11 juillet 2011

Je vois parfois des choses si belles...

« Je vois parfois des choses si belles que je me réjouis de ne pas les posséder. » (p.45)

« J'attends d'un poème qu'il me tranche la gorge et me ressuscite. » (p.59)

« L'absolu a éclaté sur le carrelage dans un bruit de vaisselle précieuse. De toute façon on ne s'en servait jamais. » (p.67)

« Lire, c'est ajouter au livre, découvrir, en s'y penchant, son propre visage dans la fontaine de papier blanc. » (p.76)

« Chaque fois que de l'angoisse arrive, je la mets dans une valise que je glisse sous mon lit. De temps en temps je tire la valise, je la mets sur le lit, je l'ouvre : elle ne contient rien, ou bien un lumineux petit arbre fruitier. » (p.84)

« Quand le peintre japonais Hokusai meurt en 1849 il a, par ses dessins, rendu la vie dix mille fois plus vivante qu'elle n'était avant lui. Sans doute est-ce là le travail que chacun doit accomplir par sa vie : frotter la pièce d'or mise dans notre main à notre naissance, afin qu'elle brille dix mille fois plus quand la mort nous la volera. » (p92)

Nul besoin d'en rajouter après ces quelques passages glanés dans Un assassin blanc comme neige, dernière parution de Christian Bobin chez Gallimard. 
Peut-être juste cette explication de l'auteur lui-même sur son livre, une très belle justification d'écriture...


Christian Bobin - Un assassin blanc comme neige par Librairie_Mollat

07 juillet 2011

Renée

Renée, de Ludovic Debeurme, Édition Futuropolis, 2011

Ludovic Debeurme nous a donné en 2006 le sublime Lucille, histoire d'amour entre une jeune fille anorexique et le fils d'un pêcheur, Arthur, marqué par le suicide de son père.
La suite était attendue depuis tout ce temps, et sans cesse reportée.
Le roman graphique de plus de 500 pages appelait une prolongation, le récit initiatique de nos deux héros nous laissant sur notre faim et dans l'expectative.
Cinq ans plus tard, c'est donc avec une autre œuvre magistrale que nous retrouvons Arthur, Lucille, mais aussi Renée, personnage qui s'ajoute au livre fleuve de Ludovic Debeurme (les pages ne sont pas numérotées et je ne les ai pas comptées, mais c'est un livre énorme comme on les aime). Renée est une jeune femme éprise d'un musicien de jazz marié. Arthur, Lucille et Renée seront unis par un événement dramatique qui se déroulera lors du séjour en prison d'Arthur.

Je n'en dit pas plus sur l'histoire, mais je reviens sur la forme. Ludovic Debeurme est un jeune auteur de bande dessinée et illustrateur. Dans sa leçon de dessin, Ludovic Debeurme nous explique sa façon de travailler. Il nous dit entre autres que « ce qui l'intéresse, ce sont les détails. Pas le détail pour le détail, mais le détail pour ce que ça a de rapport avec la folie. »
Il poursuit : « Quand je suis dans le rêve et que je parle davantage des fantasmes et du rêve, j'ai besoin d'avoir un dessin qui a plus de poids et plus de présence, presque formel et réel.
Alors que Lucille, qui se passe dans un quotidien plus réel, social, appelle quelque part un dessin plus léger, plus épuré.
La suite de Lucille (Renée) aura deux écritures graphiques. J'introduis un nouveau personnage qui a un rapport aux fantasmes, au rêve qui surgit dans sa vie à la limite de la folie. Le trait plus gravé, plus précis lui convient bien. Avec le personnage de Lucille, je reviens à un trait plus simple. Du coup, ce qui est un peu schizophrène, c'est de passer de l'un à l'autre. Ça ne se fait jamais sans heurts. »
On remarque, en feuilletant les pages de Renée, l'absence totale de cases, inhérentes à la bande dessinée classique. Cela donne une impression de liberté totale pour l'auteur, qui parvient à développer son histoire sans carcan. Cela nous offre aussi de l'espace pour souffler, pour récupérer face à ce que l'auteur nous offre, et qui nous remue.
D'autre part, tous les dessins sont effectués au crayon, noir et blanc. À ce sujet, l'auteur s'exprime également : « Le crayon amène une immédiateté. Le geste peut vraiment être là. Et en même temps, il donne la possibilité de retravailler le dessin, sans cesse, grâce à la gomme.
La peinture à l'huile peut amener une certaine lourdeur. Dans le dessin au crayon, il y a une espèce de fraîcheur. »
On constate, d'autre part, dans cette suite de Lucille, le peu de textes, laissant toute la place à la force du dessin. Les mots présents tout au long du récit viennent cependant appuyer avec efficacité les émotions complexes des personnages.
« D'habitude, je ne pense jamais au vide qui m'entoure... Là, j'ai l'impression qu'il est plus important que moi! »
Un autre aspect qui marque l’œuvre de Ludovic Debeurme demeure l'onirisme, présent dans presque toutes les pages de ces deux tomes. L'auteur alterne entre réalisme et poésie, en représentant ses personnages aux prises avec leur passé, leurs racines, les troubles de leur âme, dessinés sous forme de corps qui se transforment parfois de façon monstrueuse. L'auteur, à ce sujet, explique « qu'avec la transformation des personnages, notre propre regard se transforme ».
Les êtres de ce récit sont tour à tour chrysalides et papillons, monstres colériques et cicatrices béantes.
Parfois, les corps disparaissent, ou deviennent minuscules, se glissent sous la peau ou ne font plus qu'un avec la nature. Des dessins quelquefois effroyables, qui viennent chercher les sentiments les plus enfouis des personnages, à la limite de la psychanalyse.
Pour les amener tranquillement vers plus de sérénité ? Tout comme dans Lucille, la fin laisse entrevoir une lueur d'espoir, d'apaisement, mais cela reste bien instable.

Ludovic Debeurme, volontiers comparé à Charles Burns pour le style, possède une voix unique. Loin de vouloir séduire son lectorat, il propose une singulière façon d'aborder les affres de la vie, de l'adolescence et de l'amour, mais aussi de canaliser la colère qui nous habite et l'angoisse qui nous traverse parfois.

Un reportage sur Arte

[Lætitia Le Clech]


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