27 janvier 2006

Pièces à conviction, entretiens avec Michel Tremblay - Luc Boulanger



Éditions Leméac, 2001, 175 pages.
Lu les 25, 26 et 27 janvier 2006.
Extrait :
«Malgré tout, je figeais éternellement devant la page blanche, jour après jour, je n'arrivais pas à débloquer. Je déprimais dans ma chambre. Puis, un soir, j'ai été au Lincoln Center pour entendre un concert de l'Amadeus Quartett. Je me rappelle qu'il jouait, entre autres, un quatuor à cordes de Brahms. En écoutant le quatuor, j'ai trouvé la structure de ma pièce : quatre personnages immobiles. Isolés sur la scène, ils deviendraient des instruments d'une partition musicale parlée. Un quatuor à cordes vocales. J'ai été dans la lune pendant tout le concert, car je ne pensais qu'à ma pièce. À la fin, je suis vite retourné au Chelsea Hotel. Onze jours plus tard, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou était terminée !» (p. 54)
Ce livre est le parfait prétexte pour parler des Chroniques du Plateau Mont-Royal, que j'ai découvertes tout récemment. J'ai achevé les cinq premiers tomes en un mois, il me reste encore le sixième, Un objet de beauté, paru en 1997.
Après presque cinq années de présence, de vie, au Québec, il était temps que je me plonge dans l'univers de Michel Tremblay, dont j'avais tant entendu parler.
Car il s'agit vraiment d'un monde, que Tremblay arrive à nous rendre très familier. On a l'impression, après ces lectures, de connaître Albertine, Édouard, Marcel, Thérèse... Tous ces "héros" à leur façon, qui évoluent dans le Québec des années 40, 50, et 60.
Tremblay a d'une part une écriture fine, chantante, mais il aborde aussi de nombreux thèmes (la différence, la folie, l'enfance, les relations mère-enfants...), et se fait aussi un formidable témoin-historien de cette époque, de l'évolution des mentalités dans ce Québec qui a tant changé en quelques décennies.
Pièces à conviction, de Luc Boulanger, ancien chef de pupitre au journal Voir et critique de théâtre, nous permet de découvrir le parcours de Michel Tremblay à travers son oeuvre si dense.
Je ne connais pas le quart de celle-ci, et pensais me sentir décalée en lisant ce livre, ne pas tout comprendre, ne pas saisir les allusions.
Mais au contraire, tout en me donnant envie de plonger tête première dans le théâtre de Michel Tremblay, ce livre m'a fait rire et m'a réjouie par la truculence des anecdotes sur la façon de créer une oeuvre aussi colossale, et sur les événements qui ont déclenché l'écriture de certaines pièces, ou en tous cas qui ont jalonné l'oeuvre de Tremblay. Les propos sont très intelligents et touchants quand il s'agit de création, dans le sens de l'acte de créer, et de tout ce qui va avec (l'avant, le pendant et l'après).
Le livre de Luc Boulanger dévoile, par ses dialogues, une personne très attachante, très modeste aussi (Michel Tremblay ne comprend toujours pas pourquoi autant de personnes semblent l'aduler...fausse modestie ?), très lucide, l'un des plus grands créateurs de théâtre du Québec.
Cet ouvrage peut être lu sans même connaître toute l'oeuvre de Tremblay, il ne vous en donnera que plus envie...
À recommander également pour les amateurs de théâtre, et bien sûr, les amateurs et connaisseurs de Michel Tremblay qui souhaitent en savoir plus sur son oeuvre et sur lui.
La lecture des Chroniques du Plateau-Mont-Royal, quant à elle, devrait être rendue obligatoire pour tout nouvel arrivant au Québec.
Celle-ci apporte à mon avis une compréhension nouvelle du Québec et ouvre une dimension politique, historique, artistique et sociale à ce grand bout de pays qui se bat depuis si longtemps pour garder sa spécificité. Celle-ci prend toute son ampleur à travers les personnages de Michel Tremblay.
Les Chroniques du Plateau-Mont-Royal :
La Grosse femme d'à côté est enceinte, Leméac, 1978
Thérèse et Pierrette à l'école des Saints-Anges, Leméac, 1980
La Duchesse et le roturier, Leméac, 1982
Des nouvelles d'Édouard, Leméac, 1984
Le premier quartier de la lune, Leméac, 1989
Un objet de beauté, Leméac /Actes Sud, 1997
En rédigeant ce post, j'écoutais : Original Motion Picture Soundtrack Brokeback Mountain

26 janvier 2006

Explications

Depuis quelques temps, je voyage beaucoup en autobus, pour le travail.
Alors je me suis mise à lire beaucoup pendant ces voyages, déjà que c'est l'un de mes passe-temps favoris...
À force de parler de mes lectures à mes amis, je me suis dit que ce serait bien de partager ces coups de coeur littéraires sur une page web comme celle-ci.

24 janvier 2006

Thomas Fersen à La Tulipe - Mon premier concert de l'année 2006


Je suis une grande fan de Thomas Fersen, depuis longtemps. Mais une fan discrète.
Je ne me souviens plus exactement quand je l'ai vu pour la dernière fois en spectacle, c'était il y a longtemps, sept ou huit ans, en France, dans une autre vie !
Il était triste, traînait une mélancolie qui collait à son physique de grand échalas pâle aux traits tirés. Quasiment seul derrière son orgue ou son piano, il égrenait alors les chansons de ses tout premiers albums.
Huit albums plus tard (dont deux live), nous le retrouvons sous un nouveau jour, mais toujours aussi grand, toujours aussi maigrichon et toujours aussi pâle...
Thomas Fersen assume très bien son côté débraillé, ses cheveux hirsutes, son look comme qui dirait dépareillé (une chemise à pois et rayures et un pantalon à carreaux, assortis d'un chapeau melon), ses histoires peuplées d'animaux, de fous, de solitudes, de romantisme aussi (comme cette chanson, Ma rêveuse, pendant laquelle toutes les lumières étaient éteintes pendant que le grand Thomas chantait : «Moi l'amour, faut qu' j'en donne
Car j'en ai tout une bonbonne,
Moi l'amour j'en fait don,
Car j'en ai tout un bidon...» ).

Il assume aussi parfaitement ce tournant plus rock, entrepris avec son album précédent le dernier, Pièce montée des grands jours. Sur Le pavillon des fous, son dernier, tout est encore plus rock, encore plus orchestré. On sent la touche personnelle, LE son Thomas Fersen.
Sur scène, à La Tulipe, on retrouve ce son, très bien géré ce soir, tout comme les autres éléments techniques de cette tournée : de beaux éclairages, des teintes rose, rouge, des jeux d'ombre et de lumière, avec un rideau au début du concert sur la chanson Cosmos, ma préférée du dernier album, qui contient quelques envolées psychédéliques... J'en ai des frissons rien que d'y repenser...

Ce qui m'impressionne, c'est que nous en étions au quatrième spectacle à Montréal, et la salle était comble encore une fois. Demain, Fersen joue à Ottawa.
Thomas Fersen a toujours dit qu'il adorait le Québec, et, tout comme -M- a sorti récemment un disque enregistré en spectacle à Montréal, Fersen a offert un triple album en 2001 comprenant l'un de ses spectacles à Montréal (au Cabaret, si je ne m'abuse).
C'est dire s'il est apprécié ici. Le public de ce soir (et des autres soirs probablement) était composé d'une majorité de français, et de leurs amis québécois... J'ai testé le parterre (ça vole bas et ça se bécote fort...), le balcon (trop tranquille) et le bar, où ça riait fort des blagues de Thomas Fersen. Finalement je suis revenue devant la scène où le son était le meilleur et l'ambiance aussi : ça sautait en l'air, chantait à l'unisson toutes les chansons (tout le dernier album, une partie de l'avant-dernier, et quelques grands classiques de ses autres albums : Le lion, La chauve-souris, Saint-Jean-Du-Doigt...), criait...

Un très bon groupe également, tous multi-instrumentistes : piano, violon, guitare, banjo, accordéon (c'était un fakir-accordéoniste !), harmonica...Des artistes généreux (3 rappels et un bon 2h de spectacle), qui ne savaient plus s'arrêter à la fin. Thomas Fersen disait : «Bon une dernière, mais après on y va parce que demain on part pour Ottawa !», et finalement c'est lui qui ne voulait plus regagner le vestiaire...

Si vous voulez découvrir le bonhomme, je vous recommande ces sites (vous pourrez même écouter quelques extraits) :
http://www.fersen.free.fr/
Site de Tôt ou Tard

Pour les articles sur les spectacles qui ont eu lieu au Québec, voici quelques liens (vous pourrez même voir son accoutrement !) :

Marie-Hélène au mois de mars - Maxime-Olivier Moutier


Éditions Triptyque, 1998, 162 pages.
Lu les 22, 23 et 24 janvier 2006.

Extraits :
«C'est parfois difficile à imaginer, mais les fous aussi ont des familles, des enfants, des parents, quelqu'un qui les attend dehors, des gens qui parlent d'eux, s'inquiètent de leur état, s'informent. Mais pas tout le temps. Il y a des fous, aussi, qui meurent sans personne autour. Et personne ne sera là pour envoyer les fleurs. Personne pour aller tondre le gazon autour de la dalle de pierre.» (p. 44)

«J'ai peur moi aussi. Presque autant qu'elle. Conrad dit qu'on restera fragile toute notre vie. Comme si la première couche, la plus épaisse, avait été retirée puis jetée à l'incinérateur. Une pelure qui ne se régénère ni à force de compliments, ni à coups de travailleurs sociaux.» (p. 56)
«On finira bien par me jeter dehors. Que cela me plaise ou non, il me faudra sortir. Les docteurs m'observent sans répit; méticuleusement, ils m'évaluent. Impossible de feindre. Ils sont là, derrière les vitres. Ils écrivent, compilent, prescrivent. Les diagnostics s'opposent. Ils discutent parfois dans la controverse, modifient, ajustent, mais s'obstinent à prescrire. Et moi je marche. Ma chambre, le 3074; le corridor au bout duquel se trouve une trifurcation, deux autres couloirs. Une prison en forme de "Y". Je marche en comptant les lignes du carrelage. je marche, en prenant bien soin de ne pas en oublier.» (p. 113)
Lu en quelques heures, ce récit d'une rupture amoureuse douloureuse nous plonge dans les couloirs d'un hôpital psychiatrique où l'auteur a demandé à être pris en charge, suite à une tentative de suicide.
Au-delà du pourquoi et du comment de sa déchéance, nous côtoyons les autres «fous» et leurs histoires, leurs parcours, leurs raisons d'en être arrivés là.
Comme Conrad, qui, lui aussi, «a essayé de se suicider» et qui ne «veut pas vivre, malgré la voiture, les enfants, le chien, sa femme, le travail et les semaines de congés payés».
Ou cette dame, qui a tout perdu, et qui, maintenant, «se contente du lithium» et qui «a peur de tout. Peur d'être seule, peur de son mari (...), peur que les voix lui commandent de se tuer, peur de ne plus savoir comment les chasser. Il n'y a qu'ici qu'elle arrive à vivre normalement».
Mais on reconstitue aussi au fur et à mesure l'histoire de Maxime, sa rencontre et sa relation avec Marie-Hélène, entrecoupée par ses états d'âme, son apprentissage du monde psychiatrique, la fragilité dans laquelle il se trouve, tout ceci écrit entièrement au présent, rendant le récit plus vivant et douloureux encore.
Jusqu'à la page 118... Ce passage constitue une sorte de rupture dans l'histoire, Maxime revenant sur le passé de sa famille et établissant un parallèle avec ce qui lui arrive. Mais je n'en dirais pas plus...
Ses réflexions sont très justes et touchantes, pour un thème difficile. Elles forment l'essence de ce livre, et nous permettent de réaliser comment chacun d'entre nous peut se trouver à un moment donné ou à un autre au bord du gouffre, proche de la folie, suite à un événement pouvant paraître anodin à certains.
Maxime-Olivier Moutier avait 23 ans quand cette histoire lui est arrivée... Il en a aujourd'hui 34, et sort un nouveau livre dans les jours à venir...
En ce moment j'écoute : Thomas Fersen - Le pavillon des fous (2005)