31 octobre 2010

Une excellente moisson de BD

À l'instar de François qui nous parlait de La parenthèse ces derniers jours, j'ai moi aussi eu quelques bijoux de BD entre les mains ces dernières semaines.
Tout d'abord, la série Aya de Yopougon, dont je vous ai parlé il y a quelques mois (j'ai reçu le premier tome à mon anniversaire) et qui m'a de nouveau plongée dans l'ambiance africaine de ce quartier populaire d'Abidjan. Les cinq tomes ne sont pas tous égaux au niveau de la qualité du scénario, certains nous tenant plus en haleine que d'autres, mais possèdent tous ce trait et cette fraîcheur, par le langage, par la couleur, qui éveillent en nous toutes sortes d'émotions et nous dépaysent totalement.


Ensuite, une découverte avec l'album de Jeff Lemire, Essex County, véritable hymne à la culture canadienne et notamment à son sport emblématique, le hockey sur glace.
L'auteur nous raconte en plusieurs parties l'histoire d'une famille sur plusieurs générations. Le dernier membre de cette famille est le petit Lester, enfant dont la mère est décédée et qui est pris en charge par son oncle un peu maladroit, qui a du mal à établir un contact avec lui. D'autant plus que certains secrets de famille viennent ternir son attitude vis à vis de l'enfant.
Le livre mélange les époques et nous perd un peu au départ mais tout se recoupe rapidement. Essex County s'attarde sur les liens familiaux, plus particulièrement entre deux frères, unis par la même passion du hockey, et qu'une femme va séparer.
Lester va alors devenir celui par qui les liens vont se rattacher, celui qui, par la poésie et le dessin, va réconcilier quelques membres de sa famille et dévoiler cette filiation à laquelle on ne peut échapper.

Le blog de Jeff Lemire
Le site de Jeff Lemire
Une autre critique


Puis, un récit autobiographique touchant, Freddie et moi, de Mike Dawson.
L'auteur, britannique, se remémore sa jeunesse et notamment sa découverte du groupe Queen et de son emblématique chanteur Freddie Mercury.
Quand je pense à Queen, toute ma vie me revient...
Il devient complètement fanatique du groupe, connaissant toutes les chansons par cœur (et particulièrement Bohemian Rhapsody), alors que sa jeune sœur, elle, trippe sur Wham!...
De la première cassette de A Night at the Opera au concert auquel le jeune Michael ne pourra pas aller, du déménagement aux États-Unis à la mort de Freddie Mercury, son amour pour Queen ne faiblit pas.
Cela donne lieu à des épisodes cocasses, d'autres touchants, et on ne s'ennuie jamais dans ce récit initiatique musical aux nombreuses références pop.


Enfin, toujours dans le style autobiographique, voici Septembre en t'attendant, d'Alissa Torres, mise en images et en trois couleurs (noir, blanc et bleu/vert) de Sungyoon Choi du New York Times.

Le monde d'Alissa s'écroule en même temps que les tours du World Trade Center ce 11 septembre 2001 alors que son mari en est à son deuxième jour de travail dans le bureau de Cantor Fitzgerald.
Il ne reviendra pas à la maison ce soir là, ni les suivants. Le deuil est d'autant plus difficile qu'Alissa est sur le point d'accoucher de leur premier enfant.
Ce récit poignant d'un deuil suite à l'un des pires événements de notre siècle ne fait abstraction d'aucun détail.
De l'organisation des funérailles à travers le chaos qui a suivi l'événement, aux demandes d'aides financières souvent mal vues par la population américaine (la vague de solidarité suscitée par l'attentat s'est vite transformée en colère et en aigreur contre ceux qui ont bénéficié d'aides financières - et autres - de la part du gouvernement et d'organismes tels que la Croix Rouge), en passant par le problème de la nationalité du mari d'Alissa, d'origine colombienne et qui n'était pas encore naturalisé américain.
Le livre alterne entre le côté administratif de ces démarches lourdes et difficiles et le côté affectif lié à la mémoire d'Eddie, qui est la seule motivation de la jeune femme : garder la mémoire d'Eddie vivante pour leur fils, né un peu plus d'un mois après les attentats.
Alissa Torres a publié son livre plusieurs années après le 11 septembre 2001, malgré les sollicitations nombreuses des médias, pour qui elle constituait un exemple typiquement américain et un vrai drame vendeur. Elle a toujours résisté, afin d'avoir la liberté décrire la vraie réalité de l'après 11 septembre et la douleur souvent incomprise de ceux qui ont perdu l'un des leurs dans cet attentat.


Aya de Yopougon, Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, Éditions Gallimard, Collection Bayou, 2005, 2006, 2007, 2008, 2009
Essex County, Ontario, Canada, de Jeff Lemire, éditions Futuropolis, 2010
Freddie et moi, une rhapsodie (bohémienne) sur le passage à l'âge adulte, Mike Dawson, Rakham, 2009
Septembre en t'attendant, Alissa Torres, mise en images de Sungyoon Choi, traduit de l'anglais (USA) par Fanny Soubiran, Éditions Casterman, collection Écritures, 2009

En écrivant ceci, j'écoute Flying Horseman, Wild Eyes (Conspiracy/Konkurrent, 2010)

29 octobre 2010

La parenthèse

La Parenthèse, Elodie Durand, Éditions Delcourt, 2010

Imaginez la scène : vous rencontrez une personne que vous n'avez pas vue depuis des années. Passés les premiers sourires, vous demandez des nouvelles : "Comment vas-tu ? Qu'est-ce que tu deviens ? Qu'as tu fait tout ce temps ?", etc... Face à vos questions qui oscillent entre la curiosité, la courtoisie et la politesse, la personne ne répond pas, cherche ses mots, essaie de combler le vide qui s'installe ; un vide qui l'a justement habitée toutes ces années...

La Parenthèse est l'histoire d'un blanc, d'un bout de néant entre deux phases de conscience, entre deux période d'existence : l'avant et l'après la maladie ; avant quand tout allait bien, après quand la vie reprend son cours.

La Parenthèse est un récit qui essaie d'expliquer cette absence du soi, non pas un abandon mais l'évanouissement de la temporalité : le grand flou qui constitue la ligne de vie d'une personne dont la mémoire ne fonctionne plus vraiment, qui subit un traitement pour guérir et s'évapore sous l'emprise des médicaments.

Si l'intrigue en soi n'est pas complexe, c'est la relation face à la famille, face aux amis, au corps médical et à soi même, ce soi qui devient autre, ce moi qui n'est plus si sûr ; face à cette vie que l'entourage décrit et qui dans un cerveau endommagé n'existe même pas , c'est tout cela qui est un enfer.

Ce caractère humain, cette maîtrise de la sensibilité autour d'un sujet qu'on souhaiterait ne jamais aborder fait de La Parenthèse une œuvre à part. C'est une bande dessinée originale qui fait du bien parce qu'elle nous rappelle que nous ne sommes que des humains.

C'est un petit coup de poing qui souligne, si on l'avait oublié, que la vie ne devrait pas être un songe, un film qu'on joue dans sa tête mais l'expérience unique de chaque instant.

Pour conclure ce petit article, foncez ! Ne vous arrêtez pas au style graphique - dont je ne suis pas très fan - laissez vous happer par le découpage un peu particulier et faites vous ce merveilleux cadeau que nous offre la littérature : celui de partager avec l'autre, l'inconnu d'un coup très proche et de pouvoir librement choisir de réfléchir sur sa condition.

De temps en temps ça fait du bien... Non ?

La Parenthèse, le souvenir de la vie par Elodie Durand

Présentation de l'éditeur :

"C’est l’histoire d’une jeune fille âgée d’à peine plus de 20 ans, d’un drame dans sa vie qui semblait être sans retour, d’une chute dans la maladie, dans la perte de soi. Ce récit est une bataille contre l’adversité. Il parle de la mémoire parfois si fragile, d’une convalescence inattendue, de comment, un jour, on réapprend son alphabet, à compter, à retrouver ses souvenirs." Élodie Durand

François Nicaise

23 octobre 2010

Plus fou que ça... tumeur !

Plus fou que ça...tumeur !, Véronique Lettre et Christiane Morrow, Éditions Stanké, 2010

Un livre offert dans le cadre de l'opération Masse Critique de Babelio.

À la réception de ce livre, je me suis dit : «Oh non! Pourquoi j'ai coché ce livre! Encore un truc sur le cancer, j'en peux plus...». Je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même puisque j'avais coché 2 livres pour la sélection Masse Critique, dont celui-là. Mais j'aurais préféré - à ce moment là - recevoir le livre sur les médias sociaux 101, même si je ne suis plus sur Facebook depuis longtemps...
Il faut dire que je travaille parfois avec des personnes atteintes de cancer et que mes dernières lectures parlaient aussi plus ou moins de cette maladie (D'autres vies que la mienne s'articule autour de ça, La double vie d'Irina l'évoque). Je ne suis pas du genre à fuir le sujet, préférant me dire qu'il vaut mieux être bien informée, étant donné qu'on sera tous concerné un jour ou l'autre (je ne le souhaite pas mais à la vue des statistiques, ça se peut fort...), mais là, c'était comme un peu trop.
J'ai donc commencé le livre à reculons... pour le terminer seulement quelques jours plus tard, surprise de l'angle pris par l'auteure pour nous raconter son expérience.

Véronique, l'auteure du livre, raconte sa chute en snowboard, qui l'amène à l'hôpital pour ce qui ressemble à une hémorragie cérébrale. Finalement, les médecins découvrent une tumeur cérébrale cachée sous ce saignement. C'est le commencement d'une année entière consacrée à traiter cette tumeur (opération d'abord, suivie de traitements de radiothérapie puis d'une chimiothérapie par voie orale). Une année sans travailler, à essayer de supporter les effets secondaires tout en restant une mère, une femme, une blonde. Dès le début, Véronique, soutenue par sa mère et son conjoint, prend le parti de ne pas se laisser dominer par le pessimisme et la noirceur intrinsèques à ce genre de nouvelles.
Le livre s'apparente à un récit de vie tout simple, qui ne se veut surtout pas moralisateur, et qui détaille toutes les étapes vécues par Véronique durant son année de maladie et de traitement. L'auteure évoque des sujets dont personne, trop souvent, n'ose parler : la réaction de l'entourage face à la maladie (y compris les amis qui s'éloignent car ils ne savent pas quoi dire), la sexualité pendant la maladie, les illusions, les déceptions.
Elle nous dépeint aussi progressivement le milieu hospitalier québécois, plus particulièrement montréalais, avec ses points forts... et ses points faibles. Particulièrement le manque de communication entre les différents services hospitaliers auxquels l'auteure est confrontée (hématologie, neurologie, oncologie, gynécologie), et leur manque de cohérence, qui peut faire peur surtout dans un cas grave comme un cancer cérébral.
Par la suite, elle raconte son transfert au service hospitalier de Sherbrooke (à sa demande) avec l'équipe du Dr Fortin, assez populaire pour avoir été le sujet de plusieurs articles et pour avoir démontré beaucoup de talent dans la recherche sur le cancer cérébral. C'est LE spécialiste dans ce domaine.
D'ailleurs, le livre contient une postface écrite par Nathalie Buisson, une danseuse des Grands Ballets Canadiens, atteinte elle-même d'une tumeur cérébrale et qui est passée à Tout le monde en parle en mars 2009, pour évoquer le talent du Dr Fortin et les besoins de la recherche sur le cancer cérébral.
Dernièrement, une personne de mon entourage me parlait de quelqu'un qui venait d'être opéré par ce médecin au moyen d'un super-robot, ce qui a permis de retirer dans sa totalité une tumeur cérébrale qu'un autre médecin de Montréal avait affirmé ne pas être capable d'enlever à plus de 50% (il s'agissait d'une tumeur du même type que celle de Véronique dans ce livre - un GBM, ou glioblastome multiforme, qui est particulièrement complexe). Cette réussite n'aurait pas été possible sans l'utilisation de ce bras robotisé. Mais ce sont des machines qui coûtent très cher et qui ne sont pas disponibles partout.

Mais revenons-en au livre Plus fou que ça... tumeur ! Quelques effets de style dans le livre m'ont agacée : l'utilisation à outrance de majuscules pour désigner toutes les personnes gravitant autour de Véronique (Ma Mère, Ma Sœur, Mon Chum, Ma Neurochirurgienne, etc.) et le titre un peu douteux...
Et il a bien fallu aussi que je me rende à l'évidence que l'auteure a été extrêmement privilégiée car très entourée et pouvant se permettre - difficilement parfois - de prendre son année pour se soigner. Mais ce ne sont que des détails, nous ne sommes pas en train de lire du Proust, et concernant son privilège, peut-on vraiment parler de privilège quand une personne si jeune apprend qu'elle est gravement malade ? Le mot est peut-être mal choisi et de toute façon, ce n'est pas une critique. Elle a eu cette chance. Elle s'est donné cette chance.

Mais c'est une réalité que j'avais envie d'évoquer : face au cancer, peu de personnes ont les moyens de s'arrêter pour se soigner entièrement et récupérer totalement. Les organismes d'aide tels que l'OMPAC par exemple, doivent se battre eux aussi pour obtenir des subventions qui leur permettent d'aider les personnes les plus démunies.

Ce qui reste au final après la lecture de ce livre, c'est beaucoup d'espoir, et de l'admiration pour cette jeune femme, qui devrait être décorée pour son courage et son enthousiasme contagieux. Les messages que ses collègues lui adressent, ses copines du gym atteintes elles aussi par la maladie, les réactions de ses enfants, tous ces petits moments nous arrachent quelques larmes et nous font croire à la force de l'entraide et de l'optimisme. Mais pas l'optimisme bêbête basé sur des phrases vides de sens pour une personne malade, mais de l'optimisme plein de bon sens qui met en valeur les forces vitales de la personne. Et la force que l'amour de son entourage peut lui apporter.
Un beau témoignage.

Un article /entretien avec Nathalie Buisson sur le cancer cérébral
Un article sur le Dr Fortin



En écrivant ceci, j'écoute Les Belles Sœurs, théâtre musical, d'après la pièce de Michel Tremblay, livret et paroles de René-Richard Cyr, musique de Daniel Bélanger (Audiogram, 2010)

21 octobre 2010

Kate Wyatt - Adrian Vedady


Kate Wyatt - piano
Adrian Vedady - contrebasse
Café Lézard, 1335, rue Beaubien Est
Tous les mercredis soirs de cet automne, de 17 h à 19 h (gratuit)

La scène jazz montréalaise est assez vaste et je ne m'y connais pas assez pour vous en parler en long et en large.
Par contre, je suis une grande amatrice du style et quand il m'est donné (c'est le cas de le dire) de voir jouer, dans mon propre quartier (sortons le jazz du Centre-Ville !), deux musiciens de grand talent, je n'hésite pas.
Je les avais déjà vus jouer à l'Église St-James (sur Ste-Catherine) en novembre dernier, en formation plus imposante (batterie, guitare, sax), et j'ai revu Adrian Vedady Quartet à l'Astral, en février dernier (c'était pour le festival Montréal en lumière), accompagné de Yannick Rieu au(x) saxophone(s) et en invité spécial Marc Copland, pianiste.
C'était vraiment très bon !
Alors je vous invite à découvrir deux grands musiciens de jazz, tous les mercredis de 17 h à 19 h au Café Lézard, dans la Petite-Patrie ! C'est à 10 minutes de marche du métro Beaubien (même pas).

Site Myspace d'Adrian Vedady

20 octobre 2010

Incidences

Incidences, Philippe Djian, Éditions Gallimard, 2010

Drôle de coïncidence que je lise ce dernier roman de Philippe Djian alors même que mon ami François commence à écrire sur Lectures d'ici et d'ailleurs. En effet, c'est par François que j'ai connu Philippe Djian, et nous étions tous les deux de grands lecteurs de cet auteur pour le moins subversif et qui ne faisait pas l'unanimité dans notre entourage (et toujours pas d'ailleurs).
En ce qui me concerne, j'ai continué à le lire au gré de ses publications, et je me suis même farci la série Doggy Bag, que j'avais beau critiquer mais qui me tenait en haleine, comme un bon soap américain...
Puis il y a eu Impardonnables, que j'avais classé dans les 10 livres qui m'avaient enthousiasmés en 2009.
Et cette année, Incidences.
Incidences, qui part comme toujours dans la veine djianesque avec laquelle nous sommes plus ou moins familiers : un homme, la cinquantaine, professeur de littérature, écrivain raté, fumeur invétéré, qui séduit ses étudiantes et qui a une histoire familiale un peu trouble, pour ne pas dire troublée.
Un beau matin, l'étudiante avec qui il a passé la nuit ne se réveille pas. Marc décide de se débarrasser du corps en le jetant dans une crevasse, car même innocent, il ne veut pas avoir de soucis avec la police... C'est alors que les ennuis commencent. Myriam, la belle-mère de la jeune fille en question, rencontre alors Marc suite à la disparition de sa belle-fille. Elle veut comprendre les raisons de cette disparition en essayant de mieux connaître la jeune femme. C'est le coup de foudre.
L'histoire s'engouffre alors à la fois dans un polar qui nous donne des frissons à plusieurs occasions, avec ses réminiscences de l'enfance juste assez détaillées pour nous faire imaginer le pire, mais pas assez pour nous donner toutes les clés, et en même temps dans un récit désabusé et cynique d'un homme très dérangé (ce sont les mots de Djian lui-même, voir dans l'entrevue de Libération à la fin de cet article).

L'image de ce gouffre, en couverture, n'est pas innocente, et pour une fois, très bien choisie (ce n'est pas toujours le cas). Ce gouffre cache bien des secrets et représente la crevasse dans laquelle Marc se débarrasse du corps et près de laquelle il vient parfois se réfugier.
On se dit que Djian décidément excelle dans l'art de décrire (d'écrire ?) la part sombre voire glauque de l'Être. Il garde aussi toujours beaucoup de tendresse pour ses personnages.

Je reprendrais une remarque de l'article de Christine Marcandier-Bry dans le journal Médiapart en recopiant ici une phrase qui résume tout le style et la virtuosité de Djian dans son domaine, alors même qu'il parle de quelqu'un d'autre :
«Vous avez lu ce qu'elle a écrit ? reprit-il. C'est la maîtrise qui est surprenante. Le bon dosage de la lenteur et de la rapidité. Du net et du flou. C'est très bluffant, vous savez. (...) N'importe quel crétin est capable de raconter une histoire. La seule affaire est une affaire de rythme, de couleur, de sonorité».
Du très bon Djian, qui a d'ailleurs enthousiasmé tous les médias ou presque de France et de Navarre.

La critique de Télérama, par Nathalie Crom
Un entretien vraiment bien dans Libération, par Claire Devarrieux

En écrivant ceci, j'écoute Dionysos, La mécanique du cœur (Barclay, 2007)

18 octobre 2010

La théorie de la contorsion

La théorie de la Contorsion, Margaux Motin, Éditions MARABOUT, 2010

Une femme qui pète peut-elle être coquette ?

Bon je sais, je sais, les flatulences n’ont absolument aucun rapport avec la coquetterie, cependant il fut une époque où une femme devait se comporter comme une statue répondant aux canons de beautés édictés par la bienséance masculine et il était bien entendu impensable d’imaginer le fruit d’une rose avoir lui aussi des intestins et tout ce qui va avec.
Heureusement, dans notre cher XXIème siècle, les choses évoluent. Enfin, disons que même si on est encore loin de l’égalité homme femme dans le monde et en France notamment - 136ème place derrière le Mozambique selon certains critères quelque peu contestables... - les femmes maintenant peuvent enfin révéler à la face du monde qu’elles aussi se “gratte[nt] les couilles”. Ce qui, à mon humble avis, est également contestable...
Cependant, dans ce siècle de grande transparence, les femmes parlent, s’expriment et révèlent que la féminité ne repose pas uniquement sur les jolies étiquettes que les hommes leur ont collé depuis des siècles. Et Margaux Motin est là pour nous le rappeler : “Ma sœur et moi, faut dire ce qui est, on est un peu Audrey Hepburn et Kim Basinger... Mais finies à la pisse...”. Tout un programme !
La Théorie de la Contorsion est le deuxième album de l’auteure trentenaire qui développe toutes les dimensions de la (sa?) féminité au travers de courtes tranches de vies.
Il est donc question dans cet ouvrage des multiples portraits d’une femme actuelle qui surfe entre l’éducation de sa fille, sa relation avec l’homme de sa vie, son boulot d’illustratrice et sa passion pour les chaussures.
Bien entendu, je résume, je résume. Car bien plus de sujets aussi intéressants que les déboires bancaires, la gym et les complexes physiques sont évoqués avec beaucoup d’humour et de bonne humeur. D’ailleurs, ce livre se lit très bien, aussi bien que les pages du blogue de Margaux M. . Et c’est peut-être là la limite de ce genre de littérature...
Personnellement, je trouve toujours rigolo de lire les aventures de môssieur et madame tout le monde sur les zillions de blogues qui peuplent le monde formidable de l’Internet. Et certains comme celui de Boulet ou alors dans un registre un peu différent Lewis Trondheim ou encore Maliki sont très sympas. Et il y en plein d’autres !
Celui de Margaux Motin est également marrant, mais de là à éditer sous forme d’un livre... Notez que ce reproche s’applique également aux autres auteurs cités.
Bref, on est pas en train de lire Reiser ou Claire Brétécher, on lit juste une forme différente de blogue personnel : à la place des textes, des photos du chien et des enfants, on a des illustrations.
C’est dans l’air du temps, c’est facile d’accès, ça permet sans doute de se sentir moins seul sur Terre, mais bon une fois qu’on l’a lu, ça partira directement aux zoubliettttes ou alors on le fera passer aux ami-e-s.
D’ailleurs, à bien y regarder, je pense que ce livre est fait pour ça : proposer quelques minutes de bon temps à partager. Bref comme la lecture du blogue finalement...
C’est donc à mon avis un bon choix en bibliothèque ou carrément sous forme de bookcrossing : si vous l’achetez, faites-le passer !
Heureusement, moi c’est ma chérie qui me l’a offert. On l’a partagé et maintenant il finira sa vie comme un Nicole de Buron : tel le souvenir fugace d’un moment d'extrême légèreté.
Allez, je finirai ma petite critique en disant que je suis content qu’on puisse aujourd’hui vivre de sa passion. Je suis d’ailleurs sans doute le premier à vouloir vivre de mes passions. Et d’ailleurs en y regardant bien, j’ai déjà vécu de mes passions. Donc je souhaite à l’auteur qu’elle puisse vivre de ses livres, ses agendas, ses Post-It ou Dieu seul sait quel produit dérivé en plus de ses illustrations.
Mais quand même, si j’adore son trait j’avoue que je serai un peu triste que ce livre récolte plus de succès que la dernière œuvre de Elodie Durand : La Parenthèse dont il sera question dans ma prochaine critique...

La théorie de la contorsion ou la promesse de l’oubli par Margaux Motin.

François Nicaise

14 octobre 2010

La double vie d'Irina

La double vie d'Irina, de Lionel Shriver, Éditions Belfond, 2010
Traduction de Anne Rabinovitch

Lionel Shriver est l'auteure (oui c'est bien une femme contrairement à ce que son prénom laisse supposer) de Il faut qu'on parle de Kevin, l'un des meilleurs livres que j'ai lus en 2007. Un livre difficile cependant, à l'écriture verbeuse, très intellectuelle, au sujet bouleversant et choquant.
Avec
La double vie d'Irina, Lionel Shriver s'engage sur une voie plus romanesque, imaginant deux destins à Irina McGovern, illustratrice de livres pour enfants, américaine immigrée en Angleterre afin de suivre son compagnon Lawrence, journaliste engagé par une chaîne de télévision britannique. Le point de départ de ces deux "vies" est une soirée d'anniversaire qu'Irina passe seule avec Ramsey Acton, le fêté, dans un grand restaurant. Ramsey Acton est un célèbre joueur de snooker (je me rends compte en lisant l'article de Wikipédia que Lionel Shriver s'est probablement un peu inspirée de Jimmy White pour son personnage de Ramsey Acton), sport très populaire au Royaume-Uni. Lors de cette soirée, Irina est prise d'une folle envie d'embrasser Ramsey. L'auteure explore ce que sa vie devient en accomplissant ce désir, et ce qu'elle est en le niant et en retournant dans sa sage relation de 9 ans avec Lawrence.

D'un point de vue littéraire, le livre est intéressant car il déroule toutes les possibilités imaginables, selon le procédé des "livres dont vous êtes le héros".
Concernant le sujet, ceux qui ont déjà lu Lionel Shriver savent qu'elle est du genre à s'étendre assez longuement sur ses thèmes. Cela donne lieu à des réflexions sur le couple et l'amour comme on en a rarement lues. On se questionne principalement sur le meilleur choix entre une vie de couple passionnée, charnelle, parfois destructrice mais ô combien satisfaisante sur d'autres plans, et une relation plus calme, sereine, dans laquelle les individus peuvent se reposer l'un sur l'autre, s'entraider, s'aimer simplement et sainement. Est-il possible d'avoir les deux dans la même relation ? Est-il possible de vivre sans l'un ou l'autre ? L'être humain n'est-il pas toujours attiré vers ce qu'il n'a pas ? L'auteure ne juge jamais l'une ou l'autre des façons de faire, évitant l'écueil manichéen, et sa conclusion est toujours qu'il ne faut pas regretter ses choix.
Par le personnage d'Irina, elle nous apporte également une réflexion parfois très crue sur la sexualité et les fantasmes, ce que l'on a rarement l'occasion de lire de la plume d'une femme.

Lionel Shriver associe aussi la grande Histoire à ses récits. Du conflit yougoslave aux attentats du 11 Septembre, certains des grands événements de ces deux dernières décennies traversent son texte. Et Irina ne peut s'empêcher de lier sa vie à l'un des événements marquants de 2001.
«Le sentiment qu'elle éprouvait devant les décombres de son apocalypse personnelle rappelait sans aucun doute l'impression d'inutilité qui l'avait habitée après le 11 Septembre.» (p. 462)
La traduction du titre laisse supposer une histoire de tromperies, mais il n'en est rien, ou si peu. Comme dans la vie, c'est beaucoup plus compliqué que cela, et la tromperie fait partie de quelque chose de beaucoup plus grand et important.
The Post-Birthday World
, le titre original, est beaucoup plus approprié à mon humble avis. L'image alanguie d'une femme sur un tissu rouge velours n'est également pas très représentatif de la personnalité d'Irina. Mis à part ces détails qui ne doivent cependant pas tromper sur la marchandise, il s'agit d'un roman encore une fois vraiment passionnant, de la part d'une auteure fine observatrice des comportements humains.

En écrivant ceci, j'écoute Vampire Weekend, Contra (Beggars Banquet, 2010)

11 octobre 2010

Les amis

Les amis, François Ayroles,
Éditions l'Association, 2008

[note : dans cet article, on ne parle que des amis au masculin pour des raisons évidentes de sauvegarde de l'environnement étant donné que chaque caractère compte et que moins on envoie d'octets sur le net et moins on grille d'arbres avec des gentils kiki-l-ami-de-tous-les-kikis dessus . N'y voyez donc absolument aucune trace de misogynie ou de flemme de ma part. Non, non. Pas du tout, que nenni ! ]

Il y a des gens qui n'ont pas d'amis. Vous ne les connaissez pas vu que vous ne les fréquentez pas. Il y a aussi les gens qui ont plein d'amis. Vous les connaissez peut-être mais êtes-vous réellement leur ami ? Et puis il y a les gens qui pensent qu'ils ont des amis, et qui ne se rendent jamais compte qu'ils sont seuls. Et puis sommes-nous jamais certains que l'ami de notre ami soit un vrai ami ? Enfin, qui sait si son ami est vraiment un ami et si l'ami de son ami est vraiment son ami ?
François Ayroles, au gré de courtes mises en scène plonge le lecteur dans l'enfer de l'amitié et plus globalement dans l'enfer des relations entre les personnes qui se pensent liés par les liens sacrés de la dite amitié.
Au gré de courts dialogues lourds de sens et des non-dits insistants l'auteur nous retourne constamment l'estomac et arrive à faire vaciller en nous la foi de l'amour envers notre prochain.
Finalement, le monde dans lequel nous vivons, ce monde de gentils Babars dégoulinant de bonté n'est-il pas un vaste repère de salauds pétris de cynisme ?
Une chose est certaine, la prochaine fois que je vois un ami, je lui colle un pain* !

Les amis, une peinture socio-inamicale par François Ayroles.

François Nicaise

* Coller un pain : expression typiquement française signifiant donner une gifle

07 octobre 2010

The Red Monkey dans John Wesley Harding

The Red Monkey dans John Wesley Harding, Joe Daly,
Editions l'Association, 2009 pour la version française

C'est plongé au plus profond d'une Afrique du Sud crépusculaire que se déroulent les formidables aventures de Paul et Dave, deux potes qui se la coulent comme on vide une bonne pinte fraîche : lentement mais sûrement.
Ces deux amis décident de partir à la recherche de John Wesley Harding, une sorte de gros hamster géant qui s'est échappé de la réserve naturelle où travaille Paul.
Leur recherche va les entraîner dans une aventure dont les démêlés feraient rougir à la fois James Bond, The Dude et Austin Powers. C'est dire à quel point l'intrigue mélange savamment dialogue décalés, personnages entiers et situations alambiquées.
Alors, si vous cherchez les réponses aux questions : "Un réalisateur de cinéma peut-il être écolo ? Dois-je larguer ma petite amie si j'ai un différend avec son père ? Dois-je faire confiance à mon instinct ?", il n'est pas certain que les éléments de réponses apportés dans cette bande dessinée vous réjouissent.
Cependant, dans cette aventure, dessinée, mise en couleur et racontée par Joe Daly, on se surprend à tourner les pages sans pouvoir s'arrêter afin de savoir jusqu'à quel point la situation peut se détériorer.
Le travail sur les dialogues et la traduction proposée dans cette édition française ont réussi le pari de me tenir en haleine jusqu'à la fin... Avant de procéder à une seconde lecture... Elle même suivie quelques jours après par une troisième.
Il se dégage une atmosphère à la fois très décalée et très envoûtante qui fait de cette bande dessinée un must-have.
Et si vous ne savez pas lire, ça tombe bien : cet album vaut son pesant de croquettes pour hamster simplement pour sa superbe mise en couleur ! Mais bon, ça vous ne le saurez jamais...
The Red Monkey dans John Wesley Harding, une aventure crépusculo-acidulée signée Joe Daly !

François Nicaise

François

L’arrivée au lycée*, jamais facile.
Transition souvent brutale entre la 3ème au collège et la première plus spécialisée, la seconde est une année fourre-tout, témoin de nombreuses transformations.
Je ne correspondais pas vraiment à la norme de mes petits camarades, aujourd’hui j’en suis heureuse mais à l’époque, je faisais plutôt figure d’intello fourrée dans ses livres. Je ne caressais pas non plus de grands rêves ambitieux – genre mariée, deux enfants, vétérinaire – car le concept de « vie réussie » me paraissait flou (et c'est toujours le cas). En bref, je me faisais tranquillement ma place dans la société, un peu hors norme mais pas tout à fait non plus.
Et puis, il y a eu François, grande gigue, qui en doublant sa seconde, s’est retrouvé dans ma classe. François, qui était un peu mon pendant masculin.
François fut à ce moment là mon guide dans un environnement difficile à apprivoiser, lui qui connaissait déjà les lieux.
Nous caressions les mêmes rêves d’écriture, les mêmes envies musicales. Nous voilà aujourd’hui réunis, 15 ans plus tard, dans cet espace libre, dans lequel nous parlons de nos lectures, mais qui ne demande peut-être qu’à évoluer. Nous verrons avec le temps vers quoi nous nous dirigerons, mais pour le moment, je suis heureuse de démarrer cette collaboration transatlantique et de retrouver mon vieil ami à travers ce que nous aimons le plus ou presque l’un et l’autre, les mots.

* On va au lycée, en France, quand on a 15 ans. On entre en seconde, puis en première, puis en terminale (et là on passe le baccalauréat, tout à la fin du secondaire). Après c'est l'université.

En écrivant ceci, j'écoute Antony & the Johnsons, Swanlights (Rough Trade, 2010)