23 janvier 2007

Lignes de faille - Nancy Huston



Encore une fois, j'ai été bluffée par la grande Nancy Huston.

Son dernier roman nous présente le destin d'une famille extraordinaire à travers les yeux de ses enfants de 6 ans, de génération en génération, de 2004 à 1944.
On remonte le temps en rencontrant d'abord Sol, fils de Randall et Tessa, qui vivent en Californie. Par ses yeux d'enfant unique surprotégé et agissant en véritable tyran, on fait aussi la connaissance de sa grand-mère Sadie et de son arrière grand-mère chanteuse dont le nom de scène est Erra. Mais son vrai nom est Kristina. Enfin, peut-être pas...
Quand je vous disais qu'il s'agissait d'une famille extraordinaire.
Sol nous apparaît antipathique, enfant d'une génération de surabondance, obsédé par la pureté, par Internet et l'excès d'information, il se croit invulnérable.

Dans la deuxième partie du livre, on lit le récit de Randall (le père de Sol, donc) à l'âge de 6 ans également, en 1982. Celui-ci vit à New-York avec ses parents Sadie et Aron. Sadie s'intéresse beaucoup à l'histoire de sa mère, Kristina/Erra. Cet intérêt amènera toute la petite famille à partir vivre à Haïfa, en Israël.
Partie très intéressante qui permet d'aborder la problématique israëlo-palestinienne vue par les enfants, ainsi que la guerre avec le Liban. Étrange résonnance en cette année 2006... L'Histoire se répète ...
La troisième partie nous montre le point de vue de Sadie à Toronto puis à New-York, en 1962, entre des grands-parents trop stricts et peu aimants, et une mère adorée (toujours la mystérieuse Kristina) mais absente car trop jeune et peu argentée (et toujours en tournée). Dans son prénom, il y a «sad» (triste en anglais) et Sadie est une petite fille très triste - qui arrachera des larmes au lecteur le plus sensible - qui se rend coupable de l'absence de sa mère. Thématique qui revient aussi souvent dans les livres de Nancy Huston, elle qui a vu sa mère quitter le foyer quand elle avait 6 ans. Sadie retrouvera le sourire à New-York quand elle découvrira avec son nouveau papa les bagels de chez Katz ! Mais le passé ressurgit et c'est donc dans la dernière partie consacrée à Erra, Kristina, AGM, la mère de Sadie, en 1944-1945 en Allemagne, que l'on connaîtra la vérité sur cette famille. On comprendra alors l'intérêt de Sadie pour les origines de sa mère, et l'importance de cette cassure originelle. Cassure qui prend ici le visage de la politique nazie du Lebensborn.
L'évolution de la trame de l'histoire, qui se tisse comme une toile d'araignée, aborde le poids du passé et son influence sur le présent. Le regard des enfants l'année de leurs 6 ans, à des moments charnières (Guerre du Liban, conflit israëlo-palestinien, Seconde Guerre Mondiale, l'Amérique de Bush), sert magnifiquement le propos.
Le livre aborde également le thème des origines : d'où l'on vient, où est-ce que l'on va ?
C'est un peu la trame de cette histoire, qui nous promène des États-Unis au Canada, en passant par l'Allemagne, l'Ukraine et Israël. C'est aussi une autre des thématiques «fétiches» chez Nancy Huston, canadienne anglophone qui vit aujourd'hui en France.

Nancy Huston frappe fort avec ce nouveau livre, ultra documenté et fort bien écrit comme toujours. Il est d'une intelligence, d'une sensibilité, et d'une humanité remarquables. Les points de vue sont très singuliers et certaines métaphores délicieuses.

Même si le résumé de l'histoire vous a paru un peu compliqué, n'hésitez pas à vous emparer de cette histoire pour en démêler toutes les subtilités.
Tout en écrivant ceci, je prends d'ailleurs conscience de certains aspects du livre que je n'avais pas saisi de prime abord. Cela mériterait presque une deuxième lecture !

Lignes de faille a reçu le prix Femina 2006.

Une anecdote sur Nancy Huston...
Nancy Huston est aussi une musicienne accomplie qui joue de la flûte, du piano et du clavecin. Elle aime Rameau, Couperin, Bach et Shubert. Lorsqu'elle écrit, elle écoute de la musique tout en portant des boules Quiès...

En écrivant ceci, j'écoute la radio de la République dominicaine, qui diffuse du bachata à longueur de journée...;-)



9 commentaires:

Anonyme a dit...

Ta critique donne envie, je vais voir si je peux le trouver à la bibliothèque municipale. Merci !

Anonyme a dit...

Avez-vous lu limbes Limbo, un précédent ouvrage de Nancy Huston qui est un hommage à Samuel Beckett?

Lætitia Le Clech a dit...

> De rien Florinette ! Bienvenue ici !
> Mohamed : bienvenue ici aussi à toi. Je n'ai pas lu Limbes Limbo, pas encore. J'aimerais découvrir aussi son essai sur Romain Gary, qui est également un auteur que j'aime beaucoup. De Nancy Huston, je n'ai lu "que" Dolce Agonia, La virevolte, L'empreinte de l'ange et celui-ci.

Anonyme a dit...

Prévu dans mon challenge 2007. Je reviendrais en temps et en heure...

Anonyme a dit...

Très bon et beau roman qui se lit très vite avec ce format particulier des éditions Actes Sud. Je le recommande. J'en ai fait moi-même un billet le 16 février.

Nathalie a dit...

J'ai lu ce livre il y a quelques années sans rien savoir de Nancy Huston ni du contenu du roman, et je l'ai adoré. Comme tu l'écris, sous une forme difficile à résumer mais très documentée, elle nous présente certains aspects mal connus de la deuxième guerre mondiale. Il faudra que je lui consacre un billet moi aussi, un de ces jours :)

Lætitia Le Clech a dit...

@Nathalie : Merci pour ta participation ! Je te conseille en effet vivement de lire d'autres livres de Nancy Huston. Certains sont moins accessibles que d'autres (Cantique des plaines par exemple est un peu difficile), mais la majorité sont extraordinaires.
Ses essais sont aussi très intéressants (L'espèce fabulatrice entre autres).

Nico a dit...

Excellente lecture, originale, captivante et émouvante: un régal!

Anonyme a dit...

J'ai bien aimé ton anecdote sur Nancy Huston qui écoute de la musique en portant des boules quiès tout en écrivant. On ressent vraiment la musique lorsqu'elle écrit. Dans ce roman, c'est le chant, dans La Virevolte, c'est la danse. Il faut que je poursuive avec les romans de cette auteure !!