11 janvier 2014

Mon ami Dahmer

Mon ami Dahmer, de Derf Backderf, Éditions Çà et là, 2013 (pour l'édition française)

Fruit de vingt de travail, cette bande dessinée terrifiante, puisque nous ne perdons jamais la réalité de vue, nous entraîne au plus près du tueur en série Jeffrey Dahmer. Celui-ci a commis, entre 1987 et 1991, 16 meurtres (un meurtre a été perpétré plus de dix ans auparavant, en 1978) inspirés par des pulsions sexuelles malsaines et un attrait pour le morbide. Mais il ne s'agit pas que de ça, car expliquer une telle sauvagerie (la description des meurtres de Dahmer est assez abominable) et comprendre l'inexplicable reste complexe.
Derf Backderf, qui a été le camarade de classe au secondaire de Jeffrey Dahmer, ne tente pas d'excuser le comportement criminel de celui qui a été surnommé « le cannibale de Milwaukee », mais il décrit ce qu'il s'est passé en amont, des parents totalement absorbés par leurs propres soucis aux professionnels qui auraient peut-être dû se rendre compte de la marginalité de Dahmer, en passant par les adultes qui auraient dû mieux l'entourer et les camarades qui sont restés silencieux face aux agissements étranges de leur compagnon si singulier.
Derf Backderf, journaliste de formation, se sert de ses souvenirs et de nombreuses enquêtes effectuées au fil du temps. Les références répertoriées à la fin de l'ouvrage nous montrent la somme de travail fournie par l'auteur. La reconstitution semble fidèle à la réalité, mais nous demeurons dans un récit basé sur le vécu de l'auteur. Celui-ci fait un important effort pour se sortir de l'émotion, afin de traiter son sujet le plus objectivement possible.
Par le dessin noir et blanc et les visages surdimensionnés de ses personnages, l'auteur amène un côté caricatural à la Gotlib (on pense aussi à Crumb) qui pourrait nous distraire, mais le regard angoissant et noir de Dahmer, ainsi que ses imitations effrayantes des crises d'épilepsie de sa mère nous rappelle à plusieurs reprises dans quel récit nous nous trouvons. Par ailleurs, l'action est soutenue par les commentaires de Backderf lui-même, qui explicite de nombreux aspects du récit. 

L'édition française que j'ai lue nous présente une préface écrite par un spécialiste des tueurs en série, Stéphane Bourgoin, qui a rencontré Dahmer en 1993. Un texte très intéressant où nous apprenons que Dahmer est incapable d'expliquer ce qui l'a poussé à commettre de tels actes, qu'il assume par ailleurs complètement. Les éclairages apportés par Bourgoin et par les notes de fin d'ouvrage ouvrent et ferment cette histoire de façon très réaliste, emmenant cette bande-dessinée loin du divertissement que le 9e art apporte le plus souvent.

Une entrevue avec l'auteur
Le site de l'auteur Derf Backderf

Lætitia Le Clech


Humeur musicale : Woodpigeon, Thumbtacks and Glue

Aucun commentaire: