28 octobre 2008

Tout est illuminé

Tout est illuminé, Jonathan Safran Foer, collection Points (Le Seuil/Éditions de l'Olivier), 2003, 405 pages.

Jonathan Safran Foer est l'auteur de l'un des livres m'ayant le plus bouleversée en 2007, Extrêmement fort et incroyablement près, Éditions de l'Olivier.
Ce deuxième roman trouvait sa source dans les attentats du 11 septembre 2001 qui ont transformé l'Amérique et le monde à jamais.
Dans sa première publication, écrite à l'âge de 25 ans et intitulée Tout est illuminé (il a le sens du titre), l'auteur puise dans ses origines juives et dans l'histoire de sa famille pour nous offrir un texte habilement construit et extrêmement fort.
Le personnage principal de Tout est illuminé, Jonathan Safran Foer lui-même, part à la recherche de la femme qui a jadis sauvé son grand-père des nazis, en Ukraine, dans un Shetl nommé Trachimbrod. À partir d'une photographie, et aidé par Alex, un jeune homme traducteur qui rêve à l'Amérique, le héros (ainsi Alex le nomme-t-il) va parcourir le pays dans une quête initiatique de ses origines.
La narration démarre avec le récit de la vie dans le Shetl de Trachimbrod en 1791, dans un style frôlant le réalisme magique de Gabriel Garcia Marquez (un bébé "apparaît" dans la rivière, un homme vit avec une scie dans la tête, etc.) et ce n'est peut-être pas pour rien que j'ai lu - complètement par hasard - Cent ans de solitude tout de suite après Tout est illuminé. L'histoire du shetl se poursuit jusqu'en 1942, alors que la Deuxième Guerre Mondiale fait rage et que les Juifs d'Ukraine sont exterminés par les Nazis.
Les chapitres sont ensuite découpés entre cette narration historique et les lettres qu'Alex envoie à Jonathan après le retour de celui-ci chez lui aux États-Unis, et le récit des recherches de Jonathan à proprement parler. Il s'agit de la rencontre de l'ouest et de l'est, des rêves d'Alex aux déceptions de Jonathan, l'un étant un peu le pendant de l'autre.
En fait, Alex est là pour traduire et aider Jonathan à écrire son livre, ce qui donne naissance à une langue savoureuse et très imagée, puisqu'Alex est on ne peut plus approximatif avec la langue anglaise (le texte original est en anglais bien sûr). De là, un coup de chapeau aux traducteurs du livre en français, Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, qui ont su reproduire des expressions sorties de nulle part...
Un conseil : si vous débutez ce livre, et que vous vous sentez déconcertés par le début, forcez un peu la lecture, afin de découvrir un texte étonnant, alliant «le burlesque à la tragédie» en faisant un détour dans le monde du réalisateur Émir Kusturica.

Voici une belle introduction pour vous encourager à découvrir ce jeune auteur :

«Jonathan Safran Foer fait partie de ces écrivains inventifs qui conçoivent la littérature comme "un désordre des dents". Maniant le verbe avec une rare dextérité, il fait subir au langage toutes les distorsions possibles sans que cela jamais ne vire à l'exercice de style ou à l'incompréhension fumeuse. Parce que ce jeune auteur américain a trouvé en littérature le meilleur prétexte qui soit pour nous entraîner à la suite de ses phrases à l'humour foudroyant : une histoire à raconter. Une histoire pleine d'accidents banals et d'incroyables résurrections, de bébés sauvés des eaux, d'étudiants égocentriques, de vieillard malheureux, de rabbins pernicieux. De moments graves aussi. Une histoire donc.
Alex, un jeune Ukrainien, vivant aux crochets de sa famille, collectionnant selon ses dires, filles et succès, est entraîné par son père dans un voyage improbable à travers le pays : guider un écrivain juif américain, Jonathan Safran Foer lui-même à la recherche de ses origines et d'un village détruit en 1941 par les nazis. Si vous ne dépassez pas le premier chapitre (impossible), vous vous direz que l'auteur a bien du talent et de l'humour, pour faire s'exprimer de la sorte son personnage. En entamant le second chapitre, vous penserez que Jonathan Safran Foer est un écrivain profond, véritable, qui aurait bien du mal à dissimuler ses qualités. Et que dans le difficile exercice d'un premier roman cultivant tous les styles, inventif ou solennel, riche ou effilé jusqu'à l'essentiel, ce nouvel auteur américain frise le génie. »
--Hector Chavez


Un blogue qui parle du livre
Et un autre...

En écrivant ceci, j'écoute Stuart A. Staples, Leaving Songs (Beggars Banquet, 2006), avec une superbe chanson (That Leaving Feeling) à laquelle participe la Montréalaise Lhasa De Sela...

26 octobre 2008

Un mercredi soir au Club Soda

Catherine Major - Spectacle Rose Sang - Club Soda, mercredi 22 octobre 2008

Catherine Major avait présenté son dernier album, Rose Sang, paru en janvier 2008, au Verre Bouteille, à Montréal, le 5 février dernier, en formation intimiste piano-contrebasse (déjà Mathieu Désy).
Depuis, elle a reçu quelques prestigieux prix (Jutra pour la meilleure musique de film pour Le Ring, prix Félix-Leclerc de la chanson) et a fait la première partie de Véronique Sanson aux Francofolies cet été.
Le spectacle Rose Sang présenté au Club Soda mercredi dernier était un peu le mélange de toutes ces expériences des derniers mois : un grand souffle de maturité dans sa musique et son attitude, de la connivence entre tous les (excellents) musiciens (Martin Lavallée aux percussions, Mathieu Désy à la contrebasse et François Richard aux claviers, plus une participation d'Alex McMahon, le réalisateur de Rose Sang), des arrangements parfois magnifiques (Sahara avec les voix des 3 musiciens en chœur).
Si on rajoute un éclairage que j'ai trouvé vraiment réussi (beaucoup de rose, forcément), un son qui s'est ajusté rapidement pour être à son meilleur (et là, c'est rare que je souligne ce point de façon positive), on obtient là un retour (même si elle n'en était pas partie) de Catherine Major sur le devant de la scène de la chanson québécoise, après un premier album prometteur (Par dessus bord, 2004) et une tournée en 2006 qui m'avait enchantée.
L'artiste, que l'on a pu voir à Tout le monde en parle en mars et en couverture du Ici dernièrement, part pour une tournée complète au Québec (voir son site Myspace) et j'ai ouï dire que suite au succès du spectacle de mercredi, il y aurait une supplémentaire à Montréal en février 2009.
Catherine Major est également en nomination pour trois prix au Gala de l'Adisq, qui aura lieu dimanche prochain, pour l'album populaire de l'année, l'auteur-compositeur de l'année, et la meilleure réalisation
À surveiller donc...

Articles à lire :
Article du Devoir par Sylvain Cormier
Article du Soleil par Nicolas Houle
Article de La Presse par Alain Brunet

En écrivant ceci, j'écoute Jan Garbarek, I Took Up the Runes (ECM Records, 1990)

22 octobre 2008

Cent ans de solitude

Cent ans de solitude, Gabriel García Márquez, Éditions du Seuil, 1995 (Première édition en 1967)

Difficile de résumer ce livre ou d'écrire des choses neuves sur cette œuvre magistrale. Pour résumer, nous pouvons dire que Cent ans de solitude relate l'histoire de la famille Buendia, dans un village imaginaire nommé Macondo. Le patriarche, José Arcadio Buendia, en est le créateur. C'est le point de départ d'une histoire qui nous présente tous les personnages de cette famille poursuivie par le sort, mais aussi au destin épique. Avec la lecture de ce chef-d'œuvre de la littérature hispano-américaine et mondiale, ce fut pour moi la découverte du réalisme magique (terme utilisé depuis 1925 par la critique littéraire et artistique) de García Márquez, juxtaposition d'éléments fantastiques, ésotériques, dans une réalité et un cadre tout à fait vraisemblables. Au départ un peu déconcertée par ces incursions magiques dans le récit, j'y ai finalement trouvé une manière de me reposer, de m'évader des histoires dramatiques racontées en toile de fond. Le moment où j'ai terminé la lecture de Cent ans de solitude a coïncidé avec la sortie d'une première biographie de Gabriel García Márquez, que je lirai prochainement je l'espère (pour l'instant seulement disponible en anglais je crois).
Une belle découverte, qui me fait penser à chaque fois que la littérature et les beautés qu'elle peut nous faire découvrir sont presque inépuisables...

En écrivant ceci, j'écoute Elliot Goldenthal and Various Artists, Bande originale du film Frida

07 octobre 2008

Paris

Vu en avant-première la semaine dernière, le dernier film de Cédric Klapisch m'a déçue par certains aspects et réjouie par d'autres. Il ne me reste pas cependant - une semaine après son visionnement - de sensations de bonheur béat, comme Chacun cherche son chat, par exemple, avait pu m'en procurer.
Le film nous offre une brochette d'acteurs exceptionnels, Juliette Binoche, Fabrice Luchini, Romain Duris, Albert Dupontel, entre de nombreux autres. Les personnages sont généreux, humains et touchants, comme la plupart du temps dans les films de Klapisch. Mais il y en a un peu trop, pas assez approfondis, trop caricaturaux (les hommes du marché surtout) et d'autres, excellents, qu'on ne voit presque pas assez (merveilleuse Karin Viard en boulangère très parisienne).
Le propos est bien sûr touchant, un jeune homme souffre d'une maladie du coeur (on ne sait pas quoi exactement) et seule une transplantation pourrait - peut-être - le sauver. Ils se met alors à observer de sa fenêtre les gens, ceux qui passent sous ses fenêtres, ceux qui habitent son quartier et ceux qui l'entourent dont sa soeur, mère célibataire désabusée et fragile.
Cela donne lieu à des chassés-croisés de personnages blessés, en quête d'amour et de bonheur simple, au milieu d'une ville que le réalisateur aime plus que tout.
Cédric Klapisch a d'ailleurs déjà mis en scène la capitale française, enfouie sous le sable, dans le film Peut-être, avec Jean-Paul Belmondo et Romain Duris, film d'anticipation sorti en 1999.

Je vous le conseille quand même parce qu'un film de Klapisch est toujours un plaisir à voir... Mais si vous souhaitez vous replonger dans la filmographie de l'un des réalisateurs les plus talentueux de son temps (et l'un de ceux que je préfère, ça paraît, non ?), rabattez-vous sur Chacun cherche son chat, ou Le péril jeune, ou encore, dans un autre style, Un air de famille...

Les tous débuts d'un jeune acteur, qui doit aujourd'hui se marrer en voyant ça...



En écrivant ceci, j'écoute Roberto Fonseca, Zamazu (Enja, 2007)

02 octobre 2008

Mauvaises graines mais excellentes récoltes :) !!!

Nick Cave and The Bad Seeds - Métropolis de Montréal, 2 octobre 2008
Nick Cave est de ces artistes au charisme hallucinant, avec biographie à rallonge, collaborations à n'en plus finir, évoluant dans son art avec fougue et honnêteté, du punk des premiers albums en 1984 à la chanson intime des albums plus récents comme The Boatman's Call (1997) ou No More Shall We Part (2001). Sa musique n'est pas commerciale, plutôt underground, mais il remplit des salles de 2000 personnes qui le vénèrent.
Certaines de ses chansons sont cultes, comme The Mercy Seat, de l'album Tender Prey, paru en 1988. Depuis cette date, Nick Cave a chanté cette chanson dans quasi chacun des concerts qu'il a donnés, c'est sa préférée. Nous y avons aussi eu droit - pour mon plus grand bonheur - hier soir.
Le personnage est fascinant, sorte de poète écorché, maudit et malheureux, aujourd'hui beaucoup plus serein semble-t-il. Rescapé de plusieurs overdoses, il a brûlé la chandelle par les deux bouts, comme on dit si bien et de façon convenue...
Il a fait chaviré le coeur de nombreuses femmes (dont P.J Harvey), et la paternité l'a paraît-il assagi (et lui a inspiré un très beau disque, The Good Son, en 1990). Ses enfants vivent dans le monde entier, 3 en Australie, sa patrie natale, 1 au Brésil, et ses jumeaux à Londres, son lieu de résidence actuel.
Il s'intéresse au cinéma, a travaillé avec Wim Wenders (Les ailes du désir et Until The End of The World), et a aussi publié des livres (And the Ass Saw the Angel, King Ink I et II).

Je ne sais plus exactement comment je l'ai découvert... Probablement dans la bande originale du film de Wim Wenders, Until the End of the World, vers 1991, ou bien dans ma frénésie de découverte de l'Australie, pays qui m'a longtemps fait rêver, et duquel je voulais tout connaître...
C'est le Nick Cave calme que j'ai le plus aimé en premier, touchée par sa voix hyper grave et mélancolique, il m'a fait le même effet que Leonard Cohen (dont il est un grand fan) que j'écoutais aussi sur vinyl à l'époque. Bref, il n'en fallait pas plus pour que je m'intéresse à lui de près. Avec son groupe de mauvaises graines, les Bad Seeds, il a produit presque 15 albums, sans compter les autres groupes (The Boys Next Door, The Birthday Party, Grinderman...). Il y en a donc beaucoup à écouter de Nick Cave, tout comme il y a beaucoup à dire sur lui.

Mais revenons au concert d'hier soir. Nick Cave faisait partie de cette catégorie d'artistes mythiques que j'aimerais voir au moins une fois dans ma vie en concert. Et bien j'ai eu cette chance grâce à Pop Montréal qui a réalisé un grand coup cette année !
Ce que j'ai adoré du concert, c'est qu'il y en avait vraiment pour tous les goûts : autant pour ceux qui aiment le côté plus calme de Cave que pour ceux qui l'aiment déchaîné, des chansons du dernier album, Dig Lazarus Dig !!! (2008), en passant par Get Ready for Love (Abbatoir Blues, 2004), The Mercy Seat et Deanna (Tender Prey, 1988), The Weeping Song (The Good Son, 1990), Red Right Hand (Let Love In, 1994), Stagger Lee (Murder Ballads, 1996)... plus toutes celles que je n'ai pas reconnues.

Le groupe a été bien généreux dans sa prestation et même le grand Nick Cave, surplombant le public des premiers rangs (duquel nous n'étions malheureusement pas), s'accroupissait souvent pour toucher les mains tendues vers lui.
Son acolyte Warren Ellis, jouant du violon, du bouzouki, de la mandoline et de plein d'autres mini-guitares bizarres a produit tout un numéro psychédélique et déjanté en faisant quelques roulades arrières et chantant allongé sur la scène, et offrant à lui seul un spectacle intégral de danse...

Ce que j'ai adoré aussi, c'est que pour la première fois, j'ai vu le public défier l'organisation du concert et se révolter pour avoir un troisième rappel... Ah ça, que c'était plaisant ! Nous avons eu droit à deux autres chansons, alors que les techniciens avaient déjà débranché les amplis...
Nous sommes donc repartis rassasiés, espérant qu'ils reviennent avant 6 ans...

«Jeudi, j’ai assisté à mon énième spectacle de Nick Cave au Métropolis. Chic, moustachu, très rock et très en forme dans un amphithéâtre plein à craquer. Les nuances orchestrales, les ponctuations douces et fines, tous ces effets de style ont fait en sorte qu’on n’a pas regretté les décharges d’autrefois. Non, Nick Cave ne s’est pas autoparodié, loin de là. Il a appris à vivre le rock avec les années qui s’accumulent. Voilà un des artistes les plus complets de sa génération - rock, cinéma, littérature, toutes des formes maîtrisées, d’excellent niveau. Oui, une fois de plus, on a pu contempler un grand créateur. Merci Monsieur Nick.»

Alain Brunet, La Presse, 3 octobre 2008

« Non, il n'y a rien de pire qu'un événement raté. Et bien pire qu'un événement raté parce qu'on a choisi de ne pas le vivre, il y a celui qu'on a vécu sans vraiment y être. Le spectacle de Nick Cave d'il y a six ans est de ceux-là. Quand je pense que c'était pour la tournée de No More Shall We Part, un des albums qui me soient le plus cher, je m'en arracherais les cheveux. J'ai mis plusieurs années à aimer Nick Cave. À l'époque, j'aimais seulement ses chansons les plus connues comme « Red Right Hand » ou « The Weeping Song », et déjà un peu « As I Sadly Sat By Her Side », peut-être. En fait, je crois que j'avais découvert cette dernière pendant le spectacle... Mais par la suite, de quel amour l'ai-je aimé! Je ne crois pas qu'aucun artiste musical me soit plus cher que Nick Cave.

En le revoyant sur scène, mon amour s'est vu à nouveau confirmé. Je me suis rappelée lorsque je l'ai vu sur scène à quel point sa performance m'avait impressionnée déjà à l'époque. Jamais n'ai-je vu chez qui que ce soit d'autre un tel charisme, une telle intensité et une telle sensualité! Dieu qu'il sent le sexe! Nick Cave a une de ces façons de bouger et sa voix, sa voix... Comme l'écrivait avec justesse ma bien-aimée, sa voix est encore plus belle en spectacle que sur disque. Elle se déploie dans toute sa force... Le spectacle était merveilleux. J'étais complètement sous tension pendant toute sa durée. »
Chronique trouvée sur Lucidité Homicide, 04 octobre 2008.


En écrivant ceci, j'écoute Nick Cave and The Bad Seeds, The Lyre of Orpheus (2004)