27 décembre 2012

En souvenir d'André

En souvenir d'André, de Martin Winckler, Éditions P.O.L., 2012

Pour vous parler du dernier roman de Martin Winckler, nous pouvons revenir sur cette causerie qui s'est tenue à la librairie Olivieri, en novembre dernier. Nous pouvons d'ailleurs la réécouter en intégralité sur le site de Radio Spirale.

Lors de cette causerie, Martin Winckler, en plus de nous parler du processus d'écriture de son livre, nous a livré sa vision très personnelle de la médecine, de l'accompagnement, des relations humaines. Cette vision plus sensible, qu'il met de l'avant dans chacun de ses livres, à commencer par La maladie de Sachs, publié en 1998, est d'ailleurs devenue un modèle pour plusieurs jeunes médecins aujourd'hui, ou du moins une référence. C'est encourageant.

Chez Martin Winckler (Marc Zaffran de son vrai nom), l'écriture et la médecine sont intimement liés. En tant que médecin, il a toujours beaucoup écrit, à la fois pour se libérer des histoires parfois difficiles qu'il pouvait entendre, mais aussi pour témoigner.
Depuis qu'il vit au Québec, le médecin français s'est intéressé aux courants nord-américains de Narrative medecine. Plusieurs cours de maîtrise existent aux États-Unis (Université Columbia, Université Harvard, entre autres). Par ailleurs, le Québec compte son lot de médecins-écrivains, comme Jacques Ferron ou Jean Désy.
Actuellement, Martin Winckler termine une résidence d'écrivain à l'Université d'Ottawa, où il donnait également un cours de création littéraire. Il y a quelques temps, il a aussi enseigné l'éthique à l'Université de Montréal, et a été actif au CRÉUM (Centre de Recherche en Éthique de l'Université de Montréal).
Comme écrivain, il publie à la fois des histoires médicales, des polars et des essais sur les séries télévisées ! Homme éclectique et généreux, il nous a entretenu pendant plus d'une heure de la vie et de la mort. Car son dernier roman est un vibrant plaidoyer en faveur d'une législation sur la fin de vie et d'une légalisation du suicide assisté.

Il est difficile de parler de ces sujets pas très hop-la-vie et qui divisent énormément. Mais avec quelqu'un comme Martin Winckler, cela semble tout de suite plus simple et libérateur. Car il fait des détours par la parole et l'écoute indispensables à un accompagnement en fin de vie. D'ailleurs, dans les pays où l'euthanasie est légiférée (Pays-Bas, Luxembourg et Belgique : euthanasie active et deux états des États-Unis (Oregon et Washington) et Suisse : suicide assisté), l'auteur souligne que les personnes sont prises en charge, écoutées avant le passage à l'acte. Tout est tellement encadré que parfois, les personnes changent d'avis.
Finalement, un faible pourcentage de ces personnes ira jusqu'au bout.

Par contre, toutes ces personnes ont un point commun, et le roman En souvenir d'André aborde ce sujet avant tout autre : elles souffrent. Parce qu'elles ont mal, parce qu'elles ne peuvent l'exprimer. Parce que bien souvent, résoudre le problème de cette souffrance les ferait changer d'avis.
« Beaucoup avaient des douleurs qui n'avaient jamais été étiquetées, jamais été identifiées. Leurs médecins n'y pouvaient rien et leur avaient dit parfois que c'était dans leur tête.
On ne leur avait pas appris que dans la tête, il y a le cerveau; que la douleur, le cerveau la perçoit et, parfois, la produit. Quand les gens disent qu'ils ont mal, ils ont mal. Dire que c'est « dans la tête », c'est dire : « Vous avez mal parce que vous avez mal. » (p.41)
D'autre part, on pose souvent le sujet de l'euthanasie par le biais unique de la médecine et des médecins. Martin Winckler s'exprime ainsi dans une chronique (Odyssée) réalisée pour France Inter le 19 décembre 2002: « Et je me dis que si la question de l’euthanasie suscite des réactions aussi fortes c’est parce que, très souvent, et de manière assez absurde, on demande aux médecins de résoudre le problème. Mais les médecins ne deviennent pas soignants pour tuer des gens. L’idée qu’on vote une loi qui puisse implicitement ou explicitement faire d’eux des donneurs de mort les scandalise. Et comment ne pas le comprendre ? »

La liberté de faire des choix est accordée en tout sauf dans la mort, et marque aussi les différences sociales entre les gens, comme pour l’avortement il y a 50 ans par exemple.
Pour le suicide assisté, il y a eu le cas, en France, de Vincent Humbert, qui a inspiré la chronique à laquelle je fais référence plus haut. Un jeune homme, devenu tétraplégique suite à un accident, souhaite se donner la mort. Il ne peut le faire lui-même, on comprend pourquoi. Sa demande est refusée. Au même moment ou presque, la mère de l'ex-Premier ministre français Lionel Jospin, décide de mettre fin à ses jours.
« Mireille Jospin-Dandieu, sage-femme, veuve de Robert Jospin, membre du comité de parrainage de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), a décidé dans la sérénité de quitter la vie, à l'âge de 92 ans, le 6 décembre 2002 », est-il ainsi écrit dans l'avis de décès. (Libération du 9 décembre 2002)
Est-ce que les principes peuvent l’emporter sur la dignité ?
Pour l'auteur d'En souvenir d'André, « L’autorité morale supérieure des médecins est un mythe, ils n’ont pas à imposer leurs valeurs. »
« Certes on ne refusait jamais une ultime injection à un banquier qui se mourait d'un cancer généralisé. On ne refusait jamais des comprimés de morphine à la vieille mère d'un ministre. Mais si la demande venait d'un jeune tétraplégique anonyme assigné à survivre indéfiniment dans un poumon d'acier - et surtout, si cette demande était publique - il n'était pas question de l'entendre. Ce garçon était probablement dépressif. Ou manipulé par son entourage. Ou mal informé sur les multiples possibilités de survivre dans des conditions acceptables - voyez l'acteur adulé, le savant renommé qu'on montre en photo dans leur fauteuil électrique, qu'on entend parler de leur voix métallique à travers les écrans de leurs ordinateurs. Puisqu'ils vivent ainsi, c'est bien que c'est possible. Les voilà les modèles, les exemples à suivre.[...] La question est de savoir si je veux survivre comme ça! » (p.65)
Au Québec, les derniers débats sur le sujet démontrent l'intérêt du public pour ces questions et la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité en arrive aux conclusions qu'il faut légiférer sur le sujet.

Enfin, l'auteur traite de la transmission (au cœur de presque tous ses livres) et de ce que nous laissons quand nous mourrons, et ce, quelle que soit la façon dont nous mourrons. L'auteur, particulièrement préoccupé par cette question puisqu'il a lui-même des enfants, en revient donc à l'importance de l'écrit pour témoigner, pour laisser une trace, comme médecin, ou comme humain, tout simplement.

En souvenir d'André approche donc toutes ces thématiques par le témoignage d'un homme au seuil de sa propre mort, qui a longtemps travaillé dans une unité de traitement de la douleur, et qui va être amené à aider une personne à « partir ». D'autres suivront, « en souvenir d'André ». Le personnage agit d'abord dans l'ombre, puisque l'euthanasie était alors interdite.
Nous écoutons avec émotion toutes ces personnes nous raconter leurs histoires. Inutile d'en révéler davantage sur le livre car Martin Winckler amène aussi quelques rebondissements dans la vie de cet homme, des rencontres qui le marqueront plus que d'autres. L'évolution des mentalités se fait par la chronologie des événements. L'action présente de ce court roman se situe dans une époque permettant le suicide assisté.

Le format du livre permettra de rejoindre un plus grand nombre de lecteurs qui sauront reconnaître sous la plume de Winckler une réflexion fine, altruiste, essentielle en cette décennie qui permet tout et rien à la fois, qui plonge dans l'intimité de tous par le biais de Facebook, mais rechigne à écouter ceux qui ont des histoires de vie à raconter.

Le livre du jour, sur France Info, par Philippe Vallet
La critique de Télérama, par Christine Ferniot
Un article du New York Times (en anglais) sur la Narrative Medicine
La critique de Nathalie Petrowski dans La Presse, permettant d'en apprendre davantage sur l'une des sources d'inspiration de Martin Winckler, les travaux de Philippe Lejeune sur l'autobiographie et le journal intime

Lætitia Le Clech

Humeur musicale : Patrick Watson, Adventures in Your Own Backyard (Secret City Records, 2012)

29 novembre 2012

Artéfact

Artéfact, Carl Leblanc, Éditions XYZ, 2012

Le point de départ d'Artéfact est ce petit cœur en tissu exposé au Centre commémoratif de l'Holocauste de Montréal, carte de souhaits confectionnée par des détenues d'Auschwitz travaillant à l'usine de munitions Union. Un «crime pour l'humanité», au péril de leurs vies afin de souhaiter un bon anniversaire à l'une d'entre elles. Douze femmes qui ont signé de leurs noms les fragiles pages de cet objet-espoir, cette bouée surgie des abîmes d'Auschwitz.
« Il se pencha pour observer le carnet. Offrir des vœux alors qu'on est prisonnier dans un camp de concentration? Il s'appliqua à imaginer ce qu'il avait fallu de détermination pour le confectionner. Dans cet empire du chiffre que fut Auschwitz, l'artéfact disait la revanche des mots et, bien sûr, était-on tenté d'ajouter, de l'humain. Car enfin, si même à Auschwitz, des femmes, sur les bras desquelles on avait tatoué un numéro, avaient pris cette peine de..., on pouvait se dire que, peut-être, après tout, si l'animal devait l'emporter sur l'homme, ce serait fait depuis longtemps. » (p.13)
Carl Leblanc, journaliste et documentariste, a découvert cet artéfact stupéfiant en visitant le Centre commémoratif de l'Holocauste en 1998, et il a par la suite réalisé un documentaire très touchant sur le sujet en 2010, Le coeur d'Auschwitz (Productions Ad Hoc), après plusieurs années de recherches et d'attente de financement. Pour patienter, il a inventé cette histoire et écrit le premier jet d'Artéfact. Puis le financement pour le documentaire est arrivé et le roman a été mis sur la glace. Après la sortie du documentaire, qui le laisse insatisfait, Carl Leblanc se remet à l'écriture pour nous livrer la version définitive d'Artéfact. La comparaison entre les deux œuvres est inévitable, malgré la différence de support et de point de vue, car elles sont fortement complémentaires (et entraîneront possiblement l'envie d'aller visiter le Centre commémoratif de l'Holocauste de Montréal).

L'auteur tente dans ce roman de comprendre l'impossible : comment ces femmes ont réussi à déjouer la terreur nazie, comment ont-elles eu le courage de fabriquer cet objet alors qu'elles connaissaient les conséquences de sa probable découverte? Contre toute attente, l'objet a survécu au camp de concentration d'Auschwitz, contrairement à bien des détenus, et grâce à lui, un nouveau témoignage tout droit sorti de l'enfer de la Shoah nous est dévoilé.
Cet objet autorise aussi le questionnement sur la façon dont elles se sont tirées de cet enfer pour vivre elles aussi encore 1, 10, 20, 40 ans, dans une liberté que l'on sait si fragile après une telle épreuve...
La fiction nous fait réfléchir sur des aspects ou des thèmes que le documentaire, par les images qui nous sont imposées, ne permet pas. Par l'écrit, Carl Leblanc imagine les vies de ces femmes et nous rend témoin de scènes déchirantes telles que le mariage de la fille d'une des rescapées d'Auschwitz :
« Sophie, ta grand-mère s'est mariée au même âge que toi. Et lorsqu'elle avait mon âge, je l'ai vue partir en fumée. Elle a beau ne plus être là, la vie a beau vouloir nous faire croire qu'elle n'a jamais existé, je veux que l'on sache que c'est la petite-fille de Halina Tannenbaum qui se marie cet après-midi à l'ombre du soleil provençal. C'est sa petite-fille qui est joyeuse, c'est elle qui va avoir de beaux enfants. Halina aurait quatre-vingts ans et elle serait folle de toi...comme nous sommes tous fous de toi. Paul Rabatier, prends soin de Sophie, qu'elle soit aimée, car elle vient de loin, elle vient de moi, elle vient de nous, elle est celle que j'aime, ma petite fille, ma Sophie. » (p.76) 
Carl Leblanc a voulu « inventer une histoire qui soit plus près de la condition humaine, plus près du tragique de la vie et qui rende mieux la complexité potentielle des vies et notre rapport au passé. Comment porte-t-on un passé en nous des années plus tard? Le journaliste (François Bélanger) dans le roman incarne le rapport d'un étranger à cette histoire.» (entrevue à Radio-Canada, 19 novembre 2012)

Le travail acharné de Carl Leblanc, dans son documentaire, pour retrouver les différentes actrices de cet événement lumineux, à travers une période de l'histoire si glauque, semble plus simple lorsque son personnage journaliste François Bélanger s'y colle dans le roman.
Cela nous permet de nous concentrer sur ces femmes. On retrouve cependant dans les deux réalisations (romanesque et documentaire) les mêmes démarches (Yad Vashem, le centre mondial pour la recherche sur l'Holocauste, Musée national de l'Holocauste des États-Unis de Washington) que Carl Leblanc et son alter-ego entreprennent.
Dans Artéfact, François Bélanger engage ces recherches parallèlement à son enquête sur un criminel de guerre ayant participé au démantèlement d'un ghetto juif, et qui a par la suite immigré et vécu au Canada sous un faux nom, en toute impunité. Côtoyant peut-être certaines de ses victimes, réfugiées elles aussi au pays après avoir fui une Europe dans laquelle il était devenu insupportable de vivre. Ses deux enquêtes se superposent dans les faits et dans les émotions que peut ressentir le journaliste.
La présence des bourreaux et des victimes dans un même lieu, à des kilomètres de l'origine de leur conflit, n'est-elle pas fréquente dans l'histoire? Il n'y a qu'à penser, à Montréal, aux Haïtiens qui ont fui la dictature de Duvalier ou encore aux Rwandais qui se sont enfuis après le génocide de 1994.
Le roman nous transporte d'un point A à un point B, passant d'une époque à l'autre, nous laissant entrevoir les 60 ans d'histoire qui ont suivis la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah. Il nous offre une réflexion plus poussée, plus engagée et plus détaillée que le documentaire, qui, lui, part du point A (le cœur) et développe le point B (les recherches pour retrouver les protagonistes de cette histoire).
C'est là que la fiction dépasse la réalité.

Carl Leblanc est aussi l'auteur du récit Le personnage secondaire, sur la prise d'otage de James Cross, le 5 octobre 1970. Il utilise dans ce livre le même processus que pour Artéfact, écrit comme un roman, mais basé sur une histoire vraie qui, sous sa plume, sera romancée afin de se mettre au service de la mémoire de l'humanité.
Il est difficile d'écrire sur un roman aussi riche qu'Artéfact (et pourtant seulement 155 pages) et sur la démarche de Carl Leblanc, qui, en nous offrant à la fois un roman et un documentaire sur l'Holocauste, joue son vrai rôle de documentariste et réalise lui aussi un véritable travail pour l'humanité. Essentiel et bouleversant.

Écoutez l'entrevue passionnante de Carl Leblanc à l'émission Plus on est de fous, plus on lit. (qui rend ma chronique bien superficielle)
Le centre commémoratif de l'Holocauste à Montréal
L'article de Marie-Christine Blais dans La Presse

Lætitia Le Clech

Humeur musicale : Salomé Leclerc, Sous les arbres (Audiogram, 2011)

24 novembre 2012

Le syndrome de la vis

Le syndrome de la vis, Marie-Renée Lavoie, Éditions XYZ, 2012

Le deuxième roman de Marie-Renée Lavoie, très attendu, n'échappera pas à la comparaison avec La petite et le vieux, sorti en 2010, même s'il aborde des thèmes différents. 
« "Pour le second, je prévois me faire ramasser, car je sais qu’on m’attend!" lance Lavoie en riant » (Journal Voir, 15 novembre 2012, article de Julie Ledoux).
Josée, professeure de littérature au cégep, souffre d'insomnie chronique. Un jour, poussée à bout par l'un de ses élèves, elle décide de s'éloigner quelques jours de son travail. Se rapprocher de sa famille, et notamment de son frère Paul et de son père décédé avec qui elle a cependant de longues discussions, et de ses voisins d'immeuble, dont le petit Joseph, lui permettra de retrouver un semblant d'équilibre, fragile fragile, et lui donnera le courage de se réaliser.
«Les gens qui dorment voient ce problème de façon très simple, ils te donnent plein de conseils, prendre des oméga-3, des tisanes, mais c'est une mécanique particulière du cerveau.» (entrevue avec Chantal Guy, La Presse, 2 novembre 2012)
L'une des forces de Marie-Renée Lavoie, originaire de Québec et qui enseigne aujourd'hui la littérature au collège de Maisonneuve, réside dans ses inventions langagières (« un soir de coude léger », p.201, «En fait, je ne dors pas assez depuis trop longtemps pour me permettre une telle promiscuité avec le genre humain, pour endurer le contact avec tous ses tousseurs, renifleurs, ricaneurs, pousseurs, celluleurs, pueurs, qui sont comme autant d'ongles bien aiguisés déchirant l'ardoise de mes nerfs.» p.20), nombreuses, et dans la chaleur humaine qui ressort de son écriture.
Ce dernier point était très remarquable dans La petite et le vieux (ça y est, zut, les comparaisons qui commencent!), nous arrachant des larmes, ça reste moins abouti dans Le syndrome de la vis, mais toujours très présent.
L'auteure excelle dans ses évocations de l'enfance, sans trop appuyer sur le piton "nostalgie", avec beaucoup de finesse. Tout cela est incarné dans le personnage de Joseph, en particulier.
Il n'est pas sans nous rappeler le personnage de la petite Hélène, du roman La petite et le vieux. Comme elle, il distribue les journaux le matin. Comme elle, il s'attache à des adultes. Comme elle, il est un peu différent. Josée représente pour Joseph une sorte de mère de substitution, qui permet à l'auteure d'évoquer le thème du deuil, qu'elle aborde déjà par la relation symbolique entre Josée et le fantôme de son père.
De la même manière, les scènes familiales chez son frère, style famille nombreuse, nous font souvent sourire par leur fluidité et leur humour. Le langage, alors plus familier, nous rapproche du monde des enfants.
« Il s'en fout, de savoir que je n'en ai pas plus que lui, des cossins de Star Wars, ça ne change rien au fait que lui, Lui, il n'en a pas. C'est d'ailleurs un regard plein de fatalité qu'il me jette avant d'aller évacuer sa peine sous sa couette à cinq cent dollars, anéanti par la pinjustice sociale [vient de l'expression bien connue : «C'est pinjuste!»] qui le tient bien loin du bonheur que lui procurerait un Darth Vader en plastique avec une épée fluo. » (p.130)
Soulignons également les descriptions des lieux, très évocatrices, la ville de Québec ou le fleuve devenant des personnages à part entière sous la plume de Marie-Renée Lavoie. 

Quant au principal problème de Josée, l'insomnie, décrit avec beaucoup de réalisme par l'auteure, et pour cause, Marie-Renée Lavoie étant insomniaque elle-même depuis toute petite, il nous apparaît comme sans fin.
« J'ai dans la tête une vis sans fin qui ne me laisse tranquille qu'une fois mes idées, mes peurs, mes souvenirs hachés menu, désubstantialisés par les engrenages qu'elle met en marche. Elle tord mes pensées jusqu'à plus sec, jusqu'à la fragmentation des images qui les constituent en molécules de rien. Je ne peux rien contre elle, c'est mon ennemi intérieur. » (p.15)
L'insomnie chronique dont souffre Josée dans le roman l'amène à des situations de fatigue extrême, des absences à répétition, une perte de contrôle totale de sa vie. Tout au long du roman, on la sent qui s'enlise petit à petit dans ce mal qui la ronge et que, surtout, personne ne comprend. De sa relation amoureuse avec Philippe qui se délite rapidement à son incapacité à demander médicaments ou congé maladie à son frère médecin, Josée s'isole dans son mal, et seule sa mère sait comment l'aider un peu, à sa manière.

Le seul moyen de s'en sortir, c'est de transformer cette incapacité à dormir en force créatrice, et c'est ce que Josée parviendra à faire dans un épilogue digne d'un film romantique (mais sans le mariage et les enfants) qui nous rappelle qu'on se trouve dans un roman. Dans la réalité, c'est peut-être un peu plus compliqué.

L'article de Chantal Guy dans La Presse

Lætitia Le Clech

Humeur musicale : Sagot, Piano mal (Simone Records, 2012)

03 novembre 2012

Les lisières

Les lisières, Olivier Adam, Éditions Flammarion, 2012

Les lecteurs de ce blogue le savent bien : Olivier Adam figure souvent en tête de liste de mes auteurs favoris.
Né en 1974, l'écrivain, également scénariste, a d'ailleurs souvent charmé ses lecteurs avec des titres comme Le cœur régulier, Des vents contraires, Je vais bien, ne t'en fais pas, ou encore par ses nombreuses oeuvres jeunesse. Plusieurs de ses romans ont été adaptés au cinéma.

Dans Les lisières, Olivier Adam nous offre tout à fait autre chose. Nous sommes dans l'autobiographie, tant la vie de Paul, personnage central de ce roman, se calque sur celle d'Olivier Adam. Ou en bordure de l'autobiographie, pour plagier le titre. Nous sommes sans cesse en périphérie de quelque chose, dans ce roman. Au seuil d'un chef-d’œuvre, peut-être. Mais trop d'éléments agacent pour en faire un roman parfait. 
En tout cas, Paul Steiner, lui, est en marge de sa propre vie. Rejeté par sa femme, éloigné de ses enfants, qu'il ne voit plus assez, il dérive, proche de la folie, proche de la dépression («la Maladie»). Il retourne à V., la ville où il a grandi, où ses parents vivent encore dans le petit pavillon qu'ils ont acquis à la sueur de leurs fronts, pour s'occuper de son père durant l'hospitalisation de sa mère.
Paul se sent extérieur à tout, à sa famille, à ses origines. Il revoit des amis d'enfance qu'il a laissés sans nouvelles depuis 25 ans, et particulièrement Sophie, de qui il était amoureux.
Et puis voilà, on se dit que tout cela est un peu convenu, que ça n'apporte pas grand chose de nouveau, que le style est trop appuyé ou répétitif, maniéré parfois. Mais l'auteur gratte dans tous les recoins de sa psyché (et de la nôtre), et de surprise en surprise, il nous amène toujours ailleurs au moment même où nous avions cette lassitude qui pointait.
 «Je suis arrivé à V. à deux doigts du sommeil. J'avais quitté l'autoroute les yeux mi-clos, dans le flou défilaient des entrepôts, des rangées d'immeubles HLM séparés par des pelouses rases et mitées, des alignements d'enseignes et de cubes en tôle, des nuées de panneaux d'affichage et de feux rouges. Puis j'avais traversé le fleuve. Sur la gauche, les arbres camouflaient les usines, filaient vers la campagne qui gagnait peu à peu pour s'épanouir, insoupçonnable, à trente kilomètres de là, en un désert  de colza, de blé, de maïs et de pommes de terre. De l'autre côté, c'étaient l'hôpital et la casse automobile, les zones industrielles, les supermarchés, les parkings, les nationales, les voies ferrées, les habitations verticales, milliers de fenêtres allumées dans le matin, de gosses s'habillant et croulant sous leur cartable, d'hommes et de femmes aux yeux gonflés s'apprêtant à courir vers la gare de RER, à s'engouffrer dans leur voiture pour gagner leur bureau, leur atelier, leur boutique, leur école, leur cabinet, Pôle Emploi.» (p.39)
Olivier Adam établit une géographie physique et mentale du parcours de son personnage (et nous offre au passage un beau cours de géographie de la France, comme l'extrait ci-dessus le montre), qui l'a amené de V. à Paris, puis au fin fond de la Bretagne, pour revenir à V. pour quelques temps. Son état moral, en dent de scie lui aussi, se révèle de moins en moins maîtrisé au fur et à mesure des découvertes qu'il fera sur lui-même.
Sa réflexion ira autant dans les sphères politiques que sociales, surtout sociales, lui qui a si bien réussi, alors que ses amis d'enfance galèrent. Pourtant tous issus du même milieu, avons-nous les mêmes chances de réussir dans la vie?

L'écriture était censée le sauver de sa dépression mais il se rend compte qu'il ne fait que tourner autour de sa maladie et que les mots ne peuvent parfois rien changer.
Un retour au Japon, pays qu'il chérit, peu de temps après le terrible séisme de mars 2011 (le tremblement de terre comme miroir de l'effondrement de sa vie), lui donnerait-il l'espoir de tout recommencer à zéro? Ou ne s'agirait-il pas plutôt d'une nouvelle fuite?
«Elle sait que j'y ai trouvé un refuge, un abri. Sans doute temporaire. Sans doute autant que le précédent. Mais j'aime à croire qu'en mettant des milliers de kilomètres entre elle et moi, en partant à l'autre bout du monde, j'ai semé la Maladie pour un bout de temps. J'aime aussi à croire qu'ici quelque chose m'en protège. Qu'elle ne viendra pas jusque là, qu'elle n'osera pas. Je ne sais pas. Un écran. Les océans. Les esprits.» (p.443)
La critique de François Busnel dans L'Express
La critique de Macha Séry dans le journal Le Monde

Lætitia Le Clech

Humeur musicale : Sophie Hunger, The Danger of Light (Two Gentlemen / Rough Trade, 2012) 

22 octobre 2012

Rue des voleurs

Rue des voleurs, Mathias Énard, Éditions Actes Sud / Leméac, 2012

Ça ne s’invente pas, à Barcelone, dans le quartier Raval, la Carrer d’En Robadors (rue des voleurs) existe vraiment.
C’est là qu’atterrit Lakhdar, jeune Marocain de Tanger, après de nombreuses péripéties entre le Maroc et l’Espagne. On est loin de Gaudi et de la Sagrada Familia, et plus près du Barcelone de Biutiful, ce film d’Alejandro González Innáritu avec Javier Bardem. La Barcelone des réfugiés, des clandestins, des junkies et des voleurs. La Barcelone de la misère humaine, carrefour de plusieurs continents. 
La misère humaine qui ne connaît pas de frontière.

La suite ici... 
 

26 septembre 2012

Concert littéraire de Thomas Hellman

La bibliothèque idéale en lectures et chansons - Lion d'Or - 25 septembre 2012

Le poète est un sismographe qui enregistre les tremblements d’être.
Roland Giguère

Thomas Hellman est de ceux que nous aimons écouter, pour sa sensibilité et son amour des mots, et que nous aimons entendre, pour sa voix envoûtante et ses lectures sublimes.

Hier soir au Lion d’Or, il nous a présenté ses lectures, celles qui « font de la musique quand il les lit », comme il se plaît à nous le dire. Des textes d’auteurs qu’il aime particulièrement, Samuel Archibald, jeune auteur qui nous a offert Arvida en 2011, Allen Ginsberg, Eduardo Galeano (un auteur uruguayen), Patrice Desbiens, qu’Hellman vénère presque et diffuse depuis plusieurs années déjà et enfin, Roland Giguère, poète québécois et son plus récent coup de cœur. Cette affection s’est révélée rapidement fertile, car Thomas Hellman nous a révélé qu’en lisant les poèmes de Giguère, à chaque page, une mélodie lui venait.

La suite ici

14 septembre 2012

D'une guerre à l'autre (suite)

Opération mort, Shigeru Mizuki, Éditions Cornélius, collection Pierre, 2008

Pour ceux qui avaient besoin d'être convaincus de l'horreur de la guerre, et afin de poursuivre notre exploration du thème dans la bande dessinée, voici Opération mort, du mangaka japonais Shigeru Mizuki, récit à 90% autobiographique, relatant la vie de tous les jours de soldats nippons envoyés sur une île du Pacifique, proche de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, pour se battre contre les Américains lors de la Seconde Guerre mondiale, en 1943 exactement (guerre du Pacifique). Celle-ci est rarement étudiée, en Europe ou en Amérique, d'un point de vue japonais.
Le récit nous est présenté sous la forme d'un manga classique, lecture de la fin vers le début, de droite à gauche. Les amateurs de mangas seront heureux, pour les autres, cela prendra quelques pages pour s'habituer. Mais cela nous plonge directement dans l'univers japonais. De plus en plus d'éditeurs de mangas procèdent de cette façon en Europe, ce qui permet de se familiariser avec d'autres façons de faire, d'autres cultures.
Certaines onomatopées ont également été conservées en langue originale, et traduites sous les cases, l'éditeur nous en avertit dès le début.
Tous les dessins qui représentent des scènes de guerre (arsenal de guerre, soldats au combat, morts) sont d'un réalisme époustouflant et nous rappelle que ces épisodes ont réellement eu lieu.
Les scènes du quotidien des soldats, plus légères, parfois drôles, illustrent toujours la vacuité du quotidien des soldats et la banalisation d'une certaine violence physique ou psychologique découlant de la mentalité japonaise quant à l'honneur, l'obéissance et l'ordre.

Mizuki se dit avant tout spécialiste des monstres et des esprits, et il a réalisé de nombreux mangas dans ce genre, dont le plus célèbre, NonNonBâ, publié en 2006 par les mêmes éditions Cornélius, a reçu le prix du meilleur album à Angoulême en 2007. Ce manga, ainsi que de nombreux autres créés par Mizuki, est peuplé de yôkaï, créatures surnaturelles nippones, de monstres et de lutins, et d'histoires fantastiques liées aux croyances populaires et aux légendes japonaises.
Dans Opération mort, pas de légendes ni d'histoires fantastiques, nous sommes bien dans le réel. Cependant, des monstres, il y en a, des vrais...Caporal-chef suicidaires et sanguinaires, soldats perdus, victimes de la malaria qui perdent la tête.
Le titre original d'Opération mort est Soin gyokusai seyo, et, comme nous l'explique un texte très éclairant en début d'ouvrage, le mot Gyokusai, constitué des deux idéogrammes gyoku et sai, qu'on peut traduire par «trésors» (qui désigne ici l'Empereur - donc le Japon) et «briser tout» (autrement dit «anéantir la vie de tous»), peut donc signifier «se suicider collectivement pour rendre leur honneur à l'Empereur et au pays».
Les personnages décrits par Mizuki obéissent à une stratégie de l'état-major japonais qui s'appuie sur la mythologie shintoïste, qui nourrissait la conviction que le Japon était un pays divin et que la défaite était par conséquent exclue.

On comprend donc bien que l'ouvrage de Mizuki relate une mission suicide commandée par le chef du bataillon que nous suivons durant toute la BD. Cependant, il faudra attendre la page 228 pour entendre parler de cette «opération mort». Avant cela, nous suivons plutôt le quotidien de ces soldats qui ne savent pas vraiment pourquoi ils sont là et qui semblent même ne pas connaître leurs adversaires. Ils doivent aussi apprendre à survivre dans une jungle peu clémente avec eux. De nombreux soldats y laisseront leur peau, vaincus par la malaria.

Mizuki, qui est aujourd'hui âgé de 90 ans, a vécu cette guerre et cette bataille du Pacifique, que le Japon a durement perdue, laissant le pays dans la honte, le désespoir et le vide spirituel. 
Mizuki, qui a d'ailleurs perdu son bras gauche dans une bataille (alors qu'il était gaucher, il a dû réapprendre à dessiner avec son bras droit), s'est fait dès les années 60 porte-parole d'un antimilitarisme marqué dans ses mangas (Hai no ki - Journal de fuite).
L'auteur explique sa vision des opérations suicides menées par l'état-major japonais : « Selon moi, le fait d’avoir survécu à une «opération mort» n’est en aucun cas une preuve de lâcheté, comme on le pensait à l’époque, mais au contraire un ultime sursaut de résistance comme l’être humain est capable d’en avoir. Rappelons que dans la hiérarchie militaire, un simple soldat était moins important qu’un cheval ; seuls les officiers et sous-officiers étaient placés au-dessus de cet animal. »
Dans l'ouvrage Opération mort, nous découvrons avec stupeur que des soldats ayant échappé à la mort dans une opération suicide sont poussés à se sacrifier pour l'honneur du Japon. Il est inconcevable qu'ils rentrent chez eux sains et saufs.

Un témoignage choc sur une période sombre de l'histoire contemporaine, et une culture nippone finalement peu connue du monde occidental, en dehors des clichés traditionnels.


[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : The XX, Coexist (Young Turks, 2012)

11 septembre 2012

D'une guerre à l'autre

Vietnamerica, Le parcours d'une famille, GB Tran, Steinkis éditions, 2011

Œuvre ambitieuse présentant quelques vignettes de génie, Vietnamerica a les défauts de ses qualités. L'auteur a voulu présenter un pan de l'histoire du Vietnam à travers la trajectoire de sa famille qui a fui le pays pour les états-Unis, en 1975, peu avant la fin de la guerre. La situation au Vietnam étant très complexe, l'auteur se devait de sélectionner les moments clés de cette Histoire et de ces histoires qu'il n'a lui-même pas vécues, étant né aux États-Unis juste après l'immigration de sa famille. Or, les différents témoignages, loin d'être inintéressants, se chevauchent avec peu de transitions explicatives, rendant le récit difficile à suivre par moments.

La lecture est d'autant plus fastidieuse qu'au point de vue graphique, l'auteur a choisi d'utiliser plusieurs couleurs, qui se succèdent, symbolisant les différentes époques, les différentes émotions, les différents personnages... Les cases ne s'enchaînent pas toujours de manière instinctive, écartelées entre la page de gauche et celle de droite.
Visuellement, cela reste magnifique. Mais ça demeure également très confus parfois.

Ceci dit, nous suivons l'évolution émotive et mentale de GB Tran relativement à ses racines, qu'il renie au départ pour finalement s'y intéresser et décider d'en faire cet album.
Les remerciements à la fin de l'ouvrage ne laissent aucun doute sur son implication dans ce travail de mémoire.
«Faire ce livre m'a brisé le cœur... Ma plus profonde gratitude va à Stephanie qui a su le panser.»
À la lecture de ce roman graphique, on ne doute pas un instant que ces destins tragiques, ces familles brisées par la guerre et la prise de conscience du passé de sa famille ont dû toucher l'auteur, comme ils touchent malgré tout le lecteur.



Les cahiers russes [La guerre oubliée du Caucase], Un récit-témoignage d'Igort, Éditions Futuropolis, 2011
Prix de la Mémoire du Holodomor 2011, Paris
Livre de l'année au festival de Treviso, 2011
Prix spécial du Jury au festival de Naples, 2011

On parle peu de la Russie et de la Tchétchénie en Amérique du Nord. Pourtant, la réalité sur le terrain, très complexe, montre encore une fois la monstruosité de la guerre et la violence qui peut habiter les hommes quand il s'agit de défendre des idéaux de façon extrême, ou bien quand un peuple humilié décide de prendre son destin en main quelqu'en soit le coût.
Déjà auteur des Cahiers ukrainiens, Igort est un amoureux de la culture slave.

Le roman graphique Les Cahiers russes s'inspire de la journaliste Anna Politkovskaïa, qui a été assassinée le 7 octobre 2006 parce qu'elle dénonçait les abus du gouvernement russe. 
Dans ce récit coup de poing, où le texte occupe une place importante, aucun détail terrifiant ne nous est épargné, depuis le modus operandi de l'assassinat de la journaliste jusqu'aux atrocités subies par les Tchétchènes dans les salles de torture. Mais aussi, l'horreur psychologique vécue par certains soldats russes à qui l'on demande de commettre l'irréparable et qui ne se remettront jamais de ce qu'ils ont dû faire, et surtout du fait qu'ils ont été considérés comme des héros par la nation russe pour ces actes. Cette situation fait écho à certains témoignages de la guerre en ex-Yougoslavie et à d'autres récits de guerre qui sont trop souvent tus parce qu'ils ne cadrent pas avec la simplicité manichéenne des bons face aux méchants qui se battent entre eux.

Les Cahiers russes, en plus d'évoquer un conflit peu médiatisé, excepté lors des drames du théâtre Doubrovka (du 23 au 26 octobre 2002, un commando tchétchène a pris en otage les spectateurs du théâtre Doubrovka, à Moscou, environ 1000 personnes. L'opération s'est soldée par 129 morts parmi les otages et 39 terroristes tués) ou de la prise d'otages de l'école de Beslan entre le 1er et le 3 septembre 2004 (1200 otages - adultes et enfants - pris en otage par un commando tchétchène - plus de 300 morts après l'intervention d'une unité spéciale russe), nous en apprend un peu plus sur les revendications du peuple tchétchène et son histoire. La journaliste Anna Politkovskaïa a servi de médiateur dans l'affaire du théâtre (à la demande du commando tchétchène). Quant à la prise d'otage de Beslan, elle a été empoisonnée dans l'avion qui la menait à Beslan, avec comme conséquence l'impossibilité de se rendre jusqu'au lieu du drame.
Roman graphique pédagogique, Les Cahiers russes se veut « une plongée dans une Russie marquée par de multiples violences [et qui] témoigne du courage de celles et ceux qui résistent pour défendre l'état de droit et renforcer la société civile. »
Il nous laisse un goût amer d'injustice et d'incompréhension.

Un article du Point
Le site de l'auteur


[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Dead Can Dance, Anastasis (PIAS, 2012)

24 août 2012

Programmation du Festival international de la littérature


Le Festival international de la littérature, du 21 au 29 septembre 2012

Amoureux des mots, voici un festival pour vous. Le Festival International de la littérature, FIL pour les intimes, se déroulera du 21 au 29 septembre dans différents lieux de Montréal.

Mercredi matin avait lieu le lancement de ce festival, au Lion d’Or, et nous avons eu un bel aperçu de la programmation et des différents protagonistes du festival. Plusieurs prestations musicales (Tristan Malavoy-Racine, Thomas Hellman), ainsi que des lectures (Michel Vézina et Joséphine Bacon entre autres) et des vidéos (Jean-Louis Trintignant entre autres) nous ont permis d’imaginer ce que sera le festival.

La suite ici...

22 août 2012

Quand les guêpes se taisent


Quand les guêpes se taisent, de Stéphanie Pelletier, Éditions Leméac, 2012, 118 pages

Jeune auteure originaire du Bas Saint-Laurent, où elle vit de nouveau depuis 2006, Stéphanie Pelletier a publié quelques nouvelles dans les revues Moebius, Caractère et dans la revue littéraire de l’Université du Québec à Rimouski.
Elle évoque cette expérience dans le récit Trois sous et une étincelle, dernière nouvelle de son premier recueil à elle, publié ces jours-ci chez Leméac.  La narratrice, en parlant de son ami trop tôt décédé, se remémore lorsqu’ils s’étaient rendus ensemble au lancement de la revue littéraire à laquelle ils avaient collaboré.

La suite ici...

Humeur musicale : Dominique A, Par les lueurs (Vers les lueurs, Cinq 7, 2012)

03 août 2012

République, un abécédaire populaire

À voir, plusieurs fois s'il le faut, pour l'urgence, pour l'inspiration, pour ces hommes et ces femmes et leurs grandes et belles idées.
Il repasse le samedi 25 août au parc de Normanville, à Montréal, dans le cadre du cinéma sous les étoiles.

01 août 2012

Des lectures d'été

Sur les sites Internet de nombreux médias tels que La Presse, ainsi que sur Zone d'écriture, le site littéraire de Radio-Canada, l'heure est aux
« lectures d'été ».
Personnellement, mes lectures d'été ne sont pas différentes de mes lectures d'hiver et j'ai un peu de misère à approuver les raisons de l'existence des lectures d'été...
Je comprends bien : plus de temps, plus de légèreté, plus plus plus...
Mais doit-on vraiment associer nos choix de lectures aux saisons? Un bon polar peut aussi se déguster en hiver et en devient d'ailleurs encore plus inquiétant... Des livres tels que Lignes de faille, de Nancy Huston, L'histoire de l'amour, de Nicole Krauss, Extrêmement fort et incroyablement près, de Jonathan Safran Foer et Les bienveillantes de Jonathan Littell, qui portent tous sur de difficiles thématiques reliées à la Seconde Guerre mondiale et l'Holocauste peuvent être lus sur une plage de République Dominicaine, non? Ne me dites pas non, je l'ai fait ;-)
[D'ailleurs, excepté pour le dernier qui m'a achevée sans que je l'ai achevé, les trois autres ont été mes trois livres préférés de cette année là (2007)]

Nos choix de lectures dépendent avant tout de notre état d'esprit. C'est sûr que pour la plupart d'entre nous, l'été correspond à une période plus calme, plus joyeuse, une période de repos et de vacances. Pourquoi ne pas entamer justement des livres plus difficiles, plus lourds peut-être, alors que notre esprit est plus éveillé? L'hiver, qui nous fatigue, nous rentre dedans, contre lequel nous nous battons sans cesse, devrait nous inciter à lire des livres plus légers et drôles.
Et pourquoi on ne parle jamais des « lectures d'hiver »?
Ce qui me semble le plus agaçant dans cette habitude de parler des lectures d'été chaque année, c'est de suivre une convention que presque personne ne remet en cause. Seul point positif : cette habitude permet aux gens de lire plus... Alors juste pour cela, cette convention a le droit (et le devoir?) d'exister.

Cela dit, je vous souhaite un bon été de lectures, quelles qu'elles soient!

Un article récent dans Le Monde essaie de comprendre les lectures (et lecteurs) d'été.

Et vous, avez-vous des lectures d'été? Que pensez-vous de cette "convention"? Lisez-vous plus en été?

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : la compilation numéro 26 de l'excellent site À découvrir absolument...


22 juillet 2012

Griffintown

Griffintown, Marie Hélène Poitras, Éditions Alto, 2012

Décidément à l'aise dans de nombreux styles (littérature jeunesse et adulte, critique musicale et littéraire), l'auteure Marie Hélène Poitras, également journaliste culturelle en musique et éditrice web de Zone d'écriture, de Radio-Canada, nous offre pour son troisième roman pour adultes un véritable western urbain.
Se servant de son expérience comme cochère à Montréal, l'auteure nous entraîne dans les écuries du quartier Griffintown, dans le sud-ouest de la ville. C'est là que John, Billy, Marie et d'autres vont se côtoyer, traînant leur passé dans leurs bottes...

Tout comme dans La mort de Mignonne et autres histoires, le précédent livre pour adultes de Marie Hélène Poitras (recueil de nouvelles), l'un des éléments frappants de Griffintown est l'inconditionnel amour de l'auteure pour les chevaux. Elle les comprend et les sublime.
Nous entrons, grâce à ce récit, dans un univers qui nous est totalement méconnu, et Marie Hélène Poitras nous en apprend beaucoup (l'école des cochers, le traitement réservé aux chevaux, la menace des constructions de luxe dans le quartier, la conduite d'une calèche), tout en gardant une vraie part de mystère qui s'accorde avec l'aspect "conte urbain" de ce livre.
Le récit, construit comme une enquête (on cherche à savoir qui a tué Paul), avec ses multiples protagonistes, utilise Marie comme fil conducteur, « pied-tendre » s'intégrant dans ce milieu difficile.
Avec une toile de fond un peu plus classique (deux êtres que tout sépare vont se rencontrer), Griffintown nous ouvre un nouveau monde, poétique et dur à la fois, peuplé de personnages hauts en couleur, de détails recherchés et de passages très évocateurs.
Tout cela en fait incontestablement l'une des grandes réussites littéraires de l'année au Québec.
Angle Murray et Ottawa, dans l'ancien Horse Palace de Leo Leonard, là où paissaient d'autres chevaux de trait jusqu'à tout récemment, une petite boule de feuillage a pris forme autour d'une racine de trèfle exhumée. En roulant ainsi ballottée, elle a fini par accrocher ce qui traînait autour de léger et de friable : brins d'une vieille herbe jaunie, boutons de fleurs séchées, cheveux blancs et crins fourchus, de la corne réduite en poudre et même un peu de moelle, emmêlés au sable gris, aux racinettes de pissenlits, nervures de feuilles datant d'automnes révolus, germes de sainfoin, bouts de ficelle et de corde rêche, pollen et rouille effritée, duvet de moineau. La boule prend de l'expansion, de plus en plus bouffante et ventrue, virevolte sur l'asphalte en direction de le rue des Seigneurs, comme une petite âme en proie à l'affolement. (p.111)
La sublime couverture du livre, qui résume bien le contenu de ce roman, est réalisée par l'illustrateur montréalais Jason Cantoro (jetez un œil sur son site, ça vaut le coup).

La critique de Chantal Guy dans La Presse
L'article de Dominic Tardif dans le journal Voir
Un reportage sur Griffintown et sur les écuries dans Mange ta ville
De nombreux blogues ont parlé de Griffintown, parmi eux, Ma mère était hipster

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Rome, Danger Mouse et Daniele Luppi (EMI, 2011). Cet album pourrait jouer en boucle durant toute la lecture de Griffintown! D'ailleurs, l'une des chansons de l'album s'intitule The Rose With the Broken Neck, la rose au cou cassé, qui est le surnom de Marie dans le livre...

19 juillet 2012

Elles ont fait l'Amérique

Elles ont fait l'Amérique, Tome 1, Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque, Éditions Lux, 2011

L'anthropologue québécois Serge Bouchard, qui anime depuis 2004 sur les ondes de Radio-Canada l'émission De remarquables oubliés, a décidé de rendre hommage sur papier à 15 femmes qui, par leurs destins extraordinaires, ont ajouté une pierre à l'édifice du Canada.
Exploratrices, voyageuses, journalistes, elles ont suivi leur mari ou décidé seules de leur destinée.
Toutes intéressantes, certaines passionnantes, elles nous permettent de découvrir certains aspects que les manuels d'histoire occultent trop souvent.
Comme par exemple cette dernière histoire, celle de Robertine Barry, féministe et première femme journaliste à être engagée au journal La Patrie par Honoré Beaugrand, fondateur dudit journal. Savez-vous que l'édifice de ce journal existe toujours, au 180, rue Sainte-Catherine Est? Il est en ce moment investi par un organisme visant à promouvoir l'art de rue. Allez y faire un tour!

Les vies de ces femmes sont racontées comme des épopées. Plusieurs thématiques surgissent de ces récits, notamment le fait français en Amérique du Nord.
Certaines histoires nous font voyager jusque dans l'Ouest américain où ces exploratrices multilingues (elles feraient rougir de honte un bon nombre d'entre nous) communiquaient en français avec certaines populations autochtones. Elles prenaient également la peine d'assimiler les langues amérindiennes.
À la suite de ces lectures, nous nous demandons comment la langue française a pu s'évanouir à ce point en Amérique. Même si nous avons certains éléments de réponse à ce sujet, il est toujours bouleversant de se rendre compte du déclin d'une telle richesse.

Ces histoires plairont à toute la famille, on peut les lire à haute voix aux enfants le soir (Ah! le bonheur de se faire lire des histoires!), les prêter à la visite, chacun y trouvera du plaisir et de l'intérêt.
Vivement le tome 2!

Une petite vidéo explicative
La critique dans La Presse 

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Légendes d'un peuple (Les disques Gavroche, 2012). En ces temps électoraux, musique à découvrir... et qui colle parfaitement au livre de Serge Bouchard!

13 juillet 2012

Les lumières de la France

Les lumières de la France, tome 1 : La comtesse éponyme, Joann Sfar, Éditions Dargaud, 2012

Loin du Chat du rabbin ou de Gainsbourg (vie héroïque), Joann Sfar s'attaque à l'histoire de France du siècle des Lumières.
Le prolifique auteur de bande dessinée, qui a aussi dans sa besace une maîtrise de philosophie, revisite les contradictions des grands penseurs de cette époque qui pouvaient se targuer d'être contre l'esclavage tout en retirant du commerce triangulaire de nombreux bénéfices.
Le faux débat est ainsi amorcé par le personnage du Comte que l'on rencontre en début d'ouvrage : « Je voudrais pouvoir dormir sereinement avec la certitude que notre compagnie pratique un esclavage à visage humain ». Cela pose les bases de cette bd qui se veut grinçante...
Sfar nous fait ensuite partager le quotidien de la Comtesse, épouse du Comte du début, qui, pour se désennuyer, écrit (et vit) ses fantasmes coquins et discute avec sa petite chienne Fragonarde...
Un peu de philosophie dans le boudoir, vous avez dit?

L'ensemble est un petit délice qui nous laisse malheureusement sur notre faim. La suite devrait sortir prochainement (deux autres tomes sont prévus) et on a hâte de voir ce que Sfar nous réserve.
Si cet ouvrage peut paraître un brin brouillon, entre autres en nous perdant un peu entre la première partie (très courte) et la deuxième, le scénario semble tout droit sorti des méandres chaotiques du cerveau de Sfar. Son humour décalé viendra chercher les lecteurs les plus avertis, quant aux autres, ils sortiront peut-être de cette lecture un peu décontenancés.
Les pages finales nous offrent quelques croquis et planches de dessins dont plusieurs mettent en scène la petite chienne Fragonarde. Vous l'aurez compris, j'aime beaucoup cette petite chienne!


Humeur musicale : Trunks, Hardifscurry (Album On the Roof, 2011, Le son du maquis)

12 juillet 2012

Paris vs New York

Paris vs New York, Vahram Muratyan, Éditions 10/18, 2011

Originellement blogue créé en 2010, le procédé de Paris vs New York est simple : opposer les grandes thématiques urbaines, souvent décalées et originales (les crottes, le divertissement, la chaleur, le fromage) entre ces deux grandes villes, sous forme de dessins plutôt simples, style pictogrammes élaborés, mais qui captent le plus souvent LE détail qui tue.
Plutôt destiné à ceux qui connaissent l'Amérique du Nord et en particulier New York, ainsi que Paris et les habitudes françaises, à qui cet ouvrage fera s'exclamer « Mais oui, c'est vrai! », ce petit guide non réglementaire fera voyager tous ceux qui le feuilleteront et pourra même lancer des discussions entre amis, après avoir ouvert le livre à une page au hasard.

Cadeau ludique et inépuisable, Paris vs New York laisse présager de nombreuses suites. Peut-être que son auteur, français de naissance, amoureux de New York, se lancera dans de nouveaux « matches visuels » entre grandes villes.

En attendant, vous pouvez consulter le blogue de l'auteur ici.

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Veckatimest, Grizzly Bear (Warp, 2011)

11 juillet 2012

Se résoudre aux adieux

Se résoudre aux adieux, Philippe Besson, Éditions Julliard, 2007

Depuis ma découverte de Philippe Besson, que j'aime d'amour, parce qu'il a écrit Son frère et d'autres belles choses, je me suis procuré plusieurs de ses livres.
Se résoudre aux adieux, publié en 2007, se présente sous la forme de plusieurs lettres qu'une femme, Louise, écrit à son amant perdu, Clément, depuis les quatre coins du monde (Cuba, New York, Venise, en route vers Paris). Femme blessée et victime de « l'homme de [sa] vie », qui ne l'a pas choisie, elle prend le parti d'écrire tout ce qui lui vient à l'esprit concernant cette relation sans futur.

Plutôt décevant, ce texte, rapide à lire, étale un certain nombre de lieux communs post-rupture, qui même s'ils sont réalistes, n'en demeurent pas moins éculés.
Les thèmes chers à l'auteur tels que l'absence et le deuil sont traités de façon appropriée mais trop scolaire.
L'exercice de style est valable, mais le résultat, décevant.
Au suivant.


Humeur musicale : Philémon chante, Les sessions cubaines (Audiogram, 2010), en voilà de belles chansons d'amours déçues...

28 juin 2012

Son frère

Son frère, Philippe Besson, Pocket, 2001, 152 pages

Il est de ces livres qui vous happent pour quelques heures, que vous achevez au milieu de la nuit, exténué par tant de douleur et de tristesse mais aussi libéré. Il en fût ainsi avec Falaises, d'Olivier Adam. Et maintenant avec Son frère, de Philippe Besson.

Philippe Besson que j'ai découvert en 2009 avec La trahison de Thomas Spencer. Philippe Besson, auteur français prolifique (il vient de sortir son quinzième roman, intitulé Une bonne raison de se tuer, en moins de dix ans), qui a été adapté au cinéma à plusieurs reprises (Son frère, en 2003, adapté par Patrice Chéreau. En l'absence des hommes, Un garçon d'Italie, Les jours fragiles ont également été adaptés au cinéma).
Son frère est son deuxième roman, publié la même année (2001) que son premier, En l'absence des hommes.
Thomas et Lucas sont frères. L'un est gravement malade, l'autre l'accompagnera jusqu'à la fin. Le point de départ est simple et permettra à l'auteur de discourir sur les relations fraternelles, sur l'enfance et les souvenirs qui y sont rattachés (les descriptions des vacances à l'Île de Ré sont très mélancoliques et réussies), sur le système de santé et la médecine en général (et l'acharnement thérapeutique en particulier). Toujours avec beaucoup d'empathie et un amour pur et inconditionnel.
Alors si l'on peut penser être masochiste en s'infligeant une lecture qui raconte les derniers mois de la vie d'un jeune homme de 26 ans, on en ressort grandi par tant de bonté. Le récit est si poignant qu'il nous apparaît impossible que ce texte ne soit pas autobiographique, catharsis de la douleur de l'auteur.

Un extrait : 
« On n'est pas préparé à la perte, à la disparition d'un proche. Il n'y a pas d'apprentissage de cela. On ne sait pas acquérir l'habitude de la mort. La mort de l'autre nous prend forcément par surprise, elle est un événement qui nous désarme, qui nous laisse désemparé, y compris lorsqu'elle est prévisible, le plus prévisible des événements. Elle est une occurrence absolument certaine et cependant pratiquement inconcevable, et qui nous précipite dans une étrange hébétude.
On sait la nommer, parler d'elle et lorsqu'elle est là, lorsqu'elle survient, lorsqu'elle fauche un proche, lorsqu'elle s'empare d'un ami, d'un frère, on est dans la détresse intégrale, dans l'ignorance de ce qu'il faut faire, dire, on est sonné comme un boxeur qui a vu le coup arriver et qui est pourtant surpris par sa violence, qui vacille sur ses jambes avant de s'écrouler sans pouvoir s'y opposer. La chute, on ne peut pas l'empêcher.
La douleur, elle frappe là où on ne s'y attend pas, quand on ne s'y attend pas. Elle est pure comme peuvent l'être certains diamants, elle est sans tache, éclatante. On est seul avec cette pureté-là, cette blancheur insoutenable de la douleur. On détourne le visage, on ferme les yeux, les larmes viennent dans le silence, même quand, autour de soi, règne le plus grand désordre. » (p.150)

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Adrian Vedady, In Three Acts (en concert à l'Astral le 4 juillet prochain avec Marc Copland, pianiste)

01 juin 2012

À propos de BD

Après avoir parlé de ces trois bandes dessinées de qualité, je ne pouvais passer sous silence (en fait, j'ai oublié) le premier festival de la bande dessinée de Montréal, qui se déroulera cette fin de semaine, à l'Espace La Fontaine, sur le côté ouest du parc du même nom, près du Théâtre de Verdure.
Découvrez ce festival et toute sa programmation ici.
Passionnant.

Deuxième information aujourd'hui : un collectif de bédéistes québécois s'est lâché à propos de la contestation sociale et étudiante qui a lieu en ce moment au Québec et en particulier à Montréal.
C'est délicieux, engagé, drôle, profond, courez voir ça ici! (Faites défiler les dessins avec le curseur horizontal)
Image empruntée au site, les noms des auteurs sont disponibles sur le site

29 mai 2012

Quelques BD

Apnée, Zviane, Éditions Pow Pow, 2010
Grand prix de la ville de Québec 2011 (prix Bédéis Causa)

Dans ce magnifique petit album, la jeune auteure québécoise Zviane, avec une grande pudeur, décrit l'état dépressif dans lequel son héroïne, Sophie, a été plongée. Elle s'en est sortie, mais reste fragile.
Le dessin, en noir et blanc, et avec ses zones de gris, s'adapte tout à fait au propos subtil de l'auteure. C'est sobre, les personnages sont croqués un peu comme dans les mangas, et chose étrange, ils n'ont presque pas de visages, pas d'yeux en tout cas, ce qui est le détail le plus frappant. Cet élément amène une espèce de vide abyssal qui pourrait s'apparenter à l'état dans lequel se trouve Sophie. 
Le récit se découpe en plusieurs petits chapitres écrits au "tu", qui se concluent tous par des épilogues (parfois à l'humour acide) à propos des personnages qui traversent la vie de Sophie. Par exemple, ce garçon que Sophie fréquente, alcoolique, dépressif et suicidaire... « Il se suicidera dans trois ans, huit mois et deux jours. Tu n'auras rien pu faire.»
Certains passages sont d'une beauté rare, comme ce passage musical, représenté par des touches de piano, des notes de musique, et des cases vides, qui par leur silence, nous atteignent droit au cœur. 
Zviane, de son vrai nom Sylvie-Anne Ménard, enseigne également la musique et cela n'est pas étranger à la réussite de cet album. Il y a une douce musique dans cet album, mélancolique, et on sent aussi que c'est par la musique que Sophie peut s'en sortir et surtout se laisser aller.

Le site de l'auteure

L'âge dur, Max de Radiguès, L'employé du Moi, 2010

Explorant les affres de l'adolescence, l'auteur d'origine belge Max de Radiguès arrive à nous charmer avec cet album petit format, tiré d'un fanzine édité de janvier 2009 à octobre 2010.
Ses jeunes sont touchants, drôles, sincères, et fragiles. Le pari est réussi pour l'auteur qui voulait, « par de petites choses, de petits événements, de petites anecdotes, essayer de retrouver cette ambiance et cet état de l'adolescence. »
Vous y trouverez probablement un peu de vous à cet âge dans cet ouvrage!

Max de Radiguès est maintenant l'auteur de six bandes dessinées, dont la toute dernière, 520 km, paraîtra aux éditions Sarbacane en août 2012.

À noter que Max de Radiguès était en résidence à Montréal à l'atelier 7070 durant l'année 2011.

Une entrevue avec l'auteur


L'art de voler, Antonio Altarriba (scénario) et Kim (dessin), Denoël Graphic, 2011 (édition originale chez Edicions de Ponent, 2009)


La BD la moins évidente des trois est sans conteste celle-ci. Témoignage historique dans la veine de Maus, d'Art Spiegelman, L'art de voler relate la vie d'Antonio Altarriba père, qui a traversé l'Espagne du XXe siècle. Le point de départ du récit est le suicide de celui-ci,  à l'âge de 90 ans, le 4 mai 2001. Son fils, également nommé Antonio, s'est alors promis de rendre hommage à ce père qui toute sa vie, s'est préparé à cette mort, à cet envol final. Antonio Altarriba fils s'est basé sur un manuscrit de 200 pages que son père a rédigé, encouragé par son fils, alors qu'il traversait une profonde dépression, à la fin de sa vie. Il a également fait la part belle à ses souvenirs d'enfance, vécus avec ses parents mais aussi avec les amis anarchistes de son père.
En effet, Antonio père a vécu les années du franquisme de façon amère. Engagé dans la résistance très jeune, après avoir fui son village où son père le voulait paysan, comme lui, alors qu'il ne rêvait que de la ville, il est envoyé en France à l'arrivée de Franco au pouvoir en  1939, après une guerre civile très dure de 1936 à 1939. Il combat avec les forces républicaines après avoir déserté l'armée nationale.
Durant la Seconde guerre Mondiale, il sera caché dans une ferme près de Guéret (Creuse) où il vivra paradoxalement ses plus belles années. Fait prisonnier par les nazis, il s'en sortira miraculeusement, et décidera par la suite de retourner en Espagne, alors qu'il s'était promis le contraire.
Commencera alors pour lui une lente descente aux enfers, trahi par ses associés, déçu par sa relation avec sa femme, seul son fils né en 1952 lui offrira quelques rayons de soleil.

Ce long récit (plus de 200 pages) n'offre pas beaucoup de répit au lecteur. Très réaliste, il nous entraîne avec son héros dans ses nombreuses désillusions. Ses malheurs sont profonds et pourtant il s'accroche, espère toujours s'en sortir. Cela l'amène à vivre de nombreuses aventures professionnelles, politiques et amoureuses. Le scénario mêle ces différents aspects afin de relater l'histoire d'un homme de son temps, ancré dans son époque et dans son pays.
Certains passages au sujet de la guerre civile espagnole sont très complexes, mais ne doivent pas rebuter le lecteur. On ressort de cette lecture avec de nouvelles connaissances sur cette période sombre de l'Histoire, à l'heure où l'Espagne traverse une nouvelle crise.
Complexe mais ô combien nécessaire. Cet ouvrage est un hommage vibrant et passionnant à ce père, héros anonyme de l'histoire espagnole. C'est aussi très triste, et le constat final, même si l'auteur affirme le vouloir empli d'espoir, reste plutôt négatif au sujet de la destinée humaine, du rapport à l'argent et au pouvoir et de la vieillesse.

Une entrevue avec l'auteur

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : les éclairs dans le ciel et Stuart A. Staples dans les oreilles.

23 mai 2012

Le moderne cabaret

Le moderne cabaret, Vic Verdier, Éditions XYZ, 2012

Qui est Vic Verdier? Le personnage principal de ce roman? Le nom de plume de Simon-Pierre Pouliot? Un trentenaire qui réalise son rêve d'ouvrir un cabaret et qui se heurte à des imprévus quelquefois dignes d'un polar? Et bien, tout ça à la fois. C'en est un peu mêlant, finalement, mais on s'attache à lui, qui qu'il soit.
Donc, Vic Verdier, l'auteur, nous présente Vic Verdier, jeune homme qui s'apprête à emménager avec sa copine Fred, et à ouvrir le cabaret dont il rêve depuis longtemps (on en parle déjà dans son premier roman, L'appartement du clown, paru aussi chez XYZ en 2010). Quelques mésaventures viendront pimenter ses projets. Parallèlement, on suit aussi Oliver, l'ami de Vic revenu au pays sans que ce dernier ne soit mis au courant, qui raconte à Jas (l'autre ami de Vic) son histoire épique au Chili à la poursuite de Douze.
Deux histoires parallèles, donc, mais qui se distinguent assez bien dans l'ensemble.
L'histoire est très ancrée à Montréal, Saint-Henri pour le cabaret de notre héros, le Mile End côté est (Casgrain) pour son appartement, rue Waverly, aéroport Pierre-Elliott Trudeau, on navigue en terrain connu (enfin, ça dépend pour qui). Au Chili, c'est une autre paire de manches.
Les parties situées au Chili, même si elles nous offrent quelques réflexions intéressantes sur la vengeance et que nous sommes témoins de l'évolution d'Oliver dans ses épreuves, nous perd un peu par le côté trop surréaliste du dédoublement de personnalité d'Oliver. On a du mal à accrocher à cette folie passagère.
Pourtant, le même procédé utilisé avec le grand-père de Vic, qui ressurgit d'entre les morts pour donner des conseils à son petit-fils, fonctionne beaucoup mieux, même si les apparitions de Papi Verdier auraient probablement pu être abrégées.
Le texte est un peu alourdi par trop de cabotinage. Personnellement, le narrateur ou l'auteur qui s'adresse au lecteur, ça me laisse plutôt froide. Mais le tout reste fluide, drôle, imaginatif, et brosse le portrait juste d'un groupe de trentenaires unis par l'amour et l'amitié, en proie aux doutes face à l'engagement.
L'auteur nous offre encore une fois à la fin de l'ouvrage la liste de toutes les chansons citées dans le texte. Parfaitement intégrées à son texte. Original et plaisant pour la mélomane que je suis. Cette liste, très éclectique (ça va de Marie Laforêt à Félix Leclerc, en passant par Manu Chao et U2), est à l'image de ce roman : très éclaté, mais qui nous tient par un fil qui nous permet de lire avec un réel plaisir cette histoire jusqu'à la fin.

Simon-Pierre Pouliot est un jeune auteur (né en 1976) diplômé en histoire et en communications. Il travaille depuis plus de dix ans pour le Cirque du Soleil. Le Moderne cabaret est son deuxième roman, après L'appartement du clown, paru chez XYZ lui aussi.

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : This is the Kit, Wriggle Out The Restless (Brassland, 2010)

29 avril 2012

Retour dans l'effervescence

Cela fait bien longtemps que je n'ai pas écrit ici. J'avoue ne pas y avoir trop pensé non plus...

Il y a eu les vacances, et pas mal de lectures (La trilogie berlinoise, de Philip Kerr, Éditions Le Masque, Volkswagen Blues de Jacques Poulin, Éditions Actes Sud, Babel, Yougoslavie, origine d'un conflit, de Bernard Féron, Éditions Le Monde, L'usage du monde de Nicolas Bouvier, Petite Bibliothèque Payot / Voyageurs), et le retour, très intense.

De nouveaux projets et un manque évident de temps m'empêchent d'alimenter convenablement ce blogue ces jours-ci.
Je vous reviendrai très bientôt!
À venir, un mot sur une nouveauté chez XYZ, Le moderne cabaret de Vic Verdier, quelques bandes dessinées, et beaucoup de musique.

Je vous recommande :
Patrick Watson, Adventures in Your Own Backyard (Domino, Secret City Records)
Avec pas d'casque, Astronomie (Grosse Boîte)
Metronomy, The English Riviera (Warner Music) (découvert dans l'avion)