27 décembre 2012

En souvenir d'André

En souvenir d'André, de Martin Winckler, Éditions P.O.L., 2012

Pour vous parler du dernier roman de Martin Winckler, nous pouvons revenir sur cette causerie qui s'est tenue à la librairie Olivieri, en novembre dernier. Nous pouvons d'ailleurs la réécouter en intégralité sur le site de Radio Spirale.

Lors de cette causerie, Martin Winckler, en plus de nous parler du processus d'écriture de son livre, nous a livré sa vision très personnelle de la médecine, de l'accompagnement, des relations humaines. Cette vision plus sensible, qu'il met de l'avant dans chacun de ses livres, à commencer par La maladie de Sachs, publié en 1998, est d'ailleurs devenue un modèle pour plusieurs jeunes médecins aujourd'hui, ou du moins une référence. C'est encourageant.

Chez Martin Winckler (Marc Zaffran de son vrai nom), l'écriture et la médecine sont intimement liés. En tant que médecin, il a toujours beaucoup écrit, à la fois pour se libérer des histoires parfois difficiles qu'il pouvait entendre, mais aussi pour témoigner.
Depuis qu'il vit au Québec, le médecin français s'est intéressé aux courants nord-américains de Narrative medecine. Plusieurs cours de maîtrise existent aux États-Unis (Université Columbia, Université Harvard, entre autres). Par ailleurs, le Québec compte son lot de médecins-écrivains, comme Jacques Ferron ou Jean Désy.
Actuellement, Martin Winckler termine une résidence d'écrivain à l'Université d'Ottawa, où il donnait également un cours de création littéraire. Il y a quelques temps, il a aussi enseigné l'éthique à l'Université de Montréal, et a été actif au CRÉUM (Centre de Recherche en Éthique de l'Université de Montréal).
Comme écrivain, il publie à la fois des histoires médicales, des polars et des essais sur les séries télévisées ! Homme éclectique et généreux, il nous a entretenu pendant plus d'une heure de la vie et de la mort. Car son dernier roman est un vibrant plaidoyer en faveur d'une législation sur la fin de vie et d'une légalisation du suicide assisté.

Il est difficile de parler de ces sujets pas très hop-la-vie et qui divisent énormément. Mais avec quelqu'un comme Martin Winckler, cela semble tout de suite plus simple et libérateur. Car il fait des détours par la parole et l'écoute indispensables à un accompagnement en fin de vie. D'ailleurs, dans les pays où l'euthanasie est légiférée (Pays-Bas, Luxembourg et Belgique : euthanasie active et deux états des États-Unis (Oregon et Washington) et Suisse : suicide assisté), l'auteur souligne que les personnes sont prises en charge, écoutées avant le passage à l'acte. Tout est tellement encadré que parfois, les personnes changent d'avis.
Finalement, un faible pourcentage de ces personnes ira jusqu'au bout.

Par contre, toutes ces personnes ont un point commun, et le roman En souvenir d'André aborde ce sujet avant tout autre : elles souffrent. Parce qu'elles ont mal, parce qu'elles ne peuvent l'exprimer. Parce que bien souvent, résoudre le problème de cette souffrance les ferait changer d'avis.
« Beaucoup avaient des douleurs qui n'avaient jamais été étiquetées, jamais été identifiées. Leurs médecins n'y pouvaient rien et leur avaient dit parfois que c'était dans leur tête.
On ne leur avait pas appris que dans la tête, il y a le cerveau; que la douleur, le cerveau la perçoit et, parfois, la produit. Quand les gens disent qu'ils ont mal, ils ont mal. Dire que c'est « dans la tête », c'est dire : « Vous avez mal parce que vous avez mal. » (p.41)
D'autre part, on pose souvent le sujet de l'euthanasie par le biais unique de la médecine et des médecins. Martin Winckler s'exprime ainsi dans une chronique (Odyssée) réalisée pour France Inter le 19 décembre 2002: « Et je me dis que si la question de l’euthanasie suscite des réactions aussi fortes c’est parce que, très souvent, et de manière assez absurde, on demande aux médecins de résoudre le problème. Mais les médecins ne deviennent pas soignants pour tuer des gens. L’idée qu’on vote une loi qui puisse implicitement ou explicitement faire d’eux des donneurs de mort les scandalise. Et comment ne pas le comprendre ? »

La liberté de faire des choix est accordée en tout sauf dans la mort, et marque aussi les différences sociales entre les gens, comme pour l’avortement il y a 50 ans par exemple.
Pour le suicide assisté, il y a eu le cas, en France, de Vincent Humbert, qui a inspiré la chronique à laquelle je fais référence plus haut. Un jeune homme, devenu tétraplégique suite à un accident, souhaite se donner la mort. Il ne peut le faire lui-même, on comprend pourquoi. Sa demande est refusée. Au même moment ou presque, la mère de l'ex-Premier ministre français Lionel Jospin, décide de mettre fin à ses jours.
« Mireille Jospin-Dandieu, sage-femme, veuve de Robert Jospin, membre du comité de parrainage de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), a décidé dans la sérénité de quitter la vie, à l'âge de 92 ans, le 6 décembre 2002 », est-il ainsi écrit dans l'avis de décès. (Libération du 9 décembre 2002)
Est-ce que les principes peuvent l’emporter sur la dignité ?
Pour l'auteur d'En souvenir d'André, « L’autorité morale supérieure des médecins est un mythe, ils n’ont pas à imposer leurs valeurs. »
« Certes on ne refusait jamais une ultime injection à un banquier qui se mourait d'un cancer généralisé. On ne refusait jamais des comprimés de morphine à la vieille mère d'un ministre. Mais si la demande venait d'un jeune tétraplégique anonyme assigné à survivre indéfiniment dans un poumon d'acier - et surtout, si cette demande était publique - il n'était pas question de l'entendre. Ce garçon était probablement dépressif. Ou manipulé par son entourage. Ou mal informé sur les multiples possibilités de survivre dans des conditions acceptables - voyez l'acteur adulé, le savant renommé qu'on montre en photo dans leur fauteuil électrique, qu'on entend parler de leur voix métallique à travers les écrans de leurs ordinateurs. Puisqu'ils vivent ainsi, c'est bien que c'est possible. Les voilà les modèles, les exemples à suivre.[...] La question est de savoir si je veux survivre comme ça! » (p.65)
Au Québec, les derniers débats sur le sujet démontrent l'intérêt du public pour ces questions et la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité en arrive aux conclusions qu'il faut légiférer sur le sujet.

Enfin, l'auteur traite de la transmission (au cœur de presque tous ses livres) et de ce que nous laissons quand nous mourrons, et ce, quelle que soit la façon dont nous mourrons. L'auteur, particulièrement préoccupé par cette question puisqu'il a lui-même des enfants, en revient donc à l'importance de l'écrit pour témoigner, pour laisser une trace, comme médecin, ou comme humain, tout simplement.

En souvenir d'André approche donc toutes ces thématiques par le témoignage d'un homme au seuil de sa propre mort, qui a longtemps travaillé dans une unité de traitement de la douleur, et qui va être amené à aider une personne à « partir ». D'autres suivront, « en souvenir d'André ». Le personnage agit d'abord dans l'ombre, puisque l'euthanasie était alors interdite.
Nous écoutons avec émotion toutes ces personnes nous raconter leurs histoires. Inutile d'en révéler davantage sur le livre car Martin Winckler amène aussi quelques rebondissements dans la vie de cet homme, des rencontres qui le marqueront plus que d'autres. L'évolution des mentalités se fait par la chronologie des événements. L'action présente de ce court roman se situe dans une époque permettant le suicide assisté.

Le format du livre permettra de rejoindre un plus grand nombre de lecteurs qui sauront reconnaître sous la plume de Winckler une réflexion fine, altruiste, essentielle en cette décennie qui permet tout et rien à la fois, qui plonge dans l'intimité de tous par le biais de Facebook, mais rechigne à écouter ceux qui ont des histoires de vie à raconter.

Le livre du jour, sur France Info, par Philippe Vallet
La critique de Télérama, par Christine Ferniot
Un article du New York Times (en anglais) sur la Narrative Medicine
La critique de Nathalie Petrowski dans La Presse, permettant d'en apprendre davantage sur l'une des sources d'inspiration de Martin Winckler, les travaux de Philippe Lejeune sur l'autobiographie et le journal intime

Lætitia Le Clech

Humeur musicale : Patrick Watson, Adventures in Your Own Backyard (Secret City Records, 2012)