22 juillet 2012

Griffintown

Griffintown, Marie Hélène Poitras, Éditions Alto, 2012

Décidément à l'aise dans de nombreux styles (littérature jeunesse et adulte, critique musicale et littéraire), l'auteure Marie Hélène Poitras, également journaliste culturelle en musique et éditrice web de Zone d'écriture, de Radio-Canada, nous offre pour son troisième roman pour adultes un véritable western urbain.
Se servant de son expérience comme cochère à Montréal, l'auteure nous entraîne dans les écuries du quartier Griffintown, dans le sud-ouest de la ville. C'est là que John, Billy, Marie et d'autres vont se côtoyer, traînant leur passé dans leurs bottes...

Tout comme dans La mort de Mignonne et autres histoires, le précédent livre pour adultes de Marie Hélène Poitras (recueil de nouvelles), l'un des éléments frappants de Griffintown est l'inconditionnel amour de l'auteure pour les chevaux. Elle les comprend et les sublime.
Nous entrons, grâce à ce récit, dans un univers qui nous est totalement méconnu, et Marie Hélène Poitras nous en apprend beaucoup (l'école des cochers, le traitement réservé aux chevaux, la menace des constructions de luxe dans le quartier, la conduite d'une calèche), tout en gardant une vraie part de mystère qui s'accorde avec l'aspect "conte urbain" de ce livre.
Le récit, construit comme une enquête (on cherche à savoir qui a tué Paul), avec ses multiples protagonistes, utilise Marie comme fil conducteur, « pied-tendre » s'intégrant dans ce milieu difficile.
Avec une toile de fond un peu plus classique (deux êtres que tout sépare vont se rencontrer), Griffintown nous ouvre un nouveau monde, poétique et dur à la fois, peuplé de personnages hauts en couleur, de détails recherchés et de passages très évocateurs.
Tout cela en fait incontestablement l'une des grandes réussites littéraires de l'année au Québec.
Angle Murray et Ottawa, dans l'ancien Horse Palace de Leo Leonard, là où paissaient d'autres chevaux de trait jusqu'à tout récemment, une petite boule de feuillage a pris forme autour d'une racine de trèfle exhumée. En roulant ainsi ballottée, elle a fini par accrocher ce qui traînait autour de léger et de friable : brins d'une vieille herbe jaunie, boutons de fleurs séchées, cheveux blancs et crins fourchus, de la corne réduite en poudre et même un peu de moelle, emmêlés au sable gris, aux racinettes de pissenlits, nervures de feuilles datant d'automnes révolus, germes de sainfoin, bouts de ficelle et de corde rêche, pollen et rouille effritée, duvet de moineau. La boule prend de l'expansion, de plus en plus bouffante et ventrue, virevolte sur l'asphalte en direction de le rue des Seigneurs, comme une petite âme en proie à l'affolement. (p.111)
La sublime couverture du livre, qui résume bien le contenu de ce roman, est réalisée par l'illustrateur montréalais Jason Cantoro (jetez un œil sur son site, ça vaut le coup).

La critique de Chantal Guy dans La Presse
L'article de Dominic Tardif dans le journal Voir
Un reportage sur Griffintown et sur les écuries dans Mange ta ville
De nombreux blogues ont parlé de Griffintown, parmi eux, Ma mère était hipster

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Rome, Danger Mouse et Daniele Luppi (EMI, 2011). Cet album pourrait jouer en boucle durant toute la lecture de Griffintown! D'ailleurs, l'une des chansons de l'album s'intitule The Rose With the Broken Neck, la rose au cou cassé, qui est le surnom de Marie dans le livre...

19 juillet 2012

Elles ont fait l'Amérique

Elles ont fait l'Amérique, Tome 1, Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, Éditions Lux, 2011

L'anthropologue québécois Serge Bouchard, qui anime depuis 2004 sur les ondes de Radio-Canada l'émission De remarquables oubliés, a décidé de rendre hommage sur papier à 15 femmes qui, par leurs destins extraordinaires, ont ajouté une pierre à l'édifice du Canada.
Exploratrices, voyageuses, journalistes, elles ont suivi leur mari ou décidé seules de leur destinée.
Toutes intéressantes, certaines passionnantes, elles nous permettent de découvrir certains aspects que les manuels d'histoire occultent trop souvent.
Comme par exemple cette dernière histoire, celle de Robertine Barry, féministe et première femme journaliste à être engagée au journal La Patrie par Honoré Beaugrand, fondateur dudit journal. Savez-vous que l'édifice de ce journal existe toujours, au 180, rue Sainte-Catherine Est? Il est en ce moment investi par un organisme visant à promouvoir l'art de rue. Allez y faire un tour!

Les vies de ces femmes sont racontées comme des épopées. Plusieurs thématiques surgissent de ces récits, notamment le fait français en Amérique du Nord.
Certaines histoires nous font voyager jusque dans l'Ouest américain où ces exploratrices multilingues (elles feraient rougir de honte un bon nombre d'entre nous) communiquaient en français avec certaines populations autochtones. Elles prenaient également la peine d'assimiler les langues amérindiennes.
À la suite de ces lectures, nous nous demandons comment la langue française a pu s'évanouir à ce point en Amérique. Même si nous avons certains éléments de réponse à ce sujet, il est toujours bouleversant de se rendre compte du déclin d'une telle richesse.

Ces histoires plairont à toute la famille, on peut les lire à haute voix aux enfants le soir (Ah! le bonheur de se faire lire des histoires!), les prêter à la visite, chacun y trouvera du plaisir et de l'intérêt.
Vivement le tome 2!

Une petite vidéo explicative
La critique dans La Presse 

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Légendes d'un peuple (Les disques Gavroche, 2012). En ces temps électoraux, musique à découvrir... et qui colle parfaitement au livre de Serge Bouchard!

13 juillet 2012

Les lumières de la France

Les lumières de la France, tome 1 : La comtesse éponyme, Joann Sfar, Éditions Dargaud, 2012

Loin du Chat du rabbin ou de Gainsbourg (vie héroïque), Joann Sfar s'attaque à l'histoire de France du siècle des Lumières.
Le prolifique auteur de bande dessinée, qui a aussi dans sa besace une maîtrise de philosophie, revisite les contradictions des grands penseurs de cette époque qui pouvaient se targuer d'être contre l'esclavage tout en retirant du commerce triangulaire de nombreux bénéfices.
Le faux débat est ainsi amorcé par le personnage du Comte que l'on rencontre en début d'ouvrage : « Je voudrais pouvoir dormir sereinement avec la certitude que notre compagnie pratique un esclavage à visage humain ». Cela pose les bases de cette bd qui se veut grinçante...
Sfar nous fait ensuite partager le quotidien de la Comtesse, épouse du Comte du début, qui, pour se désennuyer, écrit (et vit) ses fantasmes coquins et discute avec sa petite chienne Fragonarde...
Un peu de philosophie dans le boudoir, vous avez dit?

L'ensemble est un petit délice qui nous laisse malheureusement sur notre faim. La suite devrait sortir prochainement (deux autres tomes sont prévus) et on a hâte de voir ce que Sfar nous réserve.
Si cet ouvrage peut paraître un brin brouillon, entre autres en nous perdant un peu entre la première partie (très courte) et la deuxième, le scénario semble tout droit sorti des méandres chaotiques du cerveau de Sfar. Son humour décalé viendra chercher les lecteurs les plus avertis, quant aux autres, ils sortiront peut-être de cette lecture un peu décontenancés.
Les pages finales nous offrent quelques croquis et planches de dessins dont plusieurs mettent en scène la petite chienne Fragonarde. Vous l'aurez compris, j'aime beaucoup cette petite chienne!


Humeur musicale : Trunks, Hardifscurry (Album On the Roof, 2011, Le son du maquis)

12 juillet 2012

Paris vs New York

Paris vs New York, Vahram Muratyan, Éditions 10/18, 2011

Originellement blogue créé en 2010, le procédé de Paris vs New York est simple : opposer les grandes thématiques urbaines, souvent décalées et originales (les crottes, le divertissement, la chaleur, le fromage) entre ces deux grandes villes, sous forme de dessins plutôt simples, style pictogrammes élaborés, mais qui captent le plus souvent LE détail qui tue.
Plutôt destiné à ceux qui connaissent l'Amérique du Nord et en particulier New York, ainsi que Paris et les habitudes françaises, à qui cet ouvrage fera s'exclamer « Mais oui, c'est vrai! », ce petit guide non réglementaire fera voyager tous ceux qui le feuilleteront et pourra même lancer des discussions entre amis, après avoir ouvert le livre à une page au hasard.

Cadeau ludique et inépuisable, Paris vs New York laisse présager de nombreuses suites. Peut-être que son auteur, français de naissance, amoureux de New York, se lancera dans de nouveaux « matches visuels » entre grandes villes.

En attendant, vous pouvez consulter le blogue de l'auteur ici.

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Veckatimest, Grizzly Bear (Warp, 2011)

11 juillet 2012

Se résoudre aux adieux

Se résoudre aux adieux, Philippe Besson, Éditions Julliard, 2007

Depuis ma découverte de Philippe Besson, que j'aime d'amour, parce qu'il a écrit Son frère et d'autres belles choses, je me suis procuré plusieurs de ses livres.
Se résoudre aux adieux, publié en 2007, se présente sous la forme de plusieurs lettres qu'une femme, Louise, écrit à son amant perdu, Clément, depuis les quatre coins du monde (Cuba, New York, Venise, en route vers Paris). Femme blessée et victime de « l'homme de [sa] vie », qui ne l'a pas choisie, elle prend le parti d'écrire tout ce qui lui vient à l'esprit concernant cette relation sans futur.

Plutôt décevant, ce texte, rapide à lire, étale un certain nombre de lieux communs post-rupture, qui même s'ils sont réalistes, n'en demeurent pas moins éculés.
Les thèmes chers à l'auteur tels que l'absence et le deuil sont traités de façon appropriée mais trop scolaire.
L'exercice de style est valable, mais le résultat, décevant.
Au suivant.


Humeur musicale : Philémon chante, Les sessions cubaines (Audiogram, 2010), en voilà de belles chansons d'amours déçues...