09 février 2010

L'énigme du retour

L'énigme du retour, Dany Laferrière, Éditions du Boréal, 286 pages, 2009
Prix Médicis 2009


Bien sûr, lire L'énigme du retour aujourd'hui n'a pas le même poids que de l'avoir lu il y a un mois ou deux. Découvrir maintenant ce long poème à la musicalité si douce amène une deuxième ligne de lecture, des questionnements et des bouleversements sans précédents.
Il se trouve que j'ai achevé le dernier livre de Dany Laferrière à une centaine de kilomètres d'Haïti, en vacances sous le soleil du sud de Cuba. Quelques jours plus tard avait lieu cette catastrophe, ce tremblement de terre qui nous bouleverse encore aujourd'hui, près d'un mois plus tard.
Dans son livre, Dany Laferrière, après avoir appris le décès de son père (qui vivait en exil à New York depuis la dictature des Duvalier père et fils), retourne en Haïti pour annoncer la nouvelle à sa mère restée depuis toujours dans son pays. Le fils, lui, a quitté son pays pour le Canada en 1976. C'est donc un retour au pays et à ses racines, afin d'essayer de se rapprocher un peu de ce père qu'il a "perdu" à l'âge de 4 ans (son père s'est exilé en 1957).
Il va ainsi à la rencontre des anciens amis de son père, qui eux sont restés en Haïti, et part aussi dans le village natal paternel, Baradères. À la fois étranger dans son propre pays et reconnu par tous de part sa ressemblance avec son père et sa popularité d'écrivain, Dany Laferrière évoque dans son livre les difficultés liées à l'exil, à la perte d'identité ou la double identité.

«J'ai eu beau leur parler en créole rien n'y a fait.
Leur étonnement me met hors jeu.


C'est là que j'ai compris
qu'il ne suffit pas de parler créole
pour se métamorphoser en Haïtien.
En fait c'est un trop vaste vocable
qui ne s'applique pas dans la réalité.
On ne peut être haïtien qu'en dehors d'Haïti.»

(p.186)


Il relie son passé, son enfance, à son présent, son pays d'accueil à son pays d'origine, que tout semble opposer.


«Je n'ai qu'à faire circuler la rumeur
que je suis retourné vivre là-bas
sans préciser de quel là-bas il s'agit

afin qu'à Montréal on puisse croire
que je suis à Port-au-Prince

et qu'à Port-au-Prince on soit sûr que
je suis encore à Montréal.
La mort serait de n'être plus

dans aucune de ces deux villes.»
(p.126)


Dany Laferrière se laisse pénétrer par toutes les sensations qu'il éprouve dans son long périple et par un style véritablement magnifique, nous fait goûter à notre tour à ces odeurs, couleurs et émotions. Il ne vit plus en Haïti depuis 30 ans mais il est imprégné de tout cela, ce sont ses racines qui refont surface rapidement. Un livre dans lequel on peut se plonger plusieurs fois, et qui nous offre à chaque lecture, des perles qui nous font rêver et réfléchir...

«On naît quelque part.

Si ça se trouve
on va faire un tour dans le monde.
Voir du pays comme on dit.
Y rester des années parfois.

Mais, à la fin, on revient au point de départ.

(p.209)

«Si on revient au point de départ
cela voudra-t-il dire que le voyage est terminé ?
On ne meurt pas tant qu'on bouge.

Mais ceux qui n'ont jamais franchi
la barrière de leur village
attendent le retour du voyageur
pour estimer si cela valait
la peine de partir.»
(p.228-229)


Le Prix Médicis
L'article dans Le Point
L'article dans Télérama
Une entrevue avec Dany Laferrière
Un extrait du livre lu par l'auteur
Le témoignage de Dany Laferrière suite au tremblement de terre en Haïti


En écrivant ceci, j'écoute Jefferson Airplane, White Rabbit, ainsi que quelques autres chansons sur Lastfm...

6 commentaires:

caro a dit...

Quand son neveu lui dit "Je sens une distance de plus en plus grande entre la réalité et moi" il lui répond "c'est peut-être ton espace pour écrire". Je pense que l'on peut se sentir en exil dans son propre pays. L'art, l'écriture, la création peuvent devenir des terres où exister. Ces oeuvres habitées deviennent de véritables joyaux. Merci Laetitia de m'avoir partager ce très beau livre.

Lætitia Le Clech a dit...

Merci pour ton magnifique commentaire !

Claudio Pinto a dit...

Fibula, tu étais à une centaine de mètre du lieu de la catastrophe, tenant L'énigme du retour dans tes mains ? Quel étrange synchronisme!

Je partage tout ce que tu écris dans ton billet. L'énigme du retour est tout musique.

Lætitia Le Clech a dit...

Euhhh oui... Kilomètres en fait... Sinon je ne serais pas là pour vous en parler, j'en ai bien peur...

Merci pour ton commentaire !

dany a dit...

on revient souvent à ses racines sauf quand on en a pas..Heureuse d'avoir lu ton blog à nouveau.

Lætitia Le Clech a dit...

Je crois que tout le monde a des racines. Il suffit parfois de les déterrer...et parfois elles sont profondes. Mais ce n'est pas possible de ne pas en avoir, non ?