18 août 2006

Retour aux origines

Fortune de France (tome 1), de Robert Merle, Éditions de Fallois, 1992 (édition originale parue en 1977), 445 pages.

Avant de vivre au Canada, avant de travailler dans mon domaine actuel, je me destinais (probablement) à une carrière de professeure d'histoire-géo, ou de chercheure, ou historienne. En tout cas, j'avais la passion de l'histoire, de tout ce qui avait façonné le monde pour en arriver où nous en sommes aujourd'hui. Je m'intéressais particulièrement à l'histoire dite «ancienne» (grecque et romaine) et à l'histoire moderne et contemporaine. L'histoire médiévale, quant à elle, m'attirait moins, tout ces rapports de force, de seigneur à vassal, toutes ces guerres, cette violence me rebutaient quelque peu. Il faut dire que mes professeurs d'université semblaient peu enthousiastes vis-à-vis de leur spécialité. Si j'avais eu Robert Merle comme professeur, c'est certain qu'aujourd'hui, je serai une prof d'histoire médiévale passionnée !
Robert Merle est né en Algérie en 1908. Il fait ses études secondaires et supérieures à Paris. Licencié en philosophie, agrégé d'anglais, docteur ès lettres, il a été professeur de lycée, puis professeur titulaire dans les facultés de lettre de Rennes, Toulouse, Caen, Rouen, Alger et Paris-Nanterre où il enseigna jusqu'à sa mort en 2004.
Dans cette véritable saga (Fortune de France) dont je n'ai pour le moment lu que le premier tome (sur un total de 13...), il se fait porte-parole de Pierre de Siorac, issu d'une famille protestante, et nous conte l'histoire de cette famille, tout au long de la seconde moitié du XVIème siècle. En ces temps troubles, la vie de la famille de Siorac ne sera pas de tout repos. L'opposition entre les catholiques et les protestants fait rage à ce moment là, pour atteindre un point culminant lors du massacre de la Saint-Barthélémy, en 1572. Le roi Henri IV, protestant, mettra un terme à ces guerres de religion en signant le 30 avril 1598 l'Édit de Nantes.

« Pierre de Siorac, le personnage qui dit "je" dans Fortune de France, naît en 1551, dans le Périgord méridional, d'un père huguenot. Sa maison s'élevait non loin de Sarlat, à la croisée de deux villages qui, au XVI ème siècle, s'orthographiaient Taniès et Marcuays. Autour de Pierre de Siorac s'organise un récit concentrique, dont le premier cercle est une famille, le second, une province, le troisième, un royaume, mais sans que les princes reçoivent ici plus d'attention que nécessaire pour comprendre l'heur ou le malheur de ceux qui, en leur lointaine sénéchaussée dépendaient de leurs décisions.» (Avant-propos par Robert Merle)
Évoquer sans passéisme le passé, dit Robert Merle, est pour moi une démarche de même nature qu'anticiper l'avenir : retrouver le présent en s'en évadant (double plaisir), exciter mon imagination par le dépaysement, user voluptueusement d'un langage nouveau, proposer enfin à ceux qui en ont cure quelques leçons oubliées.
La particularité de cet ouvrage est en effet que Robert Merle écrit en ancien français. Nous avons accès à un glossaire en fin de livre, qui nous aide à la compréhension de certains mots. Mais une chose m'a frappée, certains mots d'anciens français ressemblent vraiment à des mots québécois utilisés aujourd'hui !
Voici un extrait qui m'est particulièrement cher (p. 332) :
En effet, l'action se situe ici exactement dans la rue où j'ai vécu pendant 20 ans ! Au bout de cette rue, il y a une grande maison, entourée de hauts murs. À côté, une petite place, avec une croix, comme il se doit. Autour, quelques champs, d'autres maisons, de nouvelles constructions. Cette grande maison est celle où Étienne de La Boétie est mort, avec, à son chevet, Michel de Montaigne. Pas n'importe qui tout de même ! J'ai toujours été imprégné des ces noms (mon école primaire était l'école La Boétie), et voilà qu'un livre immortalise à jamais ces lieux de mon histoire à moi.
C'est de cela qu'est imprégnée cette grande saga de Robert Merle : une réalité historique certaine à travers le récit romanesque d'une famille et de personnages très attachants.
À mettre entre toutes les mains pour se réconcilier avec cette époque, qui marque la fin du Moyen-Âge, le début de la Renaissance et la transition vers l'époque moderne. On ne peut également s'empêcher de trouver des similitudes avec notre époque contemporaine, qui voit encore aujourd'hui tant de guerres et de colères liées aux différences, qu'elles soient religieuses, culturelles ou autres. Mais ceci n'est pas nouveau... Et le débat sur le rôle de l'Histoire aura lieu un autre jour... !
Ceci dit, j'ai hâte au tome 2 !
En écrivant ceci j'écoute cela : Patricia Barber ~ Verse (EMI ~ 2002)

10 commentaires:

Anonyme a dit...

Quand l'histoire personnelle résonne avec l'Histoire, c'est fabuleux.

Anonyme a dit...

Tu me donnes très très envie de lire, d'autant plus que je suis plongée en ce moment dans de grandes saga historiques. Ce livre me semble tout à fait ce que j'ai envie de lire ensuite.

Merci et bises !

Anonyme a dit...

Moi j'ai toujours su que "Saint Aub." et "Le Taillan" etaient des lieux qui avaient marqué l'Histoire de France. si si
A l'époque, il n'était pas question d'aménager un rond point au carrefour de Germinian....mais il faut dire qu'au temps des charriottes, l'accident de cheval ne faisait pas forcement la Une de la messe locale.
Je suis sûre que si messieur de Montaigne et de la Boetie revenaient dans le coin il ne le trouverai pas tant changé que ça.

Le bisou à toi et la bise à Montainge

Alcib a dit...

Cela démontre encore une fois que nous ne sommes jamais si loin que nous le pensions d'abord des uns et des autres ni des événements ou des lieux historiques...
Eh bien oui, la langue québécoise a d'abord été du français ; privée de télévision et d'Internet durant quelques siècles, elle n'a pas évoluée aussi rapidement ni de la même façon qu'en France. Puis les Anglais sont venus et, à Montréal d'abord, l'influence s'est fait sentir chez ceux qui étaient exposés à leur langue, que ce soit à cause du travail ou des commerçants...
Puis la télévision et la globalisation continue de faire des ravages ici comme en France et ailleurs. Sauf qu'ici nous avons développé des réflexes de défense de la langue (nous y tenons à notre langue - je parle du français, bien sûr) ; alors nous sommes plus critiques que ceux qui ne voient pas de danger à emprunter tous les mots anglais à la mode qui passent...

Je ne serais certes pas devenu historien, mais comme je regrette de n'avoir pas eu accès plus jeune à de bonnes bases en histoire. Je pourrais toujours essayer de me rattraper, mais il y a tellement de choses intéressantes à lire et... à faire...

Je retiens toutefois ce nom de Robert Merle, que je connaissais, sans avoir lu ses livres. Mais où donc ai-je vu son nom encore ces jours-ci ?

Anonyme a dit...

Robert Merle n'a pas écrit que des romans historiques. Ses titres les plus connus sont certainement "Week-end à Zuydcoote" (prix Goncourt 1949), "Un animal doué de raison" (livre de chevet de tous les passionnés de dauphins ;o) et "Malevil" qu'il n'était pas rare de retrouver sur les listes de lecture des professeurs de français au collège et dont il n'est pas exclu qu'il ait inspiré quelques scénaristes.

Content en tout cas que ça t'ait plu, pour ma part j'en suis en tome V ("La violente amour") et c'est toujours aussi passionnant. Je te fais suivre le reste très bientôt + un petit bonus mais chut c'est surprise ! :o)

Lætitia Le Clech a dit...

Merci à tous pour vos commentaires !

Anonyme a dit...

j'adore cette serie...magnifiquement ecrite, une excellente leçon d'histoire ...juste une précision Robert Merle n'a pas écrit en ancien français mais s'est inspiré du moyen français remanié de sa plume avec quelques création linguitique.
Mais ça ne gache rien à la lecture!

Lætitia Le Clech a dit...

> Couline : bienvenue ici et merci pour ces précisions.

Nathalie a dit...

Je suis une énooooorme fan de cette série, dont j'ai lu et relu tous les épisodes ! Depuis l'époque où tu as écrit ce billet, est-ce que tu as eu l'occasion de lire les autre tomes ? Le ton change petit à petit, en passant des aventures campagnardes de Pierre de Siorac, à sa vie d'espion et de chevalier au service du roi, puis à la vie d'homme de cours et de diplomate de son fils Pierre-Emmanuel... Quel dommage que Robert Merle soit mort il y a quelques années !

Lætitia Le Clech a dit...

Je suis rendue au quatrième tome seulement. Je le lis par période, mais j'aime toujours autant !