De tels livres, il y en a eu plusieurs ces dernières semaines, me donnant une
envie irrépressible de réécrire sur ce blogue, qui n’a jamais vraiment disparu,
en fait, mais qui était en dormance depuis plusieurs années. Je n’ai jamais
perdu l’envie de m’y remettre, mais le temps me manquait et je préférais
continuer à lire et mettre de côté la recension de mes lectures. On s’y perd
aussi beaucoup, parmi tous ces blogues et sites de recensions permettant à tous
les passionnés de lecture de s’exprimer. Le syndrome de l’imposteure ne m’a
jamais quittée. Comment me permettre d’écrire sur des livres alors que
d’autres le font si bien? Qu’est-ce que je peux ajouter? Si ma légitimité a
toujours été un sujet de discorde dans mon propre esprit, il n’en demeure pas
moins que cette activité m’a permis - depuis la création du blogue en 2006 - de rejoindre quelques personnes, de parler de
livres extraordinaires, de faire des rencontres passionnantes avec des auteurs
et autrices. Alors je reviens ici avec une légitimité mal assumée, mais un
plaisir qui je l’espère sera partagé. En ces temps obscurs que nous traversons,
pourquoi se priver? La lecture est l'une des choses qui m’a permis de traverser cette année avec
un peu plus de légèreté. Un blogue de lectures, ça fait un peu années 2010, et
c’est déjà dépassé il paraît, « tu devrais parler de tes livres sur Instagram, format
court »…
*** Mais cela me plaît et m’apparaît nécessaire de revenir à
une version lente du partage ***
L’avenir, de Catherine Leroux, est un peu le pendant lumineux de Ténèbre (elle était facile, désolée), même si la prémisse de l’histoire ne laisse pas filtrer beaucoup d’espoir. Le fait que le destin d’un monde dévasté par la pollution et la négligence humaine repose en partie sur les épaules d’enfants ingénieux et résilients n’y est pas pour rien dans le sentiment de bienveillance qui ressort de ce livre. Il y a aussi beaucoup d'entraide, de solidarité entre les personnages. L'autrice nous offre un texte dans une langue magnifique, encadrée par une pincée de réalisme magique, qui sert des personnages fabuleux.
« Une réponse optimiste à des questions très sombres » Catherine Leroux (La Presse, 20 septembre 2020).
Ces deux romans, qui figurent pour le moment en haut de mon palmarès 2021, sont des romans exigeants, autant par la langue employée, le style, que par le déroulé de leurs histoires. Les textes sont ciselés, travaillés : bravo aux Éditions La Peuplade et Alto pour le beau travail avec leurs auteurs. Un pur bonheur pour le cerveau, le plaisir est total, à la fois émotionnel et intellectuel.
Mais c’est un roman graphique de Derf Backderf qui m’a fait succomber au désir du partage littéraire. Kent State, quatre morts dans l’Ohio, relate l’histoire des manifestations qui ont eu lieu aux États-Unis dans les années 70 pour protester contre la guerre du Vietnam, dans une université publique de l’Ohio, Kent State.
L’auteur de bande dessinée Derf Backderf, connu auparavant pour avoir raconté l’histoire du tueur Jeffrey Dahmer dans Mon ami Dahmer, publié en 2013 (j’en ai parlé ici) et avoir relaté son travail comme éboueur dans Trashed, publié en 2015 en français, se tourne ici vers la bande dessinée documentaire à la Joe Sacco, ma préférée. Ultra documentée, la bande dessinée prend soin de relater les points de vue de plusieurs protagonistes, essentiellement du côté des étudiants, mais aussi du côté de la Garde nationale, afin de comprendre les événements le mieux possible. Dès les premières pages de cette œuvre, un sentiment d’injustice gronde en nous. Est-ce la présence des armes, des baïonnettes, utilisées par les militaires et la police pour réprimer la rébellion, qui nous mettent mal à l’aise et montrent immédiatement que le rapport de force ne sera pas égal? Est-ce de constater l’obsession des Américains à l’époque, incluant les institutions politiques, militaires et policières, pour les communistes, les « gauchistes », et pour tous ceux qui avaient une pensée marginale ou trop sociale? Ce qui a mené au drame du 4 mai 1970 à l’Université de Kent State est extrêmement choquant, son dénouement bouleversant et le traitement qui a été fait de cet événement horrifiant.
Derf Backderf s’est nourri des nombreuses archives photographiques conservées par des militants et par les institutions municipales, de témoignages, d’écoute de discours de l’époque et de lectures d’ouvrages et d’articles : les notes finales témoignent de l’important travail de recherche de l’auteur, 3 ans de travail! Il en ressort un témoignage brillant sur un événement dont je ne connaissais pas précisément l’existence, qui nous en apprend beaucoup sur les États-Unis, et qui révèle certaines des racines d’un mal qui rampe toujours dans ce qu’on désigne pourtant comme l’une des plus grandes démocraties du monde : l'injustice sociale apparaît toujours en toile de fond dans ces grands drames.
À cet effet, la lecture de l’essai Prendre
part – Considérations sur la démocratie et ses fins, de David Robichaud et
Patrick Turmel, publié chez Atelier 10 dans la collection Documents, vient
drôlement compléter cette découverte. Prendre part, oui, mais à quel prix?
Compléments :
À lire : Forger la langue de Fort-Détroit
À écouter : Entrevue de Karine Prémont sur la bande dessinée Kent State, quatre morts dans l'Ohio
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Ténèbre, de Paul Kawczak, Éditions La Peuplade, 2020
L’avenir, de Catherine Leroux, Éditions Alto, 2020
Kent State, quatre morts dans l’Ohio, de Derf Backderf,
Éditions Çà et là, traduit par Philippe Touboul, 2020
Prendre part, Considérations sur la démocratie et ses fins,
David Robichaud et Patrick Turmel, Atelier 10, Collection Documents, 2020
Humeur musicale : Octave Noire, album Néon au complet (Yotanka, 2016)
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