15 septembre 2011

Mon amoureux est une maison d'automne

Mon amoureux est une maison d'automne, Mara Tremblay, Éditions Les 400 coups, 2011

Mettons tout d'abord les choses au clair : Ce roman n'est pas une autobiographie.
«Pas du tout, répond la principale intéressée. Je me révèle beaucoup plus dans mes disques. Mes chansons sont toutes autobiographiques. Pour moi, la musique et la littérature, ce sont deux types d’écriture complè­tement différents. La première est connectée à mon cœur, à mes émotions, tandis que la deuxième est reliée à mon imagination. Je me suis mise dans la peau d’une autre personne. Je pouvais lui faire vivre ce que je voulais.»
Ce qui n'empêche pas d'avoir de la difficulté à "oublier" Mara derrière le personnage de Florence.
Florence, début quarantaine, mère de deux enfants qu'elle chérit plus que tout, est aux prises avec le deuil (sa mère vient de mourir), la maladie (elle est bipolaire), la rupture amoureuse (elle est séparée du père de ses enfants et a de la difficulté à se stabiliser auprès d'un homme). Elle se cherche, beaucoup, et la plume de Mara Tremblay décortique ses gestes et pensées quotidiennes, et nous fait vivre les montagnes russes que Florence traverse. Cela comporte ses qualités et ses défauts. Qualités pour le fond : l'évocation de la réalité d'une personne bipolaire, des agressions sexuelles que l'on tait bien trop souvent, et des troubles sexuels et affectifs découlant de ces drames.
Défauts pour la forme : le côté décousu et narcissique de l'exercice, la multiplication excessive du pronom personnel je, plaqué là pour nous relater le quotidien et les émotions souvent redondants de Florence. Malheureusement, ces défauts de style empêchent l'attachement au personnage, qui au lieu de nous attendrir, semble nous étouffer en même temps qu'il s’essouffle lui-même.
Ce récit s'apparente à un journal, comme le dit Nathalie Petrowski (voir le lien sur l'article ci-bas), au « journal d'une bipolaire ». Thérapie probablement bénéfique pour son auteure qui, en évoquant la mort de la mère de Florence et en l'opposant à la naissance de son deuxième enfant, tente de provoquer son propre travail de deuil, qu'elle avoue avoir du mal à faire. Si le titre nous laisse imaginer une œuvre poétique, il s'agit surtout d'un récit cathartique pour Mara Tremblay, et il nous donne l'impression d'avoir été écrit dans l'urgence et peu retravaillé par la suite. Ce qui aurait pu faire la différence entre un projet d'écriture et un objet littéraire.  

L'article (entrevue) de Nathalie Petrowski dans La Presse
L'entrevue à Plus on est de fous, plus on lit !

[Lætitia Le Clech] 

01 septembre 2011

Manabé Shima

Manabé Shima, Florent Chavouet, Éditions Philippe Picquier, 2010


Coup de cœur BD de l'été
Le Japon est tellement une île qu'il est un archipel.
Dans le catalogue japonais, on trouve des îles industrielles, des îles artificielles, des îles sacrées, des îles formol, des îles atoll, des îles balnéaires, des îles bleu-vert, des îles sauvages, des îles sans âge, des îles connues, Shikoku, et même des îles où l'on pêche et l'on boit.
Parmi ces miettes de terre, il y a Manabeshima, une île dont on parle peu, mais où poussent très bien les poissons.

C'est ainsi que nous est présenté le dernier ouvrage du bédéiste français Florent Chavouet, passionné de l'Asie et du Japon en particulier, qui a passé deux mois sur l'île de Manabeshima, à l'été 2009.
Il n'avait que 2 000 euros en poche, et a souvent dû troquer ses dessins contre des services divers...
Il a dessiné et relaté le quotidien de cette petite île de pêcheurs traditionnels, dont la population décroît, contrairement à sa voisine Shiraishishima, qui se peuple chaque été de nombreux touristes balnéaires.
Florent Chavouet nous offre une vraie cartographie de l'ile de Manabeshima, nous proposant même une magnifique carte grand format du village de Honmura, insérée à la fin du livre.
Déjà créateur de Tokyo Sanpo (Promenades à Tokyo), que je me promets de lire bientôt (et qui a reçu le Prix Ptolémée 2009 au Festival international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges), Florent Chavouet parcourt actuellement la Corée du Sud et le Japon, à vélo, et il se trouve en ce moment même à... Manabeshima ! Quelle coïncidence...
Là-bas, il a probablement retrouvé tous ses amis, rencontrés lors de son séjour, et qui l'ont accueilli presque comme un membre de leur famille. Dans l'ouvrage de Florent Chavouet, nous faisons leur connaissance en lisant leur quotidien, dessiné avec un souci du détail étonnant. Les représentations des habitations - en particulier - sont saisissantes, tant il y a des détails à regarder et d'explications à lire. J'ai souvent retourné le livre pour ne perdre aucun élément présenté, ce qui m'a un peu rappelé l'ouvrage Feuille de chou, de Matthieu Sapin, sur le tournage du film de Joann Sfar, Gainsbourg, vie héroïque.  Mais la comparaison s'arrête là car les deux ouvrages n'ont rien à voir au niveau du style.

L'auteur nous relate le quotidien d'un petit village ordinaire, avec un humour souvent subtile, parfois décapant. Tout le monde y passe, y compris les chats du coin, et nous avons même droit, p.62-63, à une "Géopolitique de la griffe", où l'auteur nous explique les territoires et lieux de bataille de nos amis félins.
Ses dessins sont d'ailleurs très réalistes et ressemblent souvent à des photographies. Représentations des hommes, des chats, mais aussi de la nature, des plantes, de la nourriture, et des poissons, entre autres. Florent Chavouet, en plus d'être un géographe, un cartographe et un sociologue, se fait naturaliste, et s'approche en ce point du travail artistique de Taniguchi, dont le travail minutieux de représentation de la nature (notamment les arbres et la montagne) m'a toujours fascinée. L'arbre dessiné en p.82 - que je ne peux malheureusement pas vous montrer - est magnifique.

C'est finalement l’œuvre profondément humaniste d'un homme curieux, ouvert à l'Autre, qui nous fait découvrir avec passion un pays qu'il aime visiblement, et qu'il nous donne surtout envie d'aimer à notre tour, et de visiter. Florent Chavouet, comme nous le prouve son périple actuel à bicyclette, est un aventurier baroudeur comme il ne s'en fait presque plus (on pense à Nicolas Bouvier), et il nous fait partager, grâce à son don pour le dessin, ses observations simples, mais jamais simplistes, sur la condition humaine dans des contrées lointaines.

Le site de l'auteur
Un très bon article sur le site Cafés géographiques
Une entrevue de l'auteur

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : poc...poc...poc...poc...poc...poc...POC (tournoi de tennis US Open oblige...)