25 mars 2006

Brassée musicale...

Je dois vous avouer une chose : si je devais choisir entre les livres et la musique, je serais bien embêtée... Oui, très embêtée même.
Aussi, même si ce blog est consacrée à mes lectures, je ne peux m'empêcher d'y parler ici et là de musique. Vous pouvez trouver par exemple à la fin de chacun de mes "articles" la musique que j'écoute au moment où j'écris.

Je dois vous faire part de mes récents achats (et découvertes) de musique.


Tout d'abord, il y a quelques semaines, je me suis enfin rachetée l'album absolument déprimant - mais tellement beau - de Nick Cave, The boatman's call (Mute - 1997). Cette voix me fait chavirer. Je possédais cet album sur cassette, en France. Il était temps que je retrouve l'un de mes albums fétiches. Et comme je ne fais pas les choses à moitié, et bien j'en ai profité pour m'acheter également l'avant-dernier album du bonhomme (il est très productif), Abattoir blues (Mute - 2004). Un double album en plus, très différent de l'album sus-cité, mais dont les mélodies et la voix du chanteur sont tout aussi pénétrantes. De plus, la pochette (ou plutôt devrais-je dire le coffret) contenant les deux albums, Abattoir blues et The Lyre of Orpheus, est absolument magnifique !


Ensuite, dans un magasin de disques usagés, j'ai fait un retour vers un peu de franco-français, avec l'achat du premier album de Cali, L'amour parfait (EMI - 2003). Celui-ci contient l'une des plus belles chansons d'amour jamais entendue depuis longtemps : la chanson qui porte le nom de l'album, L'amour parfait. Dernière pièce de l'album, il vous faudra pour la découvrir écouter une douzaine de chansons ayant pour thèmes principaux l'amour, la recherche de l'amour, les difficultés de la relation amoureuse... Un album thématique quoi, mais dont les textes sont portés par la voix et le chant particuliers de Bruno Caliciuri, et qui nous entraîne par de très bonnes mélodies.

Hier, je me suis ENFIN procuré le tout nouvel album de Pierre Lapointe, La forêt des mal-aimés (Audiogram). Alors, à la hauteur ? Cet album est-il aussi fantastique que les critiques le laissaient entendre depuis plusieurs jours ? Et bien, je répondrai sans hésiter, et avec autant d'enthousiasme : OUI !

Des textes plus profonds, des mélodies variées, avec beaucoup d'instruments (il paraît que j'aime beaucoup quand c'est très orchestré ;), des influences diverses que l'on devine avec plaisir (les années yé-yé, la musique disco avec des petits relents d'ABBA), et j'en passe. Le monsieur n'a pas besoin de publicité, le vendeur chez Renaud-Bray me disait que son album se vendait comme des petits pains depuis deux jours, mais si vous avez envie de découvrir une nouvelle facette de ce créateur passionné, courez-y !
Seul bémol : la photo à l'intérieur de la pochette du disque, Pierre Lapointe accroché sur un arbre par du cellophane, est vraiment moyenne, enfin c'est un avis perso, et vous me direz, ce n'est pas bien grave...

Une semaine aussi culturellement excitante (le disque de Pierre Lapointe, l'annonce officielle - sur son site - que Camille passerait en concert dans le cadre des Francos, la surprise d'apprendre que je verrai Diane Dufresne en spectacle le 21 avril prochain... et j'en passe... Oui je suis gâtée !) ne pouvait que bien se terminer...

J'ai reçu par la poste un petit paquet contenant l'album d'Anja Garbarek (Briefly shaking, Mute, tiens, la même étiquette que Nick Cave !), la fille de son père, Jan garbarek, grand saxophoniste devant l'éternel - Alléluia - album que je découvre encore ce soir, et qui je dois le dire, me ravit pas mal. Merci mon cher kouzin !

Alors voilà, si avec tout ça, tous ces disques tellement variés qu'il est étrange de les retrouver dans une même chronique (mais j'aime par dessus tout la diversité), vous ne faites pas au moins une belle découverte, je vous promets de vous surprendre avec d'autres belles musiques une autre fois !

Et en écrivant ceci, j'écoute cela : Anja Garbarek ~ Briefly shaking (Mute)

22 mars 2006

Tamara dans un paradis noir - Chronique de deux livres finlandais

Tamara, de Eeva Kilpi
Éditions 10/18, domaine étranger, publié pour la première fois en français en 1975 (édition originale publiée en finnois en 1972), 316 pages.
Noirs Paradis, de Rosa Liksom
Éditions Le Serpent à plumes, 2001 (édition originale publiée en finnois en 1989), 170 pages.

Le Québec et la Finlande ont plus d'un point en commun. Au-delà du même hiver rigoureux frappant les deux régions, l'histoire les rapproche un peu également. La Finlande a été occupée jusqu'en 1917 par la Russie, puis de nouveau attaquée par l'URSS pendant la seconde Guerre Mondiale. La paix est enfin signée entre les deux pays en 1944. Le pays adoptera par la suite une politique de neutralité stricte pendant la Guerre froide. Mais ce passé de lutte contre l'envahisseur est toujours bien présent en Finlande, comme on peut le lire dans les nouvelles de Rosa Liksom.

D'un point de vue culturel, on peut noter la forte présence, voulue ou non, de l'Église. En Finlande, il s'agit de l'Église luthérienne (protestante), dont le chef est même le président de la République ! Il y a environ 5 000 catholiques en Finlande (source : ici).
Encore une fois on peut sentir cette présence dans les nouvelles de Rosa Liksom, également dans le roman Tamara, par des sentiments plus sournois, la culpabilité, entre autres.

On peut se rendre compte aussi que les finlandais ont une forte propension à faire la fête et à boire beaucoup d'alcool... pour oublier le froid ?
Le livre de Rosa Liksom nous montre aussi des personnages désespérés, suicidaires, mais là je m'égare, je ne dis pas que les québécois sont désespérés et suicidaires... ni que tous les finlandais le sont.
Arrêtons donc là les comparaisons, mais je dois dire que j'ai été frappée par de nombreuses similitudes, ce qui m'a d'autant plus troublée, étant donné que je vis au Québec, et que mon frère vit en Finlande... Pourquoi avons-nous choisi ces deux "pays" ?
Mais je m'égare une fois de plus, car ici, je ne vous parlerai ni de mon frère, ni de moi...

Le roman Tamara, de Eeva Kilpi, ne m'a pas enthousiasmée. Pour preuve, j'ai mis environ 4 mois à le lire ! La quatrième de couverture, pourtant, laissait présager des choses intéressantes... «Avec ce roman chaud venu du froid, premier roman érotique finlandais, Eeva Kilpi s'attaque, non sans humour, au puritanisme, à l'hypocrisie et aux préjugés qui rendent l'existence douloureuse et coupable, et revendique pour les femmes le droit à une vie affective et à la sexualité

Ce livre raconte l'histoire de Tamara, une femme psychologue (le métier n'est pas précisé, mais elle travaille dans un hôpital, en santé mentale), qui vit une relation ambigüe avec son amant, qui est devenu impuissant suite à un accident.
Un peu à l'image du film Breaking The Waves, de Lars Von Trier, elle se jette à corps (et à coeur) perdu dans des aventures sentimentales, qu'elle raconte ensuite à son amant éperdu d'amour pour elle. Celui-ci souffre énormément de cette situation, mais par amour pour elle, il la pousse sans cesse vers d'autres aventures.
La relation entre les deux devient très malsaine, et m'a mise mal à l'aise, tant elle s'apparentait pour moi à une relation sado-masochiste, élevée à un niveau psychologique. Tamara vient jouer dans la tête de son amant, et ce n'est pas joli joli...
L'ambiguité vient aussi du fait que Tamara dit aussi à son ami qu'elle l'aime et que ses aventures sentimentales ne sont rien, jusqu'au jour où elle tombe amoureuse d'un autre homme (qui lui, a un prénom), Kustaa Mauri.
Cette relation précipite les deux vers une chute certaine, mais leur histoire s'éternise dans des discussions métaphysiques à n'en plus finir.
Un livre d'une grande tristesse sur deux immenses solitudes qui se rejoignent dans une relation impossible et malsaine.
Je vous laisse ce commentaire plus positif et très intéressant :

«L'habillage de Tamara a de quoi dissuader. Mieux vaut ignorer son affreuse couverture (deux jambes enjarretellées, genre défilé chic) et un texte de présentation crétin (vantant ce livre "chaud venu du froid", soi-disant fondateur de l'érotisme finlandais -lesquels auraient attendu 1972 pour parler de ça?). Reste encore à surmonter l'incipit, où l'on découvre un narrateur, irrémédiablement impuissant depuis un mystérieux accident, menant avec Tamara, femme-aux-multiples-aventures, un drôle de manège : elle revient toujours vers lui, il lui demande de narrer par le menu ses étreintes...On se croirait donc en terre (bêtement) torride. Rien de plus faux, finalement : à aucun moment, Eeva Kilpi ne cherche à exciter son lecteur, s'attachant bien plutôt à décrire, dans toute sa richesse, l'intimité douloureuse de deux "parents d'élection". Lui, point fixe du récit, épris de beauté et empêché dans ses mouvements, s'abîme dans un sentiment tour à tour oblatif et jaloux, contraint qu'il est de revivre et d'identifier les gestes de l'amour au travers de leur seule relation : "Elle glane une habitude par-ci, une autre par-là, au gré de ses rencontres, et moi, sa mémoire, je suis le seul à savoir de qui elle les tient". Elle, la récitante fantasque, finit par s'avouer amoureuse inconditionnelle et délaissée, éprise d'une impossible permanence. À chacun son impuissance : au bout du compte, ils se rejoindront pour concéder, dans un bel aveu, que la vie ne leur "réussit pas". Et nous voilà tout simplement aux prises avec un livre d'amour, avec ce que cela implique de langage singulier, comme retranché de la société des hommes. Un livre peu construit, qui peut apparaître volontiers bavard et digressif, mais dont la tristesse se laisse difficilement oublier.»
(source : http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=11698)

Anecdote : en faisant des recherches sur Internet à propos de ce livre, j'ai trouvé que Tamara était un livre du genre "policier et suspense"... Ce qui n'est bien sûr pas du tout le cas !

Un tout autre genre que ces nouvelles de Rosa Liksom, Noirs Paradis. Une quarantaine de nouvelles très courtes, qui se lisent aussi très rapidement. Une galerie de portraits tous plus effrayants les uns que les autres. Un maniaque de propreté, un drogué au valium, une femme et sa fille qui se gavent de chocolat, un violeur impuissant, un pasteur qui tient sa femme en laisse... et beaucoup de meurtres, de suicides, de violence et de noirceur (c'est pas pour rien que ça s'appelle Noirs Paradis !).
Bref, pas très reluisant tout ça.
Un mot sur l'auteure
Rosa Liksom est une écrivaine finlandaise.
Elle est née en 1958 dans un petit village situé près de Tornio en Laponie, sous le nom d’Anni Tylävaara. Liksom est un pseudonyme (signifiant « comme » en suédois). Rosa Liksom parcourt l’Europe à partir de l’âge de 15 ans, commençant par la Scandinavie, la France, l’URSS où elle s’installe un temps. Serveuse dans des cafés pour « hippies-punk », dans les années 1980, Rosa Liksom profite des temps morts pour écrire des livres qui posent des questions : le refus du monde, l’exclusion sociale, l’espoir et l'amour dans un argot (celui des jeunes d’Helsinki) poétique. Son premier livre date de 1985 (Arrêt de nuit). Elle écrit surtout des nouvelles traduites dans une quinzaine de langues, mais elle a aussi publié un roman, Kreisland, non traduit en français. En parallèle à l’écriture, Rosa Liksom est également peintre.
Je vous invite à lire un texte fort intéressant sur cette auteure, écrit par sa traductrice française, Anne Papart : http://www.ranska.net/dossiers/rosa/
Vous aimerez ou détesterez ce recueil de nouvelles, qui nous montre des aspects de la Finlande assez particuliers : pour en revenir à ce que je disais au tout début de ce texte, une Finlande marquée par la religion, obsédée par son indépendance. Des finlandais violents, suicidaires, drogués ou alcooliques, joueurs compulsifs. Bref, une carte de la Finlande marginale, poussée à l'extrême.
Un style incisif, un peu difficile à suivre parfois.
En écrivant ceci, j'écoutais cela : Nick Cave - Abattoir Blues (Mute Records, 2004)

18 mars 2006

Dernièrement...

J'ai lu ces livres (mais je n'ai pas le temps pour faire mes commentaires...) :


09 mars 2006

W;T au Théâtre de Quat' Sous - Samedi 4 mars 2006


Pièce écrite par Margaret Edson, mise en scène par Denise Guilbaut, après une traduction de Maryse Warda.
Avec : Louise Turcot, Dominique Pétin, Robert Lalonde, Jean-François Nadeau, Françoise Faucher, Charles Baillargeon, Pascale Denommée, Ève Gadouas.
Pièce présentée du 13 février au 18 mars 2006 au Théâtre de Quat'Sous. En supplémentaire les 21 et 22 mars à 20h.

Vivian Bearing, éminente professeur de littérature de 50 ans, apprend qu'elle est atteinte d'un cancer ovarien de stade 4, métastasien et incurable.
Elle accepte tout de même de se soumettre au traitement extrême que lui offre le docteur Kelekian, qui dirige le service d'oncologie. Dose maximale de chimiothérapie.
Pendant sa lente agonie, Vivian doit faire face à sa maladie, à l'anéantissement de son corps et de son esprit. Et surtout elle doit accepter sa mort.
Mais voilà, elle qui a toujours tout maîtrisé, qui menait sa vie à un train d'enfer, qui était impitoyable avec ses étudiants, qui n'avait ni vie affective ni vie sociale (comme le prouve l'absence de visiteurs à son chevet), elle, la grande Vivian Bearing, spécialiste des sonnets métaphysiques de John Donne, ne peut pas se laisser aller, elle ne peut pas souffrir et mourir.
De plus, elle se retrouve entre les mains d'une équipe médicale sans coeur (dont l'un de ses anciens étudiants), exceptée cette infirmière, qui ne connaît peut-être pas les vers de John Donne, mais qui prend soin d'elle avec candeur et bonté.

Sortez vos mouchoirs
Lorsque l'on va voir W;T, on sait à quoi s'attendre. L'histoire, les thèmes ne sont pas faciles.
Le décor ne laisse aucun doute, il s'agit d'une chambre d'hôpital, et nous y serons durant toute la pièce (même si à l'occasion de "flash back", la pièce se transformera en salle de classe, en maison, ou en salle de radiologie).
Quant Louise Turcot arrive sur scène, crâne rasé et perfusion au bras, on ne peut plus reculer.
La force du texte réside dans l'humour (le cynisme aussi) dont fait preuve Vivian Bearing. Le drame s'intensifie au fur et à mesure que la pièce avance. Les scènes les plus dramatiques succèdent à des retours en arrière ou à des dialogues plus légers.
Le personnage s'adresse au public dès le début : «Je vais mourir à la fin. Ils m'ont donné 1h50...».
Louise Turcot, qui interprète Vivian Bearing, fixe parfois intensément les spectateurs.
Tout cela ajoute finalement encore plus d'intensité au drame qui se joue. Celui-ci devient absolument bouleversant au moment même où l'on comprend que Vivian Bearing accepte qu'elle souffre, et accueille sa mort. Il atteint encore son paroxysme lors de l'unique visite que recevra Vivian, son ancien professeur, E. M. Ashford, qui vient lui lire une histoire pour enfants. Déchirant...
D'autant plus que nous nous attachons rapidement à cette femme qui fait preuve d'une vivacité d'esprit à toute épreuve (le "wit" du titre, avec un point virgule au milieu...), et que nous voyons décliner.
La critique du milieu médical fait froid dans le dos, l'équipe de médecins, d'étudiants, de résidents, n'étant intéressée que par les résultats de leur traitement, et surtout pas par les états d'âme de leur patiente.
Avec cette pièce, on nous fait voir la mort en face (pour reprendre l'expression d'Ève Dumas). Essentiel (mais douloureux) pour apprendre à lâcher prise...
Finalement, Ève Dumas, pour La Presse, a écrit une critique que je partage entièrement, alors au lieu de la plagier, je vous invite à lire cela ici.
Ce texte est aussi visible sur le site du Voir, et m'a rapporté 30 jetons...;) Votez pour moi !
En écrivant ceci, j'écoute cela : Marie-Jo Thério - Les matins habitables (2005)

04 mars 2006

L'Arbre aux haricots suivi par Les cochons au paradis - Barbara Kingsolver

Extraits de L'Arbre aux haricots :
«Le jour où j'ai franchi les limites du comté de Pittman je me suis fait deux promesses. J'en ai tenu une, pas l'autre.
La première était que je me trouverais un nouveau nom. De tous les noms qu'on m'avait donnés jusque-là, aucun ne m'emballait vraiment, et j'estimais que c'était le moment de prendre un nouveau départ. Je n'avais pas d'idée précise en tête, j'avais juste besoin d'un changement. Plus j'y pensais, plus il me semblait qu'un nom n'est pas quelque chose qu'on a vraiment le droit de choisir, mais qui vous est donné plus ou moins au hasard. Pourquoi ne pas laisser le réservoir d'essence décider pour moi ? Là où il serait à sec, je chercherais un signe.
J'ai bien failli devoir mon nom à la ville de Homer, Illinois, mais j'ai tenu bon. J'ai croisé les doigts en traversant Sidney, Sadorus, Cerro Gordo, Decatur et Blue Mound, et je bénis les ultimes vapeurs d'essence qui m'ont amenée jusqu'à Taylorville. Je m'appelle donc Taylor Greer.» (p. 24)
«Je suis allée dans la cuisine et j'ai ouvert le réfrigérateur pour la quinzième fois de la soirée. Toujours le même tableau : choux et beurre de cacahuète. J'ai fouillé dans un placard pour voir ce qui se cachait derrière les boîtes de haricots sautés et de sauce tomate. Il y avait une bouteille de mélasse Black Strap, une boîte de bouillie de maïs instantanée, et une boîte de saumon rose. J'ai envisagé toutes les combinaisons possibles et me suis décidée pour un deuxième sachet de tortilla chips. Voilà ce qui arrive aux gens qui n'ont pas la télé, ai-je pensé. Ils bouffent des saloperies jusqu'à en crever.» (p. 135)
«La vallée de Tucson se trouvait étalée devant nous, nichée dans son berceau de montagnes. La plaine déserte qui nous séparait de la ville s'offrait à nous comme une main à une diseuse de bonne aventure, avec ses buttes et ses mamelons, les lignes de vie et de coeur des lits secs de ses cours d'eau.
Venant du sud, un orage approchait, lentement. Il ressemblait à un immense rideau de douche gris-bleu tiré par la main de Dieu. C'était tout juste si on voyait au travers, si on distinguait les contours des montagnes de l'autre côté. De temps en temps de blancs rubans de lumière bondissaient nerveusement entre les nuages et les sommets des montagnes. Une brise fraîche se levait derrière nous, parcourant de frissons les troncs des prosopis.
Les oiseaux excités couraient sur le sol et se perchaient sur les herbes frêles qui se balançaient follement dans le vent.» (p 239-240)
Il y a tellement de beaux passages que j'aurais pu vous recopier quelques dizaines d'extraits...

Biographie de l'auteure :

Élevée au milieu des champs du Kentucky, Barbara Kingsolver quitte sa région natale pour poursuivre ses études de biologie en Indiana. Elle complète sa formation en étudiant l'écologie et la biologie à l'Université d'Arizona, où elle devient écrivain scientifique.
Elle épouse un ornithologue, ce qui ajoute un élément à son portrait d'activiste écolo et environnementaliste.
Souffrant d'insomnie, elle écrit son premier roman, L'Arbre aux haricots, et commence ainsi sa carrière littéraire. Auteure aujourd'hui de cinq romans, d'un recueil de nouvelles, de plusieurs essais, de nombreux articles scientifiques, Barbara Kingsolver possède aussi son propre site Internet (créé par son éditeur), où l'on trouve de nombreuses informations, pour peu qu'on connaisse bien l'anglais...
Quand on interroge Barbara Kingsolver sur sa vie, elle parle de son année scolaire à Tucson dans l'Arizona, de longues pauses dans sa ferme des Appalaches, une vie réglée sur les horaires de ses deux filles. A tout instant, la mère de famille peut se transformer en ardent défenseur des droits de l'homme, en militante de la liberté des femmes, brusquement farouche, oubliant une timidité naturelle pour brandir ses convictions.
Ce sont justement ces deux visages d'un même écrivain sincère qui ont fait son triomphe. Barbara ne fabrique pas ses héroïnes comme des archétypes de la femme américaine, elle leur offre une existence complexe. Elle leur donne également un corps et des désirs qui s'expriment aussi bien dans une caresse envers un homme que dans une envie de marcher seule dans la montagne à la recherche d'animaux sauvages.
Christine Ferniot, Journal Lire, décembre 2002
Anecdotes :
  • «Lorsque je suis passée dans le show d'Oprah Winfrey, mes ventes ont dépassé le million d'exemplaires du jour au lendemain», raconte Barbara Kingsolver.
  • Avec une partie de l'argent de son dernier livre, elle crée un prix de 25 000 dollars qui est décerné à un écrivain non encore publié.

Je l'annonce d'emblée : Barbara Kingsolver est l'une de mes auteures préférées, l'une des écritures qui me touche le plus, par la simplicité qu'elle exprime, le retour aux vraies choses, par ses magnifiques portraits de femmes et ses descriptions de la nature américaine. Une écriture sincère et vraie, et donc, encore une fois, essentielle...

L'Arbre aux haricots
Éditions Rivages poche / Bibliothèque étrangère, 1997 (pour la version poche, 1985 pour la version originale, The Bean Trees), 340 pages.

L'Arbre aux haricots est l'histoire d'une quête, celle de Marietta (qui se rebaptise Taylor, voir l'extrait), à la recherche d'elle-même, entre son Kentucky natal, le désert de l'Arizona où elle aboutit et la réserve Cherokee d'Oklahoma.
Comme dans tous les romans de Barbara Kingsolver, Taylor est une femme forte, de caractère, attachante et volontaire. Elle n'est pas dénuée d'humour non plus.
Elle décide de quitter sa région («afin de ne pas devenir fermière ou femme de fermier»), et part à l'aventure dans sa vieille Coccinelle. Elle suit son instinct qui la guide vers l'Arizona. Mais auparavant, elle rencontrera Turtle, qui deviendra sa fille adoptive par la force des choses, et qui la transformera tout au long des 340 pages de ce roman.
Elle apprendra alors que, si elle ne peut pas détourner sa fille de son destin, elle a la possibilité de lui donner le meilleur d'elle-même.

Sur sa route, Taylor va croiser des personnes étonnantes, telles que Lou Ann, qui vient du Kentucky comme elle, Mattie, qui gère une sorte de garage automobile à Tucson, Estevan et Esperanza, deux réfugiés indiens. L'amitié qu'elle développera avec ces deux derniers et le dénouement de leur histoire commune permet à l'auteure d'aborder des thèmes qui lui sont chers, notamment des aspects de la politique d'immigration des États-Unis, ou du sort réservé aux populations autochtones Cherokee.

L'écriture inspirée de Barbara Kingsolver décrit merveilleusement bien les paysages sauvages de ces contrées des États-Unis, que ce soit l'aridité du désert de l'Arizona, le "vide" du Kentucky ou les montagnes de l'Oklahoma. Ce roman ressemble parfois à un long "road-trip", et l'on suit les personnages dans leurs aventures avec beaucoup d'émotions. L'énergie et la tendresse de Taylor font en sorte que tout ce qui nous apparaît comme horrible dans le livre se transforme en quelque chose de beau : l'apprentissage de la vie, douloureux parfois, devient alors une merveilleuse aventure pleine d'humour. Cependant, tout n'est pas rose non plus sous la plume de Barbara Kingsolver. Nous en apprenons beaucoup sur l'histoire et les conditions de vie des Cherokees (surtout dans la suite de L'Arbre aux haricots, Les cochons au paradis), et l'auteure dénonce les injustices de notre monde avec beaucoup de sensibilité.

Les cochons au paradis
Éditions Rivages poche / Bibliothèque étrangère, 1998 (pour l'édition poche en français, 1993 pour l'édition originale, Pigs in Heaven), 449 pages.

Quel drôle de titre ! Il fait référence à une légende Cherokee.
Car dans cette suite des aventures de Taylor et Turtle, nous découvrons surtout les origines de la petite Turtle, à travers le combat de Taylor pour la garder.
La suite de L'Arbre aux haricots continue l'histoire dans la même veine. Le voyage se poursuit cette fois-ci jusqu'en Californie, et la mère de Taylor, Alice, prend ici une place très importante. Les rencontres que feront nos trois protagonistes seront encore plus étonnantes (notamment cette femme qui se fait appeler Barbie, le nom de son idole ! Ou Jax, l'ami de Taylor, un musicien désinvolte et touchant) et les amèneront à vivre des situations toutes plus difficiles les unes que les autres, jusqu'au dénouement final.

Nos sentiments évoluent beaucoup durant la lecture de ce livre. Au début, on a envie de crier à l'injustice, et au fur et à mesure, nous comprenons mieux les tenants et les aboutissants de cette lutte que va livrer Annawake, la belle Cherokee, pour obtenir la garde de Turtle. Ce sont deux mondes qui s'opposent, essayent de se comprendre, de vivre ensemble. Ça nous parle de famille, de solidarité. C'est beau et ça s'avale tout seul.

En écrivant ce texte, j'écoute : Cat Power ~ You are free (2003)