14 mai 2021

Blanc autour

En 1832, à Canterbury, une petite ville du Connecticut, Prudence Crandall dirige une école pour filles. Le pays a été marqué - l'année précédente - par une révolte sanglante d'esclaves noirs éduqués qui a eu lieu dans le Sud des États-Unis, où l'esclavagisme sévit toujours. Nat Turner et son groupe ont assassiné une soixantaine de personnes, des familles entières de Blancs esclavagistes. Son action a entraîné la peur parmi la population et la création de milices, qui ont à leur tour assassiné plusieurs centaines d'Afro-américains, souvent innocents. 

Ainsi débute la bande dessinée Blanc autour, de Wilfrid Lupano et Stéphane Fert, en contextualisant cette Amérique du XIXe que l'on connaît mal, mais qui souffrait de ce racisme, de cette intolérance, de cette peur de la différence et de ce suprémacisme blanc, même dans des États comme le Connecticut, au Nord, qui avait pourtant aboli l'esclavage en 1784.

Nous retrouvons cette école pour filles - qui a réellement existé - le jour où Sarah, jeune fille noire, vient demander à l'institutrice Prudence Crandall si elle peut elle aussi apprendre et intégrer sa classe. L'institutrice l'accueille quelques jours plus tard sous le regard médusé des autres élèves, toutes blanches bien sûr. La jeune femme, poursuivant sa réflexion sur le fait que les Noirs et en particulier les femmes noires n'ont pas accès à l'éducation, décide à la rentrée suivante de n'ouvrir son école qu'à des jeunes filles noires. La population de la petite ville n'accepte pas du tout cette décision et fera tout pour mettre des bâtons dans les roues de Prudence Crandall, de son père qui la soutient et de ses élèves, arrivées d'un peu partout dans la région et même d'autres États américains, allant jusqu'à porter la cause en justice. Les stratagèmes utilisés, la haine déversée contre les Noirs, le mépris, la violence et la bassesse de certains des habitants de Canterbury m'ont arraché des larmes de désespoir devant la laideur de l'Homme.

Ce que doivent vivre ces filles et cette institutrice, femme forte, est abject et dur, mais ouvrira la voie à quelque chose comme une évolution. Même si le constat est qu'aujourd'hui, il reste de nombreuses cicatrices de tous ces actes, de ces rapports de domination, qui n'ont pas disparu avec les siècles, loin de là : on le constate aujourd'hui encore tous les jours.

Le dessinateur Stéphane Fert et le scénariste Wilfrid Lupano n'en sont pas à leur première association avec ce projet et c'est un succès : à première vue, on pourrait croire que l'on tient entre nos mains une bande dessinée jeunesse, couverture cartonnée, dessin qui semble naïf. Mais cette bd - aux couleurs si douces et qui contrastent volontairement avec la dureté de l'histoire - a le mérite d'être accessible à tous et de nous faire découvrir celles qui ont ouvert la voie à plus d'égalité, Blancs et Noirs, ensemble.

Quelques personnages inventés introduisent des éléments de magie et de sorcellerie et apportent des nuances et des réflexions qui enrichissent le récit. Les scènes qui se déroulent dans la forêt, avec les animaux, sont particulièrement réussies d'un point de vue graphique.

Une postface nous permet d'en apprendre plus sur ces femmes qui ont fréquenté l'école de Prudence Crandall et quel a été leur combat. Car ces femmes se sont souvent battu toute leur vie pour pouvoir accéder aux mêmes droits que les Blancs et en particulier au droit à l'éducation. Cette histoire nous permet de mieux comprendre encore et intégrer les revendications des groupes tels que Black Lives Matter, de mesurer l'ampleur et la durée du combat que les Noirs ont dû mener et mènent encore.


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Complément : 

Comment dessiner Blanc autour?

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Blanc autour, Wilfrid Lupano et Stéphane Fert, Éditions Dargaud, 2021

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La bonne nouvelle de la semaine : l'ouverture d'une nouvelle librairie est toujours une bonne nouvelle. Quand elle se trouve à deux pas de chez soi, c'est encore mieux! Longue vie à La maison des feuilles!
J'y ai déjà fait l'acquisition de Station Eleven, le roman d'Emily St. John Mandel publié avant L'hôtel de verre.

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