine perdue, Olivier Adam, Flammarion, 2014, 414 pages

Dans ses livres, depuis plusieurs années, Olivier Adam, auteur prolifique né en 1974, dépeint des personnages souvent laissés pour compte, et des réalités sociales peu présentes dans la littérature. 
Avec Peine perdue, il crée un livre choral dans lequel se succèdent 22 personnages (!) apportant tous une pierre au mystère entourant l'agression sauvage d'Antoine, un jeune homme un peu délinquant, gloire locale de l'équipe de football de cette petite station balnéaire sans nom, mais située près de Nice.
En parallèle, une tempête d'une rare intensité déferle sur la côte et vient fracasser plusieurs destins.
Peu d'optimisme dans ce livre, peu d'espoir. Les liens entre les gens se délitent lentement, l'amour est incertain, la famille déchirée, la jeunesse dépressive, les puissants toujours plus pervers et les pauvres toujours plus soumis. L'engrenage de la violence et des choix politiques douteux est irréversible.
22 destins incertains, chaotiques, à l'image d'une France de la crise, de l'échec et du désespoir. Peine perdue, l'expression parfaite pour illustrer les deux derniers jours...
Ce sentiment d'impossibilité, de désemparement collectif devrait être contré par le rassemblement, l'action et la solidarité, mais celle-ci manque aux personnages d'Olivier Adam dans Peine perdue. Au bout de 22 chapitres essoufflants, cette déprime collective devient épuisante. En voulant pousser l'exercice aussi loin, Olivier Adam beurre épais et nous perd parfois. Ceci dit, l'écriture puissante, cinglante et ciselée de l'auteur qui nous avait plus habitués aux côtes normandes et bretonnes, se moule parfaitement à l'ambiance de la Côte d'Azur. 
Mon avis un peu tiède ne doit pas décourager la lecture de Peine perdue qui, s'il n'est pas le roman le plus fort d'Olivier Adam, n'en demeure pas moins un portrait impitoyable de personnages qui n'ont pas souvent la parole et que l'auteur a le mérite d'essayer de comprendre.


Humeur musicale : Salomé Leclerc, 27 fois l'aurore (Audiogram, 2014). Surtout pour Devant les canons...