02 mai 2006

Chinoises ~ Xinran


Éditions Philippe Picquier, 2003 (pour la traduction française), 328 pages.

Extrait
«L'impact de ma rubrique «Courrier de femmes» de dix minutes a dépassé toutes mes prévisions : le nombre de lettres d'auditrices a augmenté au point que j'en recevais plus d'une centaine par jour. Six étudiants devaient m'aider à dépouiller mon courrier. Les histoires qu'elles racontaient avaient eu lieu dans tout le pays, à des époques différentes durant les soixante-dix dernières années, et provenaient de femmes de milieux sociaux, culturels et professionnels différents. Elles révélaint des mondes qui avaient été cachés aux yeux de la majorité de la population, moi y comprise. Ces lettres étaient profondément émouvantes. Nombre d'entre elles contenaient des touches personnelles comme des fleurs, des feuilles ou des écorces séchées et des souvenirs crochetés à la main.»

Chinoises
Xinran est une animatrice de radio qui cherche à mieux connaître les femmes chinoises.
Elle décide de mener son enquête à travers son émission de radio diffusée la nuit. Elle recueille des témoignages, rencontre des femmes de tous les milieux, diffuse ses enregistrements et provoque le débat.
Finalement, après avoir immigré en Angleterre, elle réunit tous ces témoignages dans ce livre, Chinoises. Il a même été publié en Chine quelques temps après. Ce qui aurait été impossible auparavant, vu la teneur du propos.
Ce qui est relaté dans ce livre est assez effrayant. En plus d'en apprendre sur la condition des femmes chinoises, j'ai découvert un grand pan de l'histoire chinoise, et de certaines de ses horreurs.
J'ai été absolument bouleversée par le sort réservé à de nombreux hommes et femmes pendant la Révolution culturelle (1966-1976, selon l'historiographie chinoise, l'historiographie occidentale la considère achevée dès 1969), par le destin de ces enfants séparés de leurs parents pendant parfois plusieurs années. Et par les conséquences que ces événements ont pu avoir sur toute une génération, dont fait partie l'auteure.
Pires encore, ces récits de viols, d'abus, de mariages forcés, sur la pauvreté induisant l'ignorance et la vulnérabilité de ces femmes maintenues dans l'aveuglement.

À la question : «Où se situe la place de la femme dans la société chinoise ?», Xinran répond : «Sûrement pas au même niveau que l’homme ! Savez vous qu’en Chine beaucoup de mots utilisent l’idéogramme « femme » pour composer des mots désagréables ? Et la femme n’a pas de droits. Dans les villes jusqu’en 1990, l’homme avait le droit d’avoir une unité de travail, pas la femme. De toute façon, la Chine est un pays mâle. Les coutumes sont beaucoup plus favorables aux hommes qu’aux femmes. Toute la société a été construite pour les hommes. Les gens dans les villes voient moins de différences entre les hommes et les femmes. Elles perdurent pourtant.»
Finalement, ce livre nous montre la condition des femmes chinoises, mais ces témoignages ont de curieuses résonnances concernant d'autres pays...
Un livre universel alors ? Ce qui est sûr, c'est que ces témoignages apportent un début de compréhension culturelle, une vision de ce que les événements historiques peuvent faire subir à un peuple (on pense là au nazisme, aux extrémismes divers et variés...), et on se rend compte que l'Histoire n'est qu'éternel recommencement. Les femmes en sont souvent les premières victimes : les viols ne sont-ils pas une arme en temps de guerre ? Il n'y a qu'à penser au récent génocide rwandais.
Le débat est ouvert.
Le livre, même s'il présente de nombreux cas de résignations féminines et de soumissions à des codes et des dogmes entièrement fait par et pour les hommes, brosse aussi des portraits de femmes touchantes, qui se battent pour sauver ce qui leur reste : leur famille, leur amour, leur dignité. Poignant.

La démarche de Xinran est un aspect positif de l'évolution de la Chine et des mentalités de ce pays. Elle décrit, témoigne, montre toute l'horreur et parfois l'impensable de certaines situations. Mais jamais elle ne juge, et surtout elle ne se fait pas "justicière anti-hommes" ; au contraire elle essaye aussi d'écouter ce que les hommes ont à dire, pour preuve ces débats qu'elle provoque souvent avec son collègue de la radio.

Je vous recommande chaudement la lecture de Chinoises de Xinran, qui m'a également été conseillé par la mère de mon ami F.
Merci à elle.
À propos de l'auteure
Xinran est née en 1958 à Pékin.

Elle a été journaliste à la radio de Nankin. Pendant plusieurs années, elle a animé une émission chaque soir, intitulée Mots sur la brise nocturne.

En 1997, elle immigre à Londres où elle est journaliste pour le Guardian.

En 2005, elle publie un autre livre, un roman cette fois-ci. Funérailles célestes raconte l'histoire de Wen, qui est véridique. A l'époque où Xinran, journaliste à Pékin, recueillait les confidences des femmes dans son émission de radio (publiées dans Chinoises en 2003), elle a rencontré cette femme qui lui a raconté son histoire. Bouleversée par ce récit qui réveillait en elle un souvenir d'enfance, elle lui a consacré un livre, qui éclaire d'un jour poignant le rite des funérailles célestes.

Xinran a crée en Grande-Bretagne une association humanitaire, the Mother's Bridge of Love (MBL), le but de cette action est de permettre une meilleure intégration pour les enfants chinois adoptés par des parents non-chinois.
Plus d'infos sur la Révolution culturelle ici.
Un entretien avec Xinran ici.
En rédigeant ceci, j'écoute cela : Jack Johnson ~ On and on (Umvd Labels)

8 commentaires:

Anonyme a dit...

Si j'ai beaucoup aimé les deux ouvrages de Xinran, je dois dire qu'il m'ont beaucoup ému.
Surtout Chinoises. Malgré la légère naïveté on dira de l'auteure (impression qu'on retrouve d'ailleurs dans funerailles celestes ), ces récits sont poignants et permettent de prendre pied dans la réalité : si nous sommes en train de converser sur ce blog, c'est que nous sommes libres et très chanceux. Partout dans le monde, des hommes et des femmes subissent, tortures, viols, meurtres avec l'agrément des autorités de leur pays... Ca laisse songeur et irrémédiablement triste...

Lætitia Le Clech a dit...

Merci Paquito pour ton commentaire, que je partage entièrement.
Bises

PS : ce soir je vais commencer un des derniers Djian (le dernier ?) : Doggy bag.
Rien à voir avec Chinoises bien sûr, mais ça me rappelle beaucoup de souvenirs...;-)

Lætitia Le Clech a dit...

Moi je ne crois pas en avoir lu un seul depuis Sotos...

Là j'avoue, je l'ai commencé hier soir, et vu qu'il est construit comme une série TV, on a envie de savoir ce qu'il va se passer, alors je n'ai pas réussi à la lâcher jusqu'à 1h du matin...
Le style s'est beaucoup assagi...

Ici j'ai trouvé le Djian québécois, sexe, drogue et rock'n'roll, il s'appelle Éric McComber... La comparaison s'arrête là, mais ça m'y a fait penser beaucoup. Moi aussi j'aime moins maintenant (beaucoup moins).

Anonyme a dit...

Salut Fobula, je suis ton blog grâce à une amie qui te lis aussi, Stella, et je te remercie de tes conseils lecture que je trouve vraiment interessants !
En parlant du viol en tant qu'arme de guerre, ça me fait penser à un triste reportage télé sur le Congo où le viol est un véritable fléau, et tout ça aujourd'hui, dans notre monde...
A bientôt !!

Lætitia Le Clech a dit...

> Misty : Merci pour ton commentaire !
Je n'ai pas vu le documentaire dont tu parles, mais quand tu lis Un dimanche à la piscine à Kigali, de Gil Courtemanche (le livre est sorti en France), qui traite du génocide rwandais, tu te retrouves devant l'horreur de tout ce qu'il se passe "autour" du conflit. Et là c'est l'incompréhension et la tristesse qui dominent... Oui tout ça aujourd'hui, dans notre monde de tarés !

Anonyme a dit...

Doggy bag correspond à la première "saison" d'une série de trois livres. Djian n'en est pas à son coup d'essai en matière de trilogie, Assassins, Criminels et Sainte-Bob avaient ouvert le bal. Je suis également resté sur ma faim, Doggy bag étant comme un premier morceau de puzzle pas vraiment vibrant.
Kz2Bll'

Lætitia Le Clech a dit...

> Kz2b : Je viens de le finir. En effet, pas très palpitant... Les deux autres tomes doivent paraître cette année en France si je ne me trompe pas ? Je les lirai sûrement quand même pour connaître le fin mot de l'histoire.
Mais je n'ai pas envie d'en faire une chronique ici.
De toute façon, on a largement ouvert le sujet dans ces commentaires :-) !

Anonyme a dit...

Mais tu mènes une vie fabuleuse toi !! continue comme ça, ton blog est formidable.
Ravie que tu aimes "Chinoises".
En ce moment, la mousson bat son plein et je relis "l'accordeur de piano" de Daniel Mason en écoutant "Shanghai Divas" : le bonheur !
As tu eu le temps de lire "la petite fille de Monsieur Linh" ?
A bientot
Païe païe