09 février 2014

En vacances

Les périodes de vacances représentent toujours pour moi de grands moments de lectures, des heures de bonheur à l'horizon. Voici un aperçu des lectures marquantes de mes deux dernières semaines (dont une semaine de vacances).
Je poursuis d'ailleurs sur cette belle lancée en ce moment, avec la découverte de Simone de Beauvoir et ses Mémoires d'une jeune fille rangée, dont je me délecte.

Bonnes lectures à tous !

- King Kong théorie, de Virginie Despentes, Éditions Grasset, 2006

Formidable essai, véritable pavé dans la marre, en tous points intéressant, King Kong Théorie ne nous laisse pas indifférents et c'est le moins qu'on puisse dire. Écrit en 2006, la portée de ce livre reste immense. Ce fut un bonheur pour moi de lire une voix si différente, tenant compte de toutes les personnes qui ne se reconnaissent pas dans les discours bien-pensants. S'appuyant sur sa vie, ses expériences et sur ses nombreuses réflexions, l'auteure de Baise-moi dénonce toutes les normes dans lesquelles nous sommes enfermé(e)s et permet de comprendre (un peu) comment s'en libérer. Le chemin est long mais ce texte est un bon début !
« J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. Et je commence par là pour que les choses soient claires : je ne m’excuse de rien, je ne viens pas me plaindre. »




- Danseur, de Colum McCann, Éditions Belfond, 2003

L'auteur de Et que le vaste monde poursuive sa course folle en 2006 s'est inspiré de la vie de Rudolf Noureiev pour livrer une fiction parsemée d'éléments biographiques sur le danseur russe. Plusieurs grandes thématiques sont abordées, l'enfance de Noureiev, son éducation artistique, son amour total pour la danse, sa vie privée et sexuelle intimement liées à sa pratique artistique. Chaque chapitre est narré par un personnage différent, incluant le danseur. Tout cela éclaire la formidable et trop courte vie - ici fictive tel que précisé par l'auteur - du danseur. Un très bel exercice littéraire et un superbe sujet.
« Rudi avait un physique d'une beauté en tout point captivante : épaules carrées, bien dessinées, cou strié de muscles, cuisses énormes - même les contractions de ses mollets étaient belles. Il soulevait sa partenaire et la faisait tourner avec une légèreté remarquable. je ne pouvais m'empêcher de repenser au jour où il était arrivé, avec ses dix-sept ans, je le revoyais se déshabiller dans ma chambre, se glisser sous les couvertures du canapé, voiler la pâle promesse de son corps. Je serrais bien trop fort mon accoudoir, mes ongles griffaient le bois. Je rendis les jumelles et tentai d'étouffer ces émotions prêtes à me dominer. » (p. 164-165)


- Impurs, de David Vann, Éditions Gallmeister, 2012

Auteur américain né en Alaska, David Vann nous livre ici son troisième roman, après le très primé Sukkwan Island en 2010 et Désolations en 2011. Impurs nous raconte la relation plutôt tordue entre Galen, jeune adulte un peu paumé, et sa mère, étouffante, possessive et manipulatrice. Le roman nous entraîne avec ses personnages dans une lente descente aux enfers, chute accentuée par l'atmosphère brûlante des lieux, situés dans la Vallée Centrale de Californie, près de Sacramento, en plein été. L'origine du malheur de cette famille provient d'une sombre histoire de violence qui - par le silence qu'elle impose - se perpétue et touche toute la descendance comme un jeu de dominos qui s'écroulerait. David Vann fait une brillante analyse de la folie et de la violence, sans aucun tabou. Cependant, la guerre déclarée entre la mère et le fils, qui culmine dans une (trop) longue dernière partie, devient éreintante pour les protagonistes mais aussi pour le lecteur. J'avoue avoir sauté quelques pages sur la fin... 
Une très belle découverte littéraire cependant.
« Le poulet et les dumplings. Sa mère et sa grand-mère commencèrent à cuisiner, remettant le monde debout. Combien de fois ? se demanda-t-il. Combien de fois avaient-elles remis le monde debout ? Et pourquoi ? Pourquoi ne pas le laisser tomber en morceaux et rester en morceaux, pourquoi ne pas laisser libre cours à la vérité ? Ce serait plus simple. Ils pourraient tous se détendre. Ils pourraient tous s'avouer leur haine mutuelle et passer à autre chose. Mais pour une étrange raison, c'était impossible, et sa mère et sa grand-mère s'affairaient donc à découper deux poulets près de l'évier. » (p. 111)

- L'annonce, de Marie-Hélène Lafon, Buchet/Chastel, 2009 

Paul, un agriculteur de 46 ans vivant à Fridières, dans le Cantal français, passe une annonce pour rencontrer une femme. Il ne veut pas vieillir seul. Annette est un peu plus jeune et vit dans le Nord de la France. Elle répond à l'annonce. Ces deux êtres sensibles, l'une abîmée par la vie, l'autre étouffé par sa famille, arriveront à vivre ensemble avant de peut-être s'aimer. Une belle histoire tout en subtilité, menée par des personnages que l'on sent fragiles. L'écriture est fine, le style rythmé et très travaillé, qui nous fait sentir un amour de la langue et des mots.
« Annette s'appliquait pour ne pas penser au Nord. Elle aurait voulu oublier les contours mêmes des choses de là-haut et tout arracher d'elle pour mieux recommencer à Fridières. On devait se couler dans une vie neuve et prendre garde, se prémunir contre tout. [...]
Annette s'était abritée derrière l'expression refaire sa vie qui était commode parce qu'elle rassurait les gens. Elle aussi refaisait sa vie, après l'avoir longuement défaite, plusieurs fois, avec patience. Dans l'hiver de Fridières, au creux des après-midi, elle ruminait cette longue déroute, ce goût du pire tant et tant remâché jusqu'à la nausée. » (p. 133-134)

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