04 mars 2006

L'Arbre aux haricots suivi par Les cochons au paradis - Barbara Kingsolver

Extraits de L'Arbre aux haricots :
«Le jour où j'ai franchi les limites du comté de Pittman je me suis fait deux promesses. J'en ai tenu une, pas l'autre.
La première était que je me trouverais un nouveau nom. De tous les noms qu'on m'avait donnés jusque-là, aucun ne m'emballait vraiment, et j'estimais que c'était le moment de prendre un nouveau départ. Je n'avais pas d'idée précise en tête, j'avais juste besoin d'un changement. Plus j'y pensais, plus il me semblait qu'un nom n'est pas quelque chose qu'on a vraiment le droit de choisir, mais qui vous est donné plus ou moins au hasard. Pourquoi ne pas laisser le réservoir d'essence décider pour moi ? Là où il serait à sec, je chercherais un signe.
J'ai bien failli devoir mon nom à la ville de Homer, Illinois, mais j'ai tenu bon. J'ai croisé les doigts en traversant Sidney, Sadorus, Cerro Gordo, Decatur et Blue Mound, et je bénis les ultimes vapeurs d'essence qui m'ont amenée jusqu'à Taylorville. Je m'appelle donc Taylor Greer.» (p. 24)
«Je suis allée dans la cuisine et j'ai ouvert le réfrigérateur pour la quinzième fois de la soirée. Toujours le même tableau : choux et beurre de cacahuète. J'ai fouillé dans un placard pour voir ce qui se cachait derrière les boîtes de haricots sautés et de sauce tomate. Il y avait une bouteille de mélasse Black Strap, une boîte de bouillie de maïs instantanée, et une boîte de saumon rose. J'ai envisagé toutes les combinaisons possibles et me suis décidée pour un deuxième sachet de tortilla chips. Voilà ce qui arrive aux gens qui n'ont pas la télé, ai-je pensé. Ils bouffent des saloperies jusqu'à en crever.» (p. 135)
«La vallée de Tucson se trouvait étalée devant nous, nichée dans son berceau de montagnes. La plaine déserte qui nous séparait de la ville s'offrait à nous comme une main à une diseuse de bonne aventure, avec ses buttes et ses mamelons, les lignes de vie et de coeur des lits secs de ses cours d'eau.
Venant du sud, un orage approchait, lentement. Il ressemblait à un immense rideau de douche gris-bleu tiré par la main de Dieu. C'était tout juste si on voyait au travers, si on distinguait les contours des montagnes de l'autre côté. De temps en temps de blancs rubans de lumière bondissaient nerveusement entre les nuages et les sommets des montagnes. Une brise fraîche se levait derrière nous, parcourant de frissons les troncs des prosopis.
Les oiseaux excités couraient sur le sol et se perchaient sur les herbes frêles qui se balançaient follement dans le vent.» (p 239-240)
Il y a tellement de beaux passages que j'aurais pu vous recopier quelques dizaines d'extraits...

Biographie de l'auteure :

Élevée au milieu des champs du Kentucky, Barbara Kingsolver quitte sa région natale pour poursuivre ses études de biologie en Indiana. Elle complète sa formation en étudiant l'écologie et la biologie à l'Université d'Arizona, où elle devient écrivain scientifique.
Elle épouse un ornithologue, ce qui ajoute un élément à son portrait d'activiste écolo et environnementaliste.
Souffrant d'insomnie, elle écrit son premier roman, L'Arbre aux haricots, et commence ainsi sa carrière littéraire. Auteure aujourd'hui de cinq romans, d'un recueil de nouvelles, de plusieurs essais, de nombreux articles scientifiques, Barbara Kingsolver possède aussi son propre site Internet (créé par son éditeur), où l'on trouve de nombreuses informations, pour peu qu'on connaisse bien l'anglais...
Quand on interroge Barbara Kingsolver sur sa vie, elle parle de son année scolaire à Tucson dans l'Arizona, de longues pauses dans sa ferme des Appalaches, une vie réglée sur les horaires de ses deux filles. A tout instant, la mère de famille peut se transformer en ardent défenseur des droits de l'homme, en militante de la liberté des femmes, brusquement farouche, oubliant une timidité naturelle pour brandir ses convictions.
Ce sont justement ces deux visages d'un même écrivain sincère qui ont fait son triomphe. Barbara ne fabrique pas ses héroïnes comme des archétypes de la femme américaine, elle leur offre une existence complexe. Elle leur donne également un corps et des désirs qui s'expriment aussi bien dans une caresse envers un homme que dans une envie de marcher seule dans la montagne à la recherche d'animaux sauvages.
Christine Ferniot, Journal Lire, décembre 2002
Anecdotes :
  • «Lorsque je suis passée dans le show d'Oprah Winfrey, mes ventes ont dépassé le million d'exemplaires du jour au lendemain», raconte Barbara Kingsolver.
  • Avec une partie de l'argent de son dernier livre, elle crée un prix de 25 000 dollars qui est décerné à un écrivain non encore publié.

Je l'annonce d'emblée : Barbara Kingsolver est l'une de mes auteures préférées, l'une des écritures qui me touche le plus, par la simplicité qu'elle exprime, le retour aux vraies choses, par ses magnifiques portraits de femmes et ses descriptions de la nature américaine. Une écriture sincère et vraie, et donc, encore une fois, essentielle...

L'Arbre aux haricots
Éditions Rivages poche / Bibliothèque étrangère, 1997 (pour la version poche, 1985 pour la version originale, The Bean Trees), 340 pages.

L'Arbre aux haricots est l'histoire d'une quête, celle de Marietta (qui se rebaptise Taylor, voir l'extrait), à la recherche d'elle-même, entre son Kentucky natal, le désert de l'Arizona où elle aboutit et la réserve Cherokee d'Oklahoma.
Comme dans tous les romans de Barbara Kingsolver, Taylor est une femme forte, de caractère, attachante et volontaire. Elle n'est pas dénuée d'humour non plus.
Elle décide de quitter sa région («afin de ne pas devenir fermière ou femme de fermier»), et part à l'aventure dans sa vieille Coccinelle. Elle suit son instinct qui la guide vers l'Arizona. Mais auparavant, elle rencontrera Turtle, qui deviendra sa fille adoptive par la force des choses, et qui la transformera tout au long des 340 pages de ce roman.
Elle apprendra alors que, si elle ne peut pas détourner sa fille de son destin, elle a la possibilité de lui donner le meilleur d'elle-même.

Sur sa route, Taylor va croiser des personnes étonnantes, telles que Lou Ann, qui vient du Kentucky comme elle, Mattie, qui gère une sorte de garage automobile à Tucson, Estevan et Esperanza, deux réfugiés indiens. L'amitié qu'elle développera avec ces deux derniers et le dénouement de leur histoire commune permet à l'auteure d'aborder des thèmes qui lui sont chers, notamment des aspects de la politique d'immigration des États-Unis, ou du sort réservé aux populations autochtones Cherokee.

L'écriture inspirée de Barbara Kingsolver décrit merveilleusement bien les paysages sauvages de ces contrées des États-Unis, que ce soit l'aridité du désert de l'Arizona, le "vide" du Kentucky ou les montagnes de l'Oklahoma. Ce roman ressemble parfois à un long "road-trip", et l'on suit les personnages dans leurs aventures avec beaucoup d'émotions. L'énergie et la tendresse de Taylor font en sorte que tout ce qui nous apparaît comme horrible dans le livre se transforme en quelque chose de beau : l'apprentissage de la vie, douloureux parfois, devient alors une merveilleuse aventure pleine d'humour. Cependant, tout n'est pas rose non plus sous la plume de Barbara Kingsolver. Nous en apprenons beaucoup sur l'histoire et les conditions de vie des Cherokees (surtout dans la suite de L'Arbre aux haricots, Les cochons au paradis), et l'auteure dénonce les injustices de notre monde avec beaucoup de sensibilité.

Les cochons au paradis
Éditions Rivages poche / Bibliothèque étrangère, 1998 (pour l'édition poche en français, 1993 pour l'édition originale, Pigs in Heaven), 449 pages.

Quel drôle de titre ! Il fait référence à une légende Cherokee.
Car dans cette suite des aventures de Taylor et Turtle, nous découvrons surtout les origines de la petite Turtle, à travers le combat de Taylor pour la garder.
La suite de L'Arbre aux haricots continue l'histoire dans la même veine. Le voyage se poursuit cette fois-ci jusqu'en Californie, et la mère de Taylor, Alice, prend ici une place très importante. Les rencontres que feront nos trois protagonistes seront encore plus étonnantes (notamment cette femme qui se fait appeler Barbie, le nom de son idole ! Ou Jax, l'ami de Taylor, un musicien désinvolte et touchant) et les amèneront à vivre des situations toutes plus difficiles les unes que les autres, jusqu'au dénouement final.

Nos sentiments évoluent beaucoup durant la lecture de ce livre. Au début, on a envie de crier à l'injustice, et au fur et à mesure, nous comprenons mieux les tenants et les aboutissants de cette lutte que va livrer Annawake, la belle Cherokee, pour obtenir la garde de Turtle. Ce sont deux mondes qui s'opposent, essayent de se comprendre, de vivre ensemble. Ça nous parle de famille, de solidarité. C'est beau et ça s'avale tout seul.

En écrivant ce texte, j'écoute : Cat Power ~ You are free (2003)

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Merci Fibula,

grâce à ce que tu as écrit maintenant j'ai absolument envie de lire ces deux livres et de découvrir Barbara Kingsolver.

Comme si je n'avais que çà à faire ;-)