22 mars 2006

Tamara dans un paradis noir - Chronique de deux livres finlandais

Tamara, de Eeva Kilpi
Éditions 10/18, domaine étranger, publié pour la première fois en français en 1975 (édition originale publiée en finnois en 1972), 316 pages.
Noirs Paradis, de Rosa Liksom
Éditions Le Serpent à plumes, 2001 (édition originale publiée en finnois en 1989), 170 pages.

Le Québec et la Finlande ont plus d'un point en commun. Au-delà du même hiver rigoureux frappant les deux régions, l'histoire les rapproche un peu également. La Finlande a été occupée jusqu'en 1917 par la Russie, puis de nouveau attaquée par l'URSS pendant la seconde Guerre Mondiale. La paix est enfin signée entre les deux pays en 1944. Le pays adoptera par la suite une politique de neutralité stricte pendant la Guerre froide. Mais ce passé de lutte contre l'envahisseur est toujours bien présent en Finlande, comme on peut le lire dans les nouvelles de Rosa Liksom.

D'un point de vue culturel, on peut noter la forte présence, voulue ou non, de l'Église. En Finlande, il s'agit de l'Église luthérienne (protestante), dont le chef est même le président de la République ! Il y a environ 5 000 catholiques en Finlande (source : ici).
Encore une fois on peut sentir cette présence dans les nouvelles de Rosa Liksom, également dans le roman Tamara, par des sentiments plus sournois, la culpabilité, entre autres.

On peut se rendre compte aussi que les finlandais ont une forte propension à faire la fête et à boire beaucoup d'alcool... pour oublier le froid ?
Le livre de Rosa Liksom nous montre aussi des personnages désespérés, suicidaires, mais là je m'égare, je ne dis pas que les québécois sont désespérés et suicidaires... ni que tous les finlandais le sont.
Arrêtons donc là les comparaisons, mais je dois dire que j'ai été frappée par de nombreuses similitudes, ce qui m'a d'autant plus troublée, étant donné que je vis au Québec, et que mon frère vit en Finlande... Pourquoi avons-nous choisi ces deux "pays" ?
Mais je m'égare une fois de plus, car ici, je ne vous parlerai ni de mon frère, ni de moi...

Le roman Tamara, de Eeva Kilpi, ne m'a pas enthousiasmée. Pour preuve, j'ai mis environ 4 mois à le lire ! La quatrième de couverture, pourtant, laissait présager des choses intéressantes... «Avec ce roman chaud venu du froid, premier roman érotique finlandais, Eeva Kilpi s'attaque, non sans humour, au puritanisme, à l'hypocrisie et aux préjugés qui rendent l'existence douloureuse et coupable, et revendique pour les femmes le droit à une vie affective et à la sexualité

Ce livre raconte l'histoire de Tamara, une femme psychologue (le métier n'est pas précisé, mais elle travaille dans un hôpital, en santé mentale), qui vit une relation ambigüe avec son amant, qui est devenu impuissant suite à un accident.
Un peu à l'image du film Breaking The Waves, de Lars Von Trier, elle se jette à corps (et à coeur) perdu dans des aventures sentimentales, qu'elle raconte ensuite à son amant éperdu d'amour pour elle. Celui-ci souffre énormément de cette situation, mais par amour pour elle, il la pousse sans cesse vers d'autres aventures.
La relation entre les deux devient très malsaine, et m'a mise mal à l'aise, tant elle s'apparentait pour moi à une relation sado-masochiste, élevée à un niveau psychologique. Tamara vient jouer dans la tête de son amant, et ce n'est pas joli joli...
L'ambiguité vient aussi du fait que Tamara dit aussi à son ami qu'elle l'aime et que ses aventures sentimentales ne sont rien, jusqu'au jour où elle tombe amoureuse d'un autre homme (qui lui, a un prénom), Kustaa Mauri.
Cette relation précipite les deux vers une chute certaine, mais leur histoire s'éternise dans des discussions métaphysiques à n'en plus finir.
Un livre d'une grande tristesse sur deux immenses solitudes qui se rejoignent dans une relation impossible et malsaine.
Je vous laisse ce commentaire plus positif et très intéressant :

«L'habillage de Tamara a de quoi dissuader. Mieux vaut ignorer son affreuse couverture (deux jambes enjarretellées, genre défilé chic) et un texte de présentation crétin (vantant ce livre "chaud venu du froid", soi-disant fondateur de l'érotisme finlandais -lesquels auraient attendu 1972 pour parler de ça?). Reste encore à surmonter l'incipit, où l'on découvre un narrateur, irrémédiablement impuissant depuis un mystérieux accident, menant avec Tamara, femme-aux-multiples-aventures, un drôle de manège : elle revient toujours vers lui, il lui demande de narrer par le menu ses étreintes...On se croirait donc en terre (bêtement) torride. Rien de plus faux, finalement : à aucun moment, Eeva Kilpi ne cherche à exciter son lecteur, s'attachant bien plutôt à décrire, dans toute sa richesse, l'intimité douloureuse de deux "parents d'élection". Lui, point fixe du récit, épris de beauté et empêché dans ses mouvements, s'abîme dans un sentiment tour à tour oblatif et jaloux, contraint qu'il est de revivre et d'identifier les gestes de l'amour au travers de leur seule relation : "Elle glane une habitude par-ci, une autre par-là, au gré de ses rencontres, et moi, sa mémoire, je suis le seul à savoir de qui elle les tient". Elle, la récitante fantasque, finit par s'avouer amoureuse inconditionnelle et délaissée, éprise d'une impossible permanence. À chacun son impuissance : au bout du compte, ils se rejoindront pour concéder, dans un bel aveu, que la vie ne leur "réussit pas". Et nous voilà tout simplement aux prises avec un livre d'amour, avec ce que cela implique de langage singulier, comme retranché de la société des hommes. Un livre peu construit, qui peut apparaître volontiers bavard et digressif, mais dont la tristesse se laisse difficilement oublier.»
(source : http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=11698)

Anecdote : en faisant des recherches sur Internet à propos de ce livre, j'ai trouvé que Tamara était un livre du genre "policier et suspense"... Ce qui n'est bien sûr pas du tout le cas !

Un tout autre genre que ces nouvelles de Rosa Liksom, Noirs Paradis. Une quarantaine de nouvelles très courtes, qui se lisent aussi très rapidement. Une galerie de portraits tous plus effrayants les uns que les autres. Un maniaque de propreté, un drogué au valium, une femme et sa fille qui se gavent de chocolat, un violeur impuissant, un pasteur qui tient sa femme en laisse... et beaucoup de meurtres, de suicides, de violence et de noirceur (c'est pas pour rien que ça s'appelle Noirs Paradis !).
Bref, pas très reluisant tout ça.
Un mot sur l'auteure
Rosa Liksom est une écrivaine finlandaise.
Elle est née en 1958 dans un petit village situé près de Tornio en Laponie, sous le nom d’Anni Tylävaara. Liksom est un pseudonyme (signifiant « comme » en suédois). Rosa Liksom parcourt l’Europe à partir de l’âge de 15 ans, commençant par la Scandinavie, la France, l’URSS où elle s’installe un temps. Serveuse dans des cafés pour « hippies-punk », dans les années 1980, Rosa Liksom profite des temps morts pour écrire des livres qui posent des questions : le refus du monde, l’exclusion sociale, l’espoir et l'amour dans un argot (celui des jeunes d’Helsinki) poétique. Son premier livre date de 1985 (Arrêt de nuit). Elle écrit surtout des nouvelles traduites dans une quinzaine de langues, mais elle a aussi publié un roman, Kreisland, non traduit en français. En parallèle à l’écriture, Rosa Liksom est également peintre.
Je vous invite à lire un texte fort intéressant sur cette auteure, écrit par sa traductrice française, Anne Papart : http://www.ranska.net/dossiers/rosa/
Vous aimerez ou détesterez ce recueil de nouvelles, qui nous montre des aspects de la Finlande assez particuliers : pour en revenir à ce que je disais au tout début de ce texte, une Finlande marquée par la religion, obsédée par son indépendance. Des finlandais violents, suicidaires, drogués ou alcooliques, joueurs compulsifs. Bref, une carte de la Finlande marginale, poussée à l'extrême.
Un style incisif, un peu difficile à suivre parfois.
En écrivant ceci, j'écoutais cela : Nick Cave - Abattoir Blues (Mute Records, 2004)

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