La nuit sur les ondes, Elizabeth Hay, Éditions XYZ, 2011 (2007 pour la première parution en anglais), traduit par Hélène Rioux
2008 Ottawa Book Award
2008 Libris Award
« T'arrive-t-il de te demander où va ta voix ?
Elizabeth Hay a vu cette question épinglée au mur où elle travaillait dans les années 1970 alors qu’elle était journaliste à Yellowknife pour la radio de CBC. Cette phrase est plus tard devenue l’inspiration pour Late Nights on Air, roman pour lequel elle a remporté, en 2007, le Scotiabank Giller Prize, le plus important prix littéraire au Canada pour les textes de fiction. »
(Extrait de l'article très intéressant de Leata Lekushoff publié en septembre 2008 dans la revue Pour parler profession, revue de l'ordre des enseignantes et enseignants de l'Ontario)
Harry Boyd, animateur radio déchu, se retrouve coordonnateur puis directeur par intérim de la station locale de la CBC à Yellowknife, en 1974.
Sa petite équipe comprend Eleanor Dew, fidèle secrétaire, Eddy, technicien californien énigmatique, Andrew McNabb, le monteur, le journaliste Bill Thwaite, Ralph Cody, pigiste responsable des recensions de livres et photographe à ses heures, et les animateurs Jim Murphy, Dido Paris et Gwen Symon, ces deux dernières nouvellement arrivées dans la capitale des Territoires du Nord-Ouest. Gwen préfère travailler dans l'ombre, mais elle sera propulsée - après beaucoup de travail - à l'animation de nuit.
Plusieurs événements dramatiques viendront bouleverser le petit groupe, sur fond de lutte politique contre la construction d'un pipeline sur le territoire des dénés (ethnie du nord-ouest du Canada qui a été la première à s'établir dans les Territoires du Nord-Ouest), et d'expédition dans le Grand Nord, inspirée par l'explorateur des régions Arctiques John Hornby, mort de faim près de la rivière Thelon, en compagnie de ses deux compagnons Edgar Christian et Harold Adlard.
Ce roman d'Elizabeth Hay, auteure canadienne qui a publié sept livres (nouvelles et romans) depuis 1989, explore tout d'abord le milieu de la radio, qu'elle connaît bien, ayant été elle-même animatrice et journaliste pour la radio de Radio-Canada à Yellowknife, Winnipeg et Toronto.
Ayant moi-même tâté du micro pendant quelques années, notamment sur les ondes du 102, 3 FM à Montréal, j'ai été très enthousiasmée par cet aspect du texte, qui nous propose dans une première et longue partie de nombreux superbes passages à propos de la voix :
« À quatre ans, Gwen avait une robe d'été jaune imprimée de cornets de crème glacée. Manger une glace vêtue de cette robe, la regarder fondre et se désintégrer pendant que les jolis cornets sur sa robe demeuraient gelés, impeccables, lui donnait une sensation assez semblable à celle qu'elle éprouvait en voyant les mots tapés sur la page devenir un gros dégât dans sa bouche.» (p. 76)
« Tu dois entrer dans la nouvelle, dit-il à Gwen avec une touche d'impatience dans la voix. Entre en elle et laisse tes yeux bouger jusqu'à la fin de la ligne, puis à la ligne suivante, ta voix comprendra et suivra. Lis comme si tu cherchais le sens des mots. » (p. 77)
« En ondes, dans la lumière tamisée de la cabine, elle allait vers les maisons avec sa voix, le long de chemins couverts de feuilles, sous la voûte des arbres, et personne ne s'occupait d'elle. » (p. 110)
« Cette fille était parvenue à lacer la chaussure souple de sa voix » (p. 111)
Autant de passages où une traduction précise et fine était obligatoire. Pari réussi pour la traductrice Hélène Rioux, également auteure. Hélène Rioux est aussi la traductrice du roman de Yann Martel, Self, qui a été finaliste pour le prix du Gouverneur général en 1998.
Elizabeth Hay nous présente donc un témoignage très vivant et réaliste de ce que furent le journalisme et la technique radiophonique dans les années 70. Comment se fabriquait une émission, comment se montait un reportage journalistique enregistré sur bandes, comment se faisait la mise en ondes, etc. Une réalité que nous ne connaissons plus aujourd'hui, ère de l'immédiateté et du numérique. C'est très plaisant de retourner, grâce à ce texte, à la lenteur, à l'observation, à la minutie. Gwen par exemple se plaît à enregistrer toutes sortes de sons dans la nature, des chants d'oiseaux au bruit des moteurs, en passant par des bribes de conversations dans un café, elle ne se sépare jamais de son enregistreuse...
Les différents protagonistes apprennent à se connaître et plusieurs histoires d'amour et d'amitié se nouent et se dénouent, avec, dans leurs sillages, jalousie, mensonge, trahison et tristesse.
Ils se sont tous retrouvés dans cette partie éloignée du monde, ce Grand Nord, pour des raisons différentes et parfois mystérieuses, mais ils partagent tous une profonde attirance pour ces contrées froides.
Chacun mène son propre combat, Harry contre la télé qui prend de plus en plus d'importance face à la radio, Dido et Eddy un combat politique parfois radical contre la construction du pipeline, Gwen un combat contre elle-même et ce qu'elle ne veut pas être. Eleanor, de son côté, se tournera vers la spiritualité pour trouver un sens à sa vie.
Ils se sont tous retrouvés dans cette partie éloignée du monde, ce Grand Nord, pour des raisons différentes et parfois mystérieuses, mais ils partagent tous une profonde attirance pour ces contrées froides.
Chacun mène son propre combat, Harry contre la télé qui prend de plus en plus d'importance face à la radio, Dido et Eddy un combat politique parfois radical contre la construction du pipeline, Gwen un combat contre elle-même et ce qu'elle ne veut pas être. Eleanor, de son côté, se tournera vers la spiritualité pour trouver un sens à sa vie.
La deuxième partie du livre voit se développer tous ces liens qui vont nous mener à l'ultime acte de cette histoire, consacré à une expédition qu'Harry, Gwen, Ralph et Eleanor préparent minutieusement, et où là encore, l'auteure nous offre de magnifiques descriptions du Grand Nord, qui la fascine visiblement.
« Quand ils se relevèrent, leur regard enregistra pleinement les espaces infinis nordiques. Chaque pied de ces plaines étales, de ces collines érodées était aussi détaillé que le petit fragment sur lequel ils se tenaient. » (p. 295)L'auteure précise dans ses remerciements qu'elle avait en tête, durant l'écriture de son roman, la « merveilleuse biographie » de Georges Whalley sur John Hornby, The Legend of John Hornby (Macmillan of Canada, 1962), biographie à laquelle les personnages se réfèrent souvent.
Le dernier combat de la petite équipe, cette difficile expédition (en canot, avec le portage que ça implique, et les rencontres inhérentes au Grand Nord : grizzly, caribous, boeufs musqués...) sur les traces de l'explorateur qu'ils admirent, les transformera radicalement et nous vivons ce drame final pleinement avec eux.
Ce roman enthousiasmant nous entraîne dans une contrée du Canada peu explorée dans la littérature contemporaine. Les éditions XYZ ont eu une belle initiative en publiant la traduction de ce magnifique texte, à la fois nostalgique d'une époque révolue, mais qui a également une certaine résonance aujourd'hui, notamment par sa vision de l'opposition de l'homme à la nature, et par sa fine étude des rapports humains, éternellement complexes...
[Lætitia Le Clech]
La critique de La Presse, par Josée Lapointe
Le site de l'auteure Elizabeth Hay
Les éditions XYZ
Humeur musicale : Miles Davis, Kind Of Blue (Columbia, 1959), en hommage à ce chef-d'oeuvre du jazz malencontreusement rebaptisé dans le livre King of Blue... (p.109)
Ce roman enthousiasmant nous entraîne dans une contrée du Canada peu explorée dans la littérature contemporaine. Les éditions XYZ ont eu une belle initiative en publiant la traduction de ce magnifique texte, à la fois nostalgique d'une époque révolue, mais qui a également une certaine résonance aujourd'hui, notamment par sa vision de l'opposition de l'homme à la nature, et par sa fine étude des rapports humains, éternellement complexes...
[Lætitia Le Clech]
La critique de La Presse, par Josée Lapointe
Le site de l'auteure Elizabeth Hay
Les éditions XYZ
Humeur musicale : Miles Davis, Kind Of Blue (Columbia, 1959), en hommage à ce chef-d'oeuvre du jazz malencontreusement rebaptisé dans le livre King of Blue... (p.109)
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