17 août 2008

Élégie pour un Américain

Élégie pour un Américain, Siri Hustvedt, Éditions Actes Sud, 2008, 394 pages.

À la mort de leur père, Erik et Inga font leur devoir de mémoire en partant à la recherche d’une mystérieuse Lisa, évoquée dans les écrits de leur père.
En voulant comprendre la vie de leur père, ce sont leurs propres vies qui vont être bouleversées. Erik, brillant psychiatre, se remet de son divorce en tombant amoureux de sa nouvelle locataire, Miranda, une jamaïcaine mère célibataire aux prises avec un ex, artiste photographe un peu trop harcelant. Inga, auteur d'essais philosophiques, que la mort de son mari, un auteur célèbre, a traumatisée, tente de mettre à nu les émotions de sa fille Sonia, tout en affrontant les fantômes de son passé, et notamment une maîtresse de son mari…
Tout cela sur fond de 11 septembre, dans une Amérique qui se remet en question, et où les racines de chacun n’ont jamais eu autant d’importance (les esclaves marrons pour Miranda, les immigrants norvégiens pour Érik et Inga).
Ce livre est à ranger sur la même étagère que Extrêmement fort et incroyablement près de Jonathan Safran Foer, L’histoire de l’amour de Nicole Krauss, ou même (et surtout) Lignes de faille de Nancy Huston.
Il évoque avec beaucoup de finesse notre monde contemporain, avec notre quête d’identité perpétuelle, la lourdeur et la folie de nos sociétés consuméristes. Les personnages sont poussés à l'introspection permanente.

Siri Hustvedt, grande connaisseuse artistique (elle a écrit Les Mystères du rectangle, essais sur la peinture, en 2006), se rapproche ici du monde de la psychanalyse, par son personnage principal. Autour de lui gravite plusieurs artistes : Miranda, qui peint, et Jeffrey Lane, son ex, qui par son propos et sa façon d’agir, n’est pas sans rappeler l’artiste disjoncté de Tout ce que j’aimais, son précédent roman.

D’ailleurs, Siri Hustvedt use d’un procédé que j’aime particulièrement : elle refait vivre certains de ses personnages de ses précédents livres dans de petites scènes. Ainsi, dans la scène du souper chez Inga, on retrouve un Léo vieillissant, qui ne s’est jamais remis de la mort de son fils Matthew dans Tout ce que j’aimais. Ces petits « caméos littéraires » assurent une continuité dans ses ouvrages et ses thématiques.

New York reste elle-même un personnage à part entière, et l’on retrouve tout l’amour que l’auteur porte à cette ville dans ses descriptions. Les quelques voyages des deux protagonistes principaux dans leur Minnesota natal reconnecte l’auteur avec ses origines norvégiennes et avec la thématique de l'immigration.
La trame narrative est jalonnée par les rencontres avec les clients d’Erik, âmes perdues et esseulées, qui le confrontent dans sa propre solitude.
La mélancolie qui se dégage à la lecture de ce livre nous ramène au titre, une élégie étant un poème lyrique de facture libre, écrit dans un style simple qui chante les plaintes et les douleurs de l'homme, les amours contrariés, la séparation, la mort.
Élégie pour un américain est un roman complexe, qui se lit par petites touches.

"Elégie pour un Américain" ne déçoit pas. C'est un très beau texte, ambitieux, fort, lourd aussi, à force de pousser les uns et les autres dans leurs retranchements, jusqu'au bout de leurs blessures et de leurs manques. (...) On pense effectivement à Don DeLillo ou à Richard Ford dans sa façon de psychanalyser l'identité, les névroses états-uniennes, d'une écriture sans affectation. Non sans exceller à rendre les émotions palpables, les sentiments tangibles. Siri Hustvedt est vraiment un grand écrivain.
Delphine Perras, L'Express 06/06/2008

12 août 2008

«Camille, le petit lapin Energizer de la chanson» (Philippe Renaud, Journal La Presse)

Qualifié par plusieurs journalistes du Québec comme l'un des meilleurs shows des Francos 2008, le spectacle de Camille était tout à fait dans la continuité de ses précédentes tournées. La recherche musicale, axée sur le corps et les voix, était très surprenante et enthousiasmante. Malgré mon immense fatigue et le fait que j'étais seule à ce spectacle, je me suis laissée emporter par la douce folie de Camille. Un seul instrument sur la scène, un piano tour à tour effleuré et trituré par Majiker, l'acolyte de Camille depuis plusieurs albums. Le reste, que des humains : Ezra et Sly (du groupe Saïan Supa Crew), qui font les percussions avec leurs voix, Martin Gamet, le bassiste sur la précédente tournée, est ici accompagné de deux autres choristes pour accompagner par la voix et les pieds les chansons des deux albums Le Fil et Music Hole. Deux autres choristes viennent compléter le tableau. Tout ce petit monde réuni pour nous offrir une expérience musicale assez inédite. L'artiste a réussi à enthousiasmer la majeure partie du public présent au Métropolis, aidée par son naturel bien connu des fans...
Je dois avouer quelque chose que j'ai regretté dès le lendemain : j'étais si fatiguée que je suis partie avant la fin, un peu avant minuit. J'ai donc loupé quelques chansons à la toute fin. Mais j'avais heureusement entendu l'une de mes chansons préférées,
Pâle Septembre, de l'album Le Fil, dans une version magnifique (j'en avais des frissons). Il faut dire que la première partie était un peu trop longue à mon goût (Thomas Hellman), mais c'est un peu toujours comme ça quand on vient pour un artiste en particulier.

Un article sur Camille dans
La Presse
La critique du concert par
Philippe Renaud

Longueur d'ondes

Le journal Longueur D'Ondes, qui - oh ça alors - vient de ma région, Bordeaux, a publié dans l'un de ses derniers numéros une entrevue assez longue de Camille, confrontée à Gonzales, artiste canadien (pianiste et producteur, entre autres choses). La revue était justement distribuée à la sortie du spectacle de Camille, que je suis allée voir le jeudi 31 juillet au Métropolis.
Je vous la copie/colle ici, car elle était bien intéressante, enfin une entrevue en profondeur sur l'art, la création et l'inspiration musicale.

« Vos nouveaux albums s’ouvrent sur des titres très entraînants, très dansants, qui parlent au corps. Est-ce un élément important de votre inspiration ?
Gonzales : Je ne danse jamais. Je ne m’exprime pas trop avec mon corps. Et surtout, je ne crois pas en l’inspiration. J’essaie de faire de la musique tout le temps. J’évite ainsi de mettre la pression sur l’acte "sacré" de la création. C’est dans l’oreille de l’auditeur que l’inspiration se passe. En plus, pour ma génération, la musique sur laquelle on danse est beaucoup moins festive que celle qu’on trouve sur Gospel with no Lord [Ndla : l ’ouverture de l’album de Camille] ou Working together, sur mon album.

Camille : Moi, je fais beaucoup de danse par contre. Le rapport entre le son et le mouvement m’intéresse beaucoup. J’ai donc fait ce choix du travail sur ma voix, et par définition sur l’instrument de la voix, c'est-à-dire le corps. Je ne tente plus de parfaire ma technique au piano, mais de développer la connaissance de mon propre corps, et du mouvement. La pratique de la danse a influencé ce dernier album : je voulais faire quelque chose de joyeux et d’ouvert, plutôt que dancefloor, même si il y a des clins d’œil au disco.

G : Solo Piano [Ndla : le précédent album de Gonzales] peut être considéré comme un album dansant. Il ne faut pas limiter la danse aux morceaux uptempo, des claps, des claquements de doigts ou des grosses caisses qui marquent le rythme.

C : Pareil, pour le mouvement. Il ne faut pas le réduire à un truc de clubbing. Je ne travaille actuellement sur les chants religieux, et l’important, c’est de chercher les rapports entre le son, le mouvement et le geste.

Est-ce à dire que la musique est nécessairement un laboratoire ?
C : Oui ! C’est forcément exprimer quelque chose que tu as dans la tête et qui n’est pas dans l’air du temps. Je n’écoute pas de hip-hop, mais je suis influencée par ces mecs avec leur subwoofer à fond, dans leur voiture. Ça m’a du coup, donné envie de travailler sur des subs Pas de style particulier, donc, juste des éléments qui me touchent et qui m’imprègnent.

G : C’est la différence entre entendre et écouter. Les artistes qui ont une musique personnelle, sont plus dans l’entente qu’à l’écoute. L’écoute, c’est chercher quelque chose. Quand je dis que l’inspiration n’existe pas, je veux dire que l’inspiration active n’existe pas. Quand tu cherches, que tu attends, que tu mets une pression sur l’acte "sacré" de la création, c’est généralement que tu n’es pas sûr de ce que tu veux faire ou dire. En réalité, la création est plus liée à l’inconscient ou à une passivité d’entente.

C : Ton corps retient ce qui lui correspond, ce qui y pénètre naturellement. Il n’est pas dans une démarche volontaire de copie ou d’assimilation. Moi, je m’imprègne et je laisse les choses se décanter. Un disque n’est que le témoin d’un moment de ta vie. Ça ne sert à rien de se dire : « Je veux faire un disque dans ce style-là ». C’est à la fois un exercice mental et spontané. Corps, esprit, émotions, c’est l’expression de l’être humain en entier.

Selon vous, pourquoi faites-vous figures d’OVNIS ou de fous ?
G : Il y a une époque où nous serions passés pour des conservateurs, pour des artistes conformistes. C’est juste une réaction aux mythes auxquels croient les musiciens de notre génération : notre démarche parait par rapport à eux, plus originale. En fait, j’ai une approche très conservatrice : je suis les règles musicales qu’on m’a inculquées. Je ne suis pas en train de chercher quelque chose de nouveau dans la musique, mais une manière d’exprimer ma personnalité, mes défauts et mes contradictions. Je mets de l’humour sur des mélodies mélancoliques, et pour certains, c’est bizarre ou inattendu. Mais, c’est juste moi ! Les musiciens qui font de la musique mélancolique essaient d’avoir une image plus sensible. Mais, je n’y crois pas et surtout, je ne le suis pas ! Employer le mot « fou », c’est vraiment trop relatif. Prenons mon pote, Philippe Katerine qui pour moi, compte vraiment artistiquement. Il est tout sauf un clown ou un fou. Au XVème siècle, à la cour royale, personne ne l’aurait considéré comme un fou. Il aurait peut-être été le poète le plus prisé de la Cour de France.

C : Et être fou, qu’est-ce que c’est ? Ça veut dire qu’à aucun moment, tu n’es maître de ta créativité, de ton énergie ou de ta violence. La musique, c’est incompatible avec ce manque de maîtrise. A partir du moment où il y a création, il y a expression et donc, on n’est plus dans la folie. Peut-être, serais-je folle si je n’avais pas la musique…

G : C’est comme les tueurs en série. Jusqu’au passage à l’acte, ils cachent leur mal-être…

C : Combien même tu dis « je veux tuer tout le monde », mais que tu le chantes, alors, tu n’es pas fou ! Parce que tu as exprimé ton démon, tu l’as sublimé.

Votre folie, c’est peut-être sans verser dans l’impudeur, de beaucoup vous dévoiler dans vos albums, de révéler toutes vos facettes ?
C : On n’a pas peur des contradictions. Mais, est-ce ça la folie ? Je ne crois pas. Pour moi, la vie, c’est accepter les contraires. La folie, ce serait plutôt être puriste, intégriste, vouloir que tout soit pareil. Mais, être dans la contradiction, c’est plutôt sain et ça me permet d’être très heureuse.

G : Supprimer les contradictions pour faire un tube, voilà la folie ! Parfois, je rencontre des artistes dont la musique m’endort, et je découvre qu’ils ont d’autres facettes, des contradictions. Et je me dis : « Mais pourquoi je ne les entends pas ces contradictions ? ». Voilà la folie : avoir de la matière pour "entertainer" les gens et ne pas s’en servir ! That’s crazy !

Tous les deux, vous portez une très grande attention à mettre en scène votre musique.
Camille : La pop, c’est plus que des chansons. C’est une globalité, un univers, un esprit autour des chansons. Je sélectionne et j’arrange les chansons en fonction de cette couleur musicale. C’est pour ça que je m’attache beaucoup à la production.

Gonzales : Pour moi, c’est une évidence : il ne faut négliger tous les à-côtés de la musique. Pendant des siècles, les artistes l’ont fait. Il y a le contenu - la musique, mais aussi le contenant, dont il ne faut pas se foutre. Respecter la musique, c’est aussi trouver son équivalent visuel, scénique et même philosophique. Ne pas le faire, c’est nier la communication. Ne pas construire un univers autour d’un album, c’est une insulte faite au public.

C : Si tu ne fais pas ce travail-là, on le fait à ta place et tu deviens un produit marketing. Et tant mieux, d’ailleurs : ça nous oblige à le faire. Je ne pense pas que Mozart se prenait la tête sur des couvertures de disques... (Rires)

G : Oui, mais il se prenait la tête pour savoir comment il allait se comporter à la Cour, comment il allait faire son entrée... D’ailleurs, son pote Salieri n’a pas fait ce travail de recherche. Il n’a pas osé. Il a fait la même chose que Mozart, mais il n’a pas construit d’univers autour de sa musique. Il pensait que la musique suffisait. Peut-être respectait-il trop l’acte de création pour le salir avec ces questions. Résultat : les gens se sont fait une image fausse de lui, celle d’un conformiste. Tout ça à cause de son manque d’audace.

Le français, l’anglais, ce sont des matières sonores indifférenciées ?
G : Pas du tout. Moi, je n’oserai jamais enregistrer en français, parce que j’ai un accent quand je chante, et que pour moi, chanter ne peut pas correspondre à ce manque de maîtrise. (S’adressant à Camille) Mais, toi, tu chantes sans accent - ton lead est souvent en anglais. Et quand tu chantes en français, c’est toujours plus détaché. C’est plus comme un chœur grec…

C : Sur Le Fil, j’avais en tête cette idée de chœur qui commente l’action. L’anglais est pour moi, plus dans la spontanéité et le français reste la langue de mes études, de l’analyse et des nuances. Et aussi de mon inconscient. L’anglais lui permet d’aller droit au but, d’aborder des sensations plus viscérales, à la fois les plus élémentaires et les plus profondes, plus universelles - « I love you », « I am hungry »... La pop anglaise a cette possibilité-là de faire sonner les mots les plus simples, contrairement au français. Regarde toute la musique noire-américaine. I will survive¸ c’est très simple et en même temps, hyper puissant : tout part de l’intention !

G : Ou Staying alive…

C : Ou Staying alive. Toute la tension y est tellement incarnée. En français, pour que ça soit incarné, tu dois raconter quelque chose. En revanche, le français tire sa force des sons, avec des consonnes, idéales pour le drame ou le réalisme à la Piaf. Quand elle chante, elle s’appuie sur les consonnes. Elle s’enracine. En plus, il s’agit d’une langue latine parfaite pour adapter par exemple, un standard brésilien, grâce à toutes les consommes percussives et fricatives. L’anglais, c’est plus du chewing-gum. Tu peux te mettre en bouche les voyelles et les faire durer des heures.

G : Quand j’enregistrais, il y avait dans le studio, un chanteur français de R’n’B. Parfois, entre deux prises, je l’entendais chanter et je n’entendais que son accent français. Rien que son « oh oh » sonnait faux. C’est pénible de vouloir plaquer l’anglais sur le français. L’inverse, aussi. Par exemple, l’album Monsieur Gainsbourg¸ ils ont traduit du Gainsbourg en anglais. Ce n’était pas terrible.

C : Tu ne peux pas traduire des mélodies parce qu’elles sont indissociables d’une langue. Le problème de la pop actuelle, c’est qu’on se calque sur la pop anglaise. Du coup, on pense que l’allemand ou le français ne sont pas des langues musicales.

G : Et Schubert, ça sonne mal ? (Rires)

C : Toutes les langues génèrent un imaginaire, des rythmes, des mélodies. Dans Music Hole, j’ai fait le choix de l’exactitude [Ndla : de la prononciation]. Je voulais faire des chansons, qui comme des standards, racontent des histoires, qui puissent vous embarquer. D’ailleurs, mon coréalisateur, Majiker, est anglais et si ça n’allait pas, il me le signalait. En revanche, dans God is sound, ce qui m’a intéressé, c’est le travail des sonorités. Mon propos n’est pas d’être dans l’exactitude. Je ne parle ni arabe ni chinois. Ce sont des matières sur lesquelles je vais improviser.

Alors, quel rôle joue la spiritualité dans la création ?
C : En fait, je déteste parler de spiritualité : c’est très intime et ça peut être très vite galvaudé. Mais à propos de la musique, et de la voix en particulier, il y a effectivement une vibration assez cosmique : ça part en soi, se diffuse dans un lieu et atteint les autres. La musique relie au monde.

G : Camille ayant une approche scientifique de sa voix, peut-être y trouve-t-elle quelque chose de mystique. Moi, c’est l’inverse : j’ai une approche scientifique de la musique, je me concentre sur l’harmonie…

C (l’interrompant) : C’est un truc incroyable, l’harmonie ! Ce sont des lois qui nous dépassent totalement !

G : La mélodie, c’est extrêmement cérébral. Le rythme, plus corporel. Et l’harmonie joue sur les émotions. C’est ce qui a le plus de pouvoir. C’est le plus dur à quantifier et à maîtriser. Comme j’ai longuement étudié les harmonies, j’y vois peut-être moins de mystère que Camille. En revanche, comme je ne maîtrise pas le chant et que le son de ma voix est plus instinctif, j’ai un rapport plus mystique avec les mots que je chante. Et l’effet sur le public est tout aussi mystérieux. C’est ce qui donne du pouvoir à la musique.

Et le pouvoir vous intéresse ?
G : Bien sûr ! C’est la raison pour laquelle je fais de la musique. J’ai besoin d’exercer ce pouvoir ; c’est dans mon caractère. Ce qu’il y a de bien dans la musique, c’est que les gens viennent à tes concerts et paient pour que tu exerces ton influence sur eux. Ils veulent être manipulés. C’est beaucoup moins dangereux ainsi que si j’avais été homme politique…

C : Dans la musique, le pouvoir n’est pas qu’en toi. Tu es un médium. Même si tu maîtrises tout sur scène, tu jouis tout de suite des effets de ce pouvoir sur le public. Tu as un retour immédiat. C’est hyper épanouissant.

G (avec un fort accent québécois) : Ça tue sa mère, Christ ! »

(entrevue réalisée par Samuel Degasne et Sylvain Dépée, pour le numéro 44, avril/juin 2008)


10 août 2008

Escalader l'ivresse

Il paraît que c'est l'artiste du moment, la découverte du mois, la saveur de l'année...
Après Pierre Lapointe, Karkwa, Patrick Watson, voici Alexandre Désilets, avec son album Escalader l'ivresse.
Sur les conseils de plusieurs, dont ce texte élogieux de Francis Hébert (Voir), je suis allée l'acheter hier, et franchement, je ne me lasse pas de l'écouter...

«Quinze minutes de retard, scène Molson Dry, ce soir, Montréal. Et ça y est, je le tiens, mon spectacle préféré des Francos 2008.
Alexandre Désilets, encore plus magique que sur disque, et ce n'est pas peu dire. Sa voix plus en avant, ses mots plus clairs. Un charisme tel qu'on en oublie les spectateurs qui jacassent entre eux au lieu d'écouter...
Tant pis pour eux, ils ratent l'excellence. Un des artistes les plus prometteurs d'ici.
Je suis parti tout de suite après sa dernière chanson, une inédite infiniment belle (elle s'appelle Cracher dans l'eau, je crois). Je me suis enfui pour garder jalousement ce bonheur pour moi, pour ne pas le gâcher.
De toute urgence, il faut que le cd d'Alexandre Désilets, «Escalader l'ivresse», circule le plus possible.
Pour mémoire, il avait été Disque de la semaine dans Voir. Si Pierre Lapointe cherche à repousser les limites de la chanson francophone, Désilets n'est pas en reste. On n'a jamais trop d'ambitieux novateurs...» (3 août 2008, Journal Voir)

Allez, juste pour le plaisir, voici la vidéo de sa chanson L'Éphémère :


Pour ceux qui souhaiteraient le découvrir en spectacle, il a participé au spectacle "20 ans dans les dents" (clôture des Francofolies de Montréal dimanche dernier) , qui sera retransmis sur TV5 le 17 août prochain à 20h.

03 août 2008

Cali en effervescence

Cali - Club Soda - Mercredi 30 juillet 2008 dans le cadre des Francofolies
Deuxième expérience "caliesque" pour moi en deux ans et toujours autant d'admiration pour le chanteur français qui se donne à un point inimaginable en spectacle, et juste pour ça, c'est remarquable. L'artiste nous a offert des chansons de ses trois albums, et notamment du dernier en date, à saveur plus politique (un peu démago parfois) et humaniste, L'Espoir (2008). Mais aussi ses grands succès C'est quand le bonheur ou Je m'en vais, respectivement des albums L'amour parfait (2003) et Menteur (2005). Le public, conquis d'avance, chantait et tapait des mains, répondant aux "ordres" de Cali avec vigueur. Le chanteur, dès la deuxième chanson, était déjà en train de "voler" dans la foule, soutenu par les spectateurs*, et à la fin, il a remis ça après avoir traversé le parterre en chantant, être monté au balcon, hissé par un homme et deux femmes, avoir un peu parcouru le balcon de gauche à droite et être redescendu de la même façon pour finir jusqu'à la scène porté par les fans... Ouf, rien que d'écrire ça, je suis essouflée ! Cali est soutenu par un solide groupe, un batteur hallucinant qui fait tournoyer ses baguettes dans les airs et fait danser ses bras autour de son cou et au-dessus de sa tête. Son jeu de batterie était réellement ensorcelant...Je viens de découvrir qu'il s'agissait de Richard Kolinka, le batteur du groupe Téléphone... Un homme d'expérience, donc. Le reste du groupe est tout aussi intéressant : trompette, trombone, guitare, basse, claviers, tous participent au succès phénoménal du spectacle. Mais c'est Cali qui porte le plus gros de l'énergie et de l'enthousiasme qui émanent de son spectacle...

Articles sur la prestation de Cali :

La Presse
Le Journal de Montréal


En première partie, Antoine Gratton a présenté plusieurs pièces de son album Il était une fois dans l'Est (2006), seul au piano. Enfin seul... Accompagné de sa bière serait plus juste puisque l'artiste a lourdement insisté sur le fait qu'il buvait une Mol..., et qu'il était même capable de chanter et boire en même temps, démonstration à l'appui. Un peu ridicule, mais une façon comme une autre de se donner une contenance, comme un enfant qui veut attirer l'attention sur lui. Fait marquant de cette première partie, Antoine Gratton n'a pas été capable de chanter une seule de ses chansons intégralement, les coupant à tout-va par des blagues (parfois drôles : «J'suis content que Cali fasse ma deuxième partie !!») et des réflexions diverses sur sa bière...Comme s'il n'assumait pas ses textes et ses exécutions musicales (puisqu'il interrompait aussi ses solos à la guitare et au piano). Et pourtant, Antoine Gratton en a du talent, une voix très belle, une connaissance musicale apparente et un sens du contact avec son public. Il ne lui reste plus qu'à mûrir un peu pour assumer un peu plus ses chansons et rendre le tout plus sérieux et carré.
www.antoinegratton.com


* Comment ça s'appelle, quand un artiste se jette dans la foule et se fait porter par les spectateurs ?

Littérature scandinave et finlandaise

Autant en emporte la femme, Erlend Loe, Éditions 10/18, 2005 (pour la traduction française), 237 pages. Traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud.
Jamais avant le coucher du soleil, Johanna Sinisalo, Éditions Babel, 2003 (pour la traduction française), 317 pages. Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail.

Lus à Cape Cod sur la plage...

1. Autant en emporte la femme, Erlend Loe :
En dépit d'un titre douteux, l'auteur Erlend Loe, né en 1969 en Norvège (Trondheim) et vivant aujourd'hui à Oslo, nous livre une œuvre fort intéressante, drôle et touchante. En 300 points bien agencés, le narrateur nous conte le quotidien qu'il vit avec Marianne, qui s'installe subitement chez lui. Celle-ci va rapidement s'imposer comme maîtresse en la demeure et le pauvre narrateur devra battre des mains pour se faire entendre. Au delà de cette relation absurde, nous suivons l'apprentissage de cet homme sur lui-même. Il devra composer avec son amie et avec lui-même pour vivre cette relation de couple parfois difficile, comme en témoigne leur voyage en Europe, qui occupe toute la deuxième partie de l'histoire.
Les personnages secondaires sont délicieux, même si le tout est centré sur le couple formé par le narrateur et Marianne.
Le personnage principal, narrateur malheureux, m'a beaucoup touchée, et j'ai aimé lire ses réflexions sur la vie, sur l'amour, sur ses incertitudes, réflexions souvent naïves ou ponctuées de cynisme. Le personnage évolue beaucoup du début à la fin de l'histoire et c'est sans doute cela qui permet de s'attacher à lui. Les deux protagonistes sont là, avec leurs défauts, leurs qualités, ils ne peuvent se passer l'un de l'autre, en dépit de leurs disputes, des incompréhensions et des malentendus. Ils se séparent, se retrouvent, vivent ensemble ou séparés, mais toujours, cette Marianne revient vivre dans l'appartement du narrateur.
Autant en emporte la femme est le premier roman d'Erlend Loe, écrit en 1993. Depuis, il a publié de nombreux autres livres, surtout pour les enfants, mais tous ne sont pas traduits en français. En 1996, il publie son deuxième roman pour adultes, Naif. Super., qui l'a rendu populaire internationalement (il est traduit en 19 langues !). L'écriture lui est - parait-il - venue lors d'un voyage catastrophique en France, échange d'une année de lycée, qui a mal tourné. L'auteur s'est réfugié dans l'écriture intime comme exutoire à son expérience malheureuse... On en est content...
Erlend Loe est aussi diplômé de l'école de cinéma de Copenhague, il est scénariste et a également fondé un collectif de scénaristes : Screenwriters Oslo.

2. Jamais avant le coucher du soleil, Johanna Sinisalo :
Roman étonnant, construit de façon complexe, Jamais avant... alterne les points de vue de plusieurs personnages, des articles de journaux, d'encyclopédies, des chansons, pour nous raconter l'histoire d'Ange (Mickael de son vrai nom), photographe homosexuel talentueux, aussi prisé par la gente masculine des bars de sa ville que par les agences de pub qui le veulent pour leur nouvelle campagne. Ange est aussi une personne complexe, stressée, qui ne parvient pas à s'engager dans ses relations et qui n'est pas vraiment conscient de son charme.
En rentrant un soir, seul et désoeuvré, il tombe sur une créature qui le fascine dès le premier instant : un troll.
Il le recueille pour le soigner et se retrouve avec une véritable bombe à retardement à l'intérieur de son appartement. Il faudra qu'il le cache à ses voisins et à ses amis, et le prix à payer pour cela sera élévé. Mickael se met à chercher frénétiquement de l'information sur les trolls et comment en prendre soin.
Taïna Tuhkunen, auteure sur le site info-finlande.fr, explique que le troll est «vu à tour de rôle comme une créature mythique échappée des légendes, un animal inoffensif en peluche, capable toutefois de se transformer à la manière d’un loup-garou, le « E.T. finlandais » devient ainsi un objet hybride à travers lequel s’expriment maintes peurs, angoisses et perversions de l’homme moderne.». L'homme moderne étant ici représenté par Ange.
L'auteure rend les trolls réels, alors qu'ils font partie de la mythologie finlandaise. La rationnalisation de ce phénomène est destabilisante pour le lecteur, qui est le témoin complice et impuissant d'une relation surnaturelle.
Je vous invite à lire cet article de blog ainsi que les commentaires qui suivent, je les ai trouvés très intéressants (nombreuses références cinématographiques et littéraires) !
En dépit d'une fin un peu abrupte, on referme ce livre fasciné et effrayé par cette histoire, j'étais presque convaincue que les trolls existaient vraiment. Décidemment, la Finlande est un bien étrange pays... ;-)

Johanna Sinisalo est née à Sodankylä, dans le nord de la Finlande, en 1958. Elle a écrit des nouvelles, des essais, de même que de nombreux scénarios, à la fois pour la télévision et pour les bandes dessinées. Son premier roman Jamais avant le coucher du soleil a été traduit dans de nombreuses langues et a obtenu l'important prix Finlandia. Dans son second roman, intitulé Les héros (Sankarit, Helsinki: Tammi, 2003), Sinisalo retourne dans la mythologie finlandaise. Cette fois-ci, elle s’intéresse aux intrépides héros kalévaléens, tout en s’interrogeant sur la naissance de la figure du héros dans la littérature finlandaise.