27 février 2011

Nagasaki

Nagasaki, Eric Faye, Editions Stock, 2010

Le titre de ce très court roman ainsi que l'histoire présentée en quatrième de couverture m'ont incité à acquérir le dernier ouvrage d'Eric Faye.

Grand prix de l'Académie française, il narre un fait divers japonais assez insolite : un cadre d'une station météorologique vit seul son morne quotidien, entre un boulot qui l'occupe jusqu'au soir et sa vie tranquille tranquille quand il rentre chez lui.
Et c'est dans son habitation, précisément, qu'il constate des choses étranges. Des détails qui diffèrent entre son départ et son retour.
Il a l'impression que son univers familier est chaque fois légèrement différent. Ainsi au bout de quelques temps il commence à se poser des questions...  : «Tiens j'avais pourtant rangé mes knackis ici ??!!» ou encore « Mais j'étais pourtant certain qu'il y avait 367 sucres blancs et 7 roux dans mon sucrier. Mazette ! »...
Se demandant s'il n'est pas en train de devenir fou, il décide de monter une petite caméra, de la connecter sur Internet et de voir ce qui se passe chez lui quand il n'y est pas, tout cela depuis son bureau...
Et... Ta daaam ! Rapidement, il comprend pourquoi ses rations de weetabix maigrissent chaque jour un peu plus ; et ça c'est vraiment un mystère parce que je sais pas si vous avez gouté, mais c'est vraiment dégueu.

Bon, ben, il découvre le pot aux roses et puis après s'ensuit l'histoire malheureuse de la petite souris qui a mangé les weetabix et qui a oublié de bien refermer le paquet pour ne pas se faire prendre.

Et puis, une fois la torture de son histoire passée - oui c'est vraiment triste, mais en même temps, que c'est ennuyeux! - le roman s'achève sur une condamnation de la méchante société capitaliste ? Non. Sur une critique alors ? Mouais. Je sais pas trop en fait. Ça se termine un peu comme un flan, à plat, très à la française, un peu en queue de poisson genre "là il faut que je finisse l'histoire et que je passe à autre chose".

Alors je suis un peu méchant, méchant. D'autant que j'ai beaucoup apprécié l'écriture et que le lieu et le sujet de départ avaient tout pour m'attirer.
Hélas, ce roman est mou, les personnages sont insipides et la morale à la française sonne comme une vieille rengaine à la Yann Arthus-Bertrand : que c'est fatiguant à la fin... Les gens ont des yeux, des oreilles et une cervelle qui fonctionnent dans la plupart des cas. Pas besoin d'en rajouter encore une couche supplémentaire...

C'est dommage et en même temps, j'avoue que j'ai envie de lire un autre livre de cet auteur, de lui donner une autre chance, parce qu'il écrit bien et que c'est quand même assez rare de nos jours.

Mais peut-être ai-je trop baigné dans un univers nippon pour être dépaysé ? Il est vrai qu'en rajoutant le côté "exotique" de la société japonaise, les us et coutumes, les travers, le mode d'habitation, etc... Peut-être cela rend-il le récit moins faiblard ? Hélas, je suis assez mal placé pour le dire. J'attends bien évidemment vos remarques à ce sujet.

Il se trouve que cet ouvrage faisait partie de ma petite sélection de voyage. Heureusement, il était bien accompagné... Très très bien accompagné par Invisible, de Paul Auster... Qui n'a rien à voir. Que je ne pourrai donc pas comparer. Qui lui, m'a vraiment happé...

Nagasaki, Un Vide Japonais par Eric Faye

[François Nicaise]


Humeur musicale : Antoine Corriveau, St-Maurice / Logan (indépendant, 2011)

23 février 2011

Pildiblog, blogue du photographe Remo Savisaar

Copyright Remo Savisaar

Je n'ai pas pour habitude de faire cela sur ce blogue, mais je vous présente aujourd'hui un blogue photographique que je ne me lasse pas de contempler chaque jour. C'est sûr, il faut aimer la nature et les animaux. L'auteur, Remo Savisaar, les aime tellement, qu'il arrive à en faire des clichés absolument magnifiques. Je ne sais même plus comment je suis tombée sur ce site, surtout qu'il s'agit d'un photographe animalier estonien et qu'on ne comprend donc rien aux textes. J'ai juste trouvé, en faisant quelques recherches, qu'il était né en 1978 à Tartu, en Estonie, et que depuis 2005, il photographie la nature, passion devenue métier. Il publie sur son blogue une nouvelle photo chaque jour.

Humeur musicale : Anouar Brahem, Conte de l'incroyable amour (ECM Records, 2000)

22 février 2011

Polyte

Polyte, Savinien Mérédac, 2011, éditions Jean-Claude Lattès pour la nouvelle édition. Livre reçu dans le cadre d'un partenariat entre BOB (Blog-O-Book) et les éditions JC Lattès. Merci à eux !

Écrit en 1926, cet ouvrage est considéré comme le chef-d'œuvre de la littérature mauricienne. Il a été perdu pendant de longues années, puis retrouvé et réédité.
Savinien Mérédac, de son vrai nom Auguste Esnouf, est né à Port-Louis en 1880. Il mène, parallèlement à son métier d'ingénieur, une vie littéraire intense. Il fonde une revue, publie des essais et un livre pour enfants, puis en 1926 Polyte. Il meurt en 1939 en laissant plusieurs manuscrits, dont un journal (notes de l'éditeur).

Polyte, c'est Hippolyte Lavictoire, un pêcheur dans la soixantaine, bourru et autoritaire, qui décide de se marier avec Rebecca Sansdésir, beaucoup plus jeune que lui, afin d'assurer la descendance que sa précédente femme ne lui a pas donnée avant de mourir.
Lorsque Rebecca tombe enceinte, Polyte a tout à coup des doutes sur sa paternité. Soupçonneux et jaloux, il ignorera son enfant, Samuel, jusqu'à ses 15 ans où le dénouement sera forcément dramatique...

Écrit dans une langue savoureuse, ce roman étonne par son modernisme qui jamais ne nous fait penser que l'action se passe au début du XXème siècle.
L'auteur parsème son récit de créole mauricien, qui, s'il n'est pas totalement compréhensible pour le lecteur lambda, se laisse apprivoiser par ses sonorités chantantes et ses images vivantes. D'ailleurs, même le français que l'on trouve dans ce livre est souvent imagé... Il y a même parfois un petit quelque chose du joual québécois (Astheure/A-c't'hère) !
- A-c't'hère, allons prendre un petit baquet au coin de la rue, là même-là ; nous l'avons bien gagné! Regardez, je «crache coton» ! (p.83)
Pour qui a eu la chance de voyager à l'Île Maurice, il est agréable de retrouver tous ses noms magiques de villages et de lieux, tels que Grand Gaube (où se déroule principalement l'action, au nord de l'île), l'île Plate, l'île Ronde, le Coin-de-Mire, Triolet, Pointe aux Piments... Lieux magiques qui, aujourd'hui, sont des destinations de vacances prisées par les jeunes mariés...

Mais dans Polyte, ce décor enchanteur ne sert justement que de décor, puisque toute la méchanceté et la rancœur humaines se retrouvent dans le personnage d'Hippolyte, qui en plus d'être jaloux de façon maladive, déteste violemment la population "Malbare", terme péjoratif (à l'île Maurice, car à l'Île de la Réunion voisine, il est très utilisé dans le langage courant) désignant les Indiens de l'Île Maurice, et fait preuve d'un racisme très affirmé face à eux.
Le malaise nous tient en haleine tout au long du roman qui se lit d'ailleurs très rapidement. Quelques personnages lumineux ont beau traverser ce récit, l'ombre malveillante de Polyte revient sans cesse  hanter les pages de cette belle découverte littéraire.

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : These New Puritans, Hidden (Domino Records, 2010)

21 février 2011

L'indésirable

L'indésirable, Sarah Waters, Éditions Alto, 2010, traduit de l'anglais par Alain Defossé (Titre original : The Little Stranger)

Magnifique objet ainsi que magnifique lecture, L'indésirable, le dernier de Sarah Waters, entraîne le lecteur dans une histoire effrayante où parapsychologie et chronique sociale se côtoient.

Le Dr Faraday exerce dans une petite ville du comté de Warwickshire, juste après la Seconde Guerre mondiale. Il est appelé à Hundreds Hall, un immense manoir autrefois richissime, désormais en totale déréliction, afin de soigner Betty, la domestique du domaine. Ce sera l'occasion pour lui de se lier d'amitié avec la famille Ayres, qu'il a déjà côtoyée alors qu'il était jeune enfant. Caroline et Roderick vivent  désormais pauvrement avec leur mère et le chien de Caroline, Gyp. La fortune de la famille s'est envolée avec la guerre et ne permet plus de rénover cette bâtisse trop grande pour eux trois.
À partir de là et sur plus de 500 pages, le Dr Faraday sera le témoin de phénomènes inexpliqués et dramatiques se déroulant à Hundreds Hall. Parallèlement à ce récit troublant, les liens entre le Dr Faraday et la famille Ayres se développeront au delà des conventions sociales de l'époque.

Sarah Waters, née au Pays de Galles en 1966, a été libraire et enseignante avant de se lancer dans l'écriture. Son premier roman, Caresser le velours (Tipping the Velvet) a eu un tel succès qu'il a été adapté pour la télévision anglaise (et les deux suivants également). Considérée comme une auteure de la littérature gaie et lesbienne, Sarah Waters s'est également - et surtout - intéressée à la vie londonienne au XIXème siècle (époque victorienne), puis à la Seconde Guerre mondiale et à l'après-guerre.
Elle explore avec succès un nouveau style dans L'indésirable, et même si le récit peut comporter quelques longueurs, son roman côtoie tour à tour Dickens,  Poe et Jane Austen...

Véritable chronique sociale de l'Angleterre de l'après-guerre, L'indésirable poursuit là où Ronde de nuit (son précédent roman) s'était arrêté : la portée dramatique de la Seconde Guerre mondiale et les drames personnels qui se jouaient dans Ronde de Nuit éclipsaient quelque peu la transformation sociale de l'Angleterre de cette époque. Dans L'indésirable, l'auteure met sur le même pied le côté fantastique et le côté social afin de développer toute la portée dramatique de son histoire. Si bien que même le lecteur se trouve confronté aux angoisses du narrateur, flirtant avec la folie...
Le vocabulaire est riche, et les descriptions d'Hundreds Hall absolument vivantes, faisant de la maison un personnage à part entière.

L'édition offerte par la maison Alto est un véritable bijou, nous donnant l'impression de feuilleter un vieux grimoire. Sa tranche non ébarbée ressemble à beaucoup de livres des éditions anglophones et lui confère une touche vieillotte.
Sarah Waters, avec L'indésirable, était en nomination pour le Man Booker Prize for Fiction 2009, pour la deuxième fois, après sa nomination en 2006 pour Ronde de nuit (The Night Watch).

Le site de l'auteure
L'article dans La Presse
L'article du Devoir


[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Younger Brother, Vaccine (Twisted Records, 2011) 

02 février 2011

Deux livres bien différents et excellents

La petite et le vieux, Marie-Renée Lavoie, XYZ éditeur, Collection Romanichels, 2010
Infrarouge, Nancy Huston, Actes Sud / Leméac, 2010


Les éditions XYZ proposent une petite collection appelée Romanichels, qui nous fait découvrir de jeunes auteurs québécois. C'est le cas avec le roman de Marie-Renée Lavoie, La petite et le vieux, publié l'année dernière.
L'auteure est née en 1974 dans le quartier Limoilou, à Québec. Elle détient une maîtrise en littérature québécoise de l’Université Laval. Elle enseigne présentement la littérature au collège Maisonneuve, à Montréal.
Dans ce premier roman (Marie-Renée Lavoie nous explique dans cette entrevue qu'elle a écrit d'autres romans, notamment un qui a été publié par son école secondaire), nous suivons les péripéties d'Hélène, petite fille de huit ans qui rêve d'une vie héroïque, comme dans son feuilleton préféré, Lady Oscar.
Hélène prétend avoir dix ans, ce qui lui permet de distribuer les journaux dans son quartier de Limoilou, à Québec. Elle vit avec son père, un peu toujours triste et porté sur l'alcool, et sa mère très autoritaire, et puis «c'é toute!», ainsi que ses sœurs qu'elle adore, surtout la petite dernière, Catherine.
Elle se lie d'amitié avec le vieux Roger, son nouveau voisin qui attend tranquillement la mort à longueur de journée, accompagné de quelques bières. Cette relation va la confronter à plusieurs événements et l'aider à avoir un regard différent sur sa famille et sa vie. Hélène, qui préfère tout de même qu'on l'appelle Joe, va mûrir et grandir avec sa vision "allumée" de la vie et dans un imaginaire très coloré.
Le langage très vivant d'Hélène n'enlève rien à sa candeur ni à son romantisme. Hélène joue les p'tites tough, mais au fond elle veut juste aider tout le monde, y compris ses parents en leur donnant l'argent qu'elle gagne en distribuant les journaux ou en travaillant au bingo du quartier.
Pierre Foglia, dans sa chronique du 20 avril 2010, écrit à propos de ce livre : « si vous ne lisez pas ce livre-là non plus, alors c'en est bien fini de la lecture, celui-là a vraiment été écrit pour être lu, croyez-moi.»
La petite et le vieux est un effet un moment de lecture comme on les aime, frais, imaginatif et authentique. Un moment de plaisir, malgré les malheurs qui y sont narrés, les petits malheurs de la vie de tous les jours que la petite Hélène reçoit comme des épreuves à surmonter avec courage et humilité.

L'entrevue à l'émission Vous m'en lirez tant, le 6 juin 2010
La critique dans La Presse, par Sylvie St-Jacques
La critique du Devoir par Suzanne Giguère



Dans un tout autre style, chez Leméac/Actes Sud, j'ai découvert le dernier livre de Nancy Huston, Infrarouge.
L'histoire est celle de Rena, photographe, passionnée de Diane Arbus, une photographe américaine au destin tragique, qui va passer une semaine à Florence avec son père et sa belle-mère. Elle laisse à Paris son jeune amoureux, Aziz.
Le récit est découpé selon les jours de la semaine passés dans la ville italienne et se partage entre les moments présents que Rena passe avec son père et sa belle-mère, à la découverte des musées florentins et de la Toscane, et les évocations du passé de l'héroïne, pensées souvent provoquées par la vision des différentes œuvres d'art. Au moyen de confidences que Rena fait à son amie imaginaire Subra (anagramme d'Arbus), on découvre le passé trouble et tumultueux de Rena et sa famille, ce qui nous permet également de comprendre sa relation incertaine avec son père.
L'enfer appréhendé par Rena se présente tel que prévu, l'entraînant dans la colère, l'incompréhension, puis peu à peu l'acceptation et le pardon. Parallèlement à la relation père/fille, Rena nous parle de son approche photographique, fixer sur une pellicule spéciale, infrarouge, les zones de chaleur des corps d'hommes qu'elle aime à photographier pendant la jouissance sexuelle ou juste après cette extase.
 
L'auteure Nancy Huston nous livre ici une réflexion très intéressante sur plusieurs sujets qui traversent son œuvre de façon régulière : la sexualité, les rapports entre les hommes et les femmes, l'art, la maternité. Elle voulait montrer « comment les femmes réfléchissent aux hommes », en leur donnant un regard propre, ce qui est plutôt rare dans la littérature, comme elle a pu le constater trop souvent.
Nancy Huston précise : « Infrarouge est une grande déclaration d'amour aux hommes, dit-elle. C'est un livre sur les hommes. Les machos ne sont pas les vrais hommes. Les vrais hommes n'ont pas besoin de tous les atours dont se servent les machos.»
Et si je m'attendais à un livre très sexuel, ces fameuses scènes très bien écrites et fort agréables (ce qui est rare) sont toujours intégrées de façon à servir le récit et à mieux connaître cette femme audacieuse (aux dires de l'auteure) mais aussi un peu perdue.
Florence, la ville du beau, la ville du David parfait de Michel-Ange, merveilleusement bien décrite par l'auteure (ça donne envie d'y retourner!), se prête d'ailleurs elle aussi à des pensées sensuelles. Et dans cette ville, Rena ira à la rencontre de ses dernières résistances face aux hommes, face à son père et aussi face à une mère absente, disparue, pièce manquante dans le puzzle de la vie de l'héroïne.
 
Une entrevue dans Paris-Match
La critique dans La Presse, par Éric Clément


[Lætitia Le Clech]

En écrivant ceci, j'écoute Beirut, Gulag Orkestar (Ba Da Bing, 2006)