19 novembre 2016

Guerilla : pétard mouillé ou véritable appel aux armes ?

Image tirée du site de l'éditeur (ring.fr)
Aujourd’hui sur certains sites internets, dit alternatifs, beaucoup parlent d’un livre à contre-courant, qui remettrait les politiques et le consensus en place, voire même  les gauchos ! Un livre qui dirait tout haut ce que tout le monde pense tout bas...
Tapez : “Guerilla le livre”, dans votre moteur de recherche favori et vous ne manquerez pas de tomber sur des critiques dithyrambiques, dans tous les médias qui se proclament “indépendants”.
Atlantico.fr, Critiqueslibres.com et d’autres plus “engagés” comme Breizh-info.com ou JSSNews.com. Je ne parle même pas des critiques des lecteurs sur les sites d’achats en ligne pour qui ce livre signe le glas de notre vile société corrompue. Rien que ça...
Hélas, ce “pouvoir liberticide”, selon ces mêmes médias, n’a pas l’apanage de la pensée unique et surtout partage la même fâcheuse habitude de se concentrer sur la dialectique plutôt que sur le fond du propos. Pour résumer : décrire à voix haute sa gastro n’a jamais contribué à la soigner. Loin de là.

Si, aujourd’hui, j’ai envie de vous parler de Guerilla, le dernier livre de Laurent Obertone, paru aux éditions Ring, c’est parce que dans le contexte de la société française actuelle, il récupère toutes les idées un peu nauséabondes qui traînent dans la brume lourde et épaisse de cette France des divisions et des populations qui, à priori, ne se parlent plus.

Pour le résumer, Guerilla, c’est simplement l’histoire de l’effondrement d’un vivre ensemble jusqu’au-boutiste qui essaie de gommer toutes les disparités culturelles et cultuelles entre les français.
Dans une société où chaque propos se doit d’être politiquement correct ; où les banlieues - toujours elles - sont des zones de non-droit. Où chaque faux pas de la société civile est stigmatisé par les médias sur l’autel de la “tolérance” : des policiers, dans un cas de légitime défense, commettent l’impair fatal qui sonne le début d’un effroyable embrasement des cités et du pays tout entier.
Les politiques ne peuvent rien faire et finiront de toute façon dans le caniveau. Les pro “vivre ensemble” seront sujets aux pires exactions pour bien se rendre compte que le film qu’ils se projettaient dans leurs cervelles était bidon, comprendre “non, tout le monde n’est pas gentil”.
Et bien entendu les femmes seront rapidement jetées en pâture aux méchants, comprendre: agressées, violées, parce que le femme, dans sa souffrance, est toujours utile quand il s’agit de dépeindre l’horreur d’une situation (on peut observer cela dans le débat sur la place des femmes dans les jeux vidéos).
J’exagère : une seule femme, courageuse, s’en sort… Pour sauver la vie de son premier-né. Par contre, la blogueuse indépendante, naïve et pro vivre ensemble finira violée, bien qu’à demi consentante [sic] par un méchant noir avant d’être asservie par un vilain arabe. Et parce qu’elles sont globalement limitées, elles se feront expliquer régulièrement par des hommes ce qui est en train de se passer. Parce que les hommes, eux, ont tout compris.
Un nationaliste ultra ira régler leurs comptes aux “corrompus” parce que cela doit faire du bien ? Ca semble soulager même si au final ça ne guérit pas. Et puis bien entendu les djihadistes de tous bords qui n’attendaient que ça, commencent leur conquête du territoire par un joli hommage à Oradour-sur-Glane. Manque de bol : il n’y a plus d'électricité, donc plus de réseaux sociaux pour partager leurs macabres vidéos. Bref.

Alors Guerilla, c’est quoi finalement ? Un plaidoyer pour un état plus sécuritaire ? Une harangue besogneuse contre un vivre-ensemble martelé partout ? Un ras le bol déguisé contre des élites corrompues ? Une diatribe misogyne et réac contre un potentiel laisser-faire et laisser-aller des autorités ? Un constat ultra-cynique d’une société aux pratiques délétères ?
Je dirais surtout un roman écrit avec les tripes, un besoin de l’auteur d’expulser tout ce qui lui était resté en travers de la gorge toutes ces années, mais qu’il n’a malheureusement pas le courage de revendiquer. Ce n’est pas lui qui le dit : selon la quatrième de couverture, ce sont les services de renseignements !
Guerilla, surtout, cristallise beaucoup de rancœur, mais ne propose jamais de débat entre ceux qui pensent qu’il faut taper avec une règle en fer sur les doigts du mauvais élève et ceux qui pensent qu’il faut assimiler toutes les populations à grand coup de laïcité bigote.
Il ne parle jamais de cette France qui garde les yeux ouverts, qui accepte la différence sans laisser passer sur les outrages. Une France qui accepte la mixité des cultures, mais pas le communautarisme. Une France qui sait à la fois punir et soigner. Une France qui comprend mais n’accepte pas n’importe quoi.

À sa décharge, il n’est pas le seul.

Cette France là, on n’en parle pas. Elle ne fait pas vendre. Elle ne sert ni dessein politique ni dessein économique. C’est une France hors de ses frontières. Qui n’ose pas encore revendiquer son droit à devenir Europe et simplement région du monde.

Laurent Obertone est né en 1984, peut-être trop tard pour être sensible aux discours pro-européens des années 80. Il a ouvert les yeux sur la politique sans doute au moment où on a commencé à brûler les vieilles icônes du socialisme. Il a constaté les injustices et a vu le manque de courage et de responsabilité au pouvoir.
Et il a fait comme tout le monde, comme tous les politiques et les médias: dire à quel point tout va mal au lieu de travailler à améliorer les choses. Penser que tout se joue en haut alors que tout le monde vit en bas. Comptabiliser les échecs au lieu de poursuivre les victoires.

Bref, loin d’être l’appel aux armes qu’il semble vouloir incarner, Guerilla est un pur produit de notre société perdue entre ses mirages et ses chasses aux Pokémon.

Pourquoi alors en écrire la critique ? Parce que je pense qu’il est important de comprendre que chacun peut souffrir bien des injustices dans notre société et cherche, au travers des médias et des livres notamment, des éléments de réponses à ses questions et ses fantasmes ; et parfois, plus simplement, un miroir ou un amplificateur de ses propres illusions.

Ainsi, Guerilla semble, comme tous les médias actuels, vouloir titiller les angoisses communautaristes de chacun. Et dans la France d’aujourd’hui, qui se perd entre débats stériles, court-termistes, préélectoraux et de sombres veillées funèbres post-attentats, il se pose là sans rien apporter de nouveau : ni questionnement, ni analyse, ni éléments de réponse. Non. Rien. Si ce n’est un énième jet de cailloux, dans de l’eau déjà bien saumâtre.


Guerilla, un livre de Laurent Obertone paru chez Ring, 2016, 414 pages.

Pour contextualiser, voici une autre approche intéressante chez Vice

François Nicaise

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