18 mai 2011

J'haïs le hockey

J'haïs le hockey, François Barcelo, éditions Coups de tête, 2011

Auteur prolifique, François Barcelo est le premier écrivain québécois publié chez Gallimard dans la collection « série noire », pour son livre Cadavres, en 1998. Il écrit autant des histoires pour les petits, que des textes sanglants pour les adultes, tel que le même Cadavres, qui a été adapté au cinéma, en 2009, par Érik Canuel.
Avant d'être un auteur à temps plein, il a exercé la profession de rédacteur publicitaire, ce qui lui probablement permis de cultiver sa verve et son humour que l'on reconnaît fréquemment dans ses textes.
Alors que je collaborais un peu à la revue Biscuit Chinois, dans ses glorieuses années, nous avions eu la chance de recevoir un texte de cet auteur, pour le thème « roulottes ». Vous pouvez lire Pas si petite sur le site Érudit (.Pdf).
Avec J'haïs le hockey (et non pas Je hais le hockey, cela a toute son importance !), François Barcelo signe une très courte histoire dramatique.
Avec un tel titre, on pourrait se penser dans un pamphlet très caustique au sujet du sport national du Québec, qui hante les chaumières tous les deux ou trois soirs, six mois par année, et tient le rôle de véritable religion pour tout un peuple. Mais il n'en est rien. Le titre ne sert que de prétexte pour raconter l'histoire d'un homme et de son fils. Antoine Vachon vient de se séparer et de perdre son emploi de vendeur d'automobiles. Il doit remplacer illico l'entraîneur de hockey (qui a été assassiné) de son fils Jonathan, 14 ans. Mais voilà, Antoine déteste le hockey et en plus, il n'y connaît rien. Par contre, l'assassinat de l'entraîneur et les histoires sordides qu'Antoine s'invente par rapport à cet homme qu'il ne connaît pas le motiveront à se rapprocher de son fils.

Si la naïveté du personnage est un peu lourde et agaçante, l'histoire cependant garde un intérêt tout du long. Il n'y a pas vraiment de temps mort, et le style tranchant nous fait passer d'une situation cocasse à une autre. Les passages où l'auteur nous parle de sa haine du hockey sont les plus drôles : 
« Nom et logo archinuls, si vous voulez mon avis. Mais au moins ils ont un nom. Alors que les miens n'ont qu'une lettre à l'avant de leur chandail : Z. Pour Zénith, Zigotos, Zéphyrs ? J'ai peine à croire qu'on ait pu baptiser mon équipe les Zéphyrs de Saint-Zéphyrin. C'est encore plus nul que les Huards de Morinville. » (p.21)
Au final, plusieurs questions restent sans réponse dans ce roman, notamment sur le fait que l'équipe de hockey gagne tous ses matches sans grands efforts ni conviction, mais peu importe, le propos porte plus sur le côté sombre de l'adolescence, ou les difficultés pour un père de faire sa place auprès de son jeune fils. L'auteur opte pour un style tragi-comique. On ne sait jamais de quel côté va chavirer le roman, jusqu'à la toute fin...

Un extrait audio

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Philippe B, Variations fantômes (Bonsound, 2011)

14 mai 2011

Je voudrais qu'on m'efface

Je voudrais qu'on m'efface, Anaïs Barbeau-Lavalette, Éditions Hurtubise, 2010

Pendant que certains déversent leur fiel sur les subventions accordées aux artistes et sur les artistes eux-mêmes (voir la chronique de Nathalie Petrowski), certaines œuvres nous ramènent, elles, à ce que l'art peut apporter à chacun d'entre nous. L'artiste et son œuvre deviennent alors réellement une porte sur le monde, sur notre monde, ou sur d'autres plus éloignés.

Pourquoi ce lien, dans cet article sur Je voudrais qu'on m'efface d’Anaïs Barbeau-Lavalette ?
Parce que l'art tient une place importante dans cette histoire d'enfants, à qui la vie n'a pas fait de cadeau. La musique, en particulier, sera la lumière au bout du tunnel pour au moins une des trois enfants que nous suivons dans ce roman.
Parce qu'il faut montrer à quel point l'art et les artistes sont essentiels à la vie dans une société d'hommes et de femmes tous inégaux économiquement et socialement. Parce que l'art peut parfois être le seul trait d'union entre tous ces humains là. La seule thérapie pour certains, la seule réjouissance pour d'autres. Son accessibilité est primordiale.

Ceux qui ont vu Le ring, film qu’Anaïs Barbeau-Lavalette a réalisé en 2007, reconnaîtront l'environnement d'Hochelaga-Maisonneuve : les prostituées, la drogue, la dureté, la pauvreté que l'on peut voir dans le film. La réalisatrice recrée ce cadre dans son livre et renoue avec ses personnages, enfants blessés, abîmés et délaissés par la société. Comme Kathy et Kelly, témoins des allées et venues de tout le monde dans le quartier, qui sont en orbite autour des trois personnages centraux, Kevin, Mélanie et Roxane. Mais elle a eu l'idée du livre avant le film.
«Les premiers textes nés de cette rencontre [avec Hochelaga-Maisonneuve] ont servi de genèse à mon long métrage, Le Ring. Puis sont arrivées d'autres trames, d'autres enfances.»
On pense souvent au Dr Gilles Julien en lisant ce livre, le pédiatre qui a créé le premier centre de pédiatrie sociale en communauté dans Hochelaga-Maisonneuve, en 1997, et à l'un de ses projets, Le garage à Musique.
Ou encore à Jeunes musiciens du monde, qui a son école dans Hochelaga-Maisonneuve également.
À quel point la musique peut sauver, même si les parents de Roxane oublient l'un et l'autre d'aller la voir à son concert, à cause de l'alcool, compagne destructrice dont ils n'arrivent pas à se séparer. À quel point la puissance du violon pousse la jeune fille à fuir son milieu pour être sauvée.

Je voudrais qu'on m'efface, depuis le titre, d'une tristesse absolue, jusqu'à la dernière ligne, est absolument décourageant et douloureux, par cette dureté infligée à de nombreuses familles, et qui s'inflige à nous par la proximité que nous avons avec elles. Mais il s'agit d'une lecture nécessaire, à la fois stylée et froide, mais très vivante, cinématographique. Un style sans pathos, direct, mais qui nous arrache des larmes d'impuissance. Anaïs Barbeau-Lavalette frappe fort et nous ouvre à un monde qui l'a bouleversée à jamais. Un monde où les enfants n'ont pas vraiment de vies d'enfants et nous donnent des leçons de résilience époustouflantes, mais aussi où la misère se répète, se transmet et pointe du doigt la responsabilité d'une société entière.
« Je ne l'ai pas écrit pour éveiller les gens mais parce que je crois que ces kids ont les plus grandes histoires au monde à raconter.»
Non seulement elle donne la parole à ces kids, mais en plus, elle nous éveille... Et doublement, avec son film (qu'elle a pu réaliser avec quelques subventions bien méritées), et son livre.

Un article dans La Presse, par Marie-Claude Girard
L'article de Tristan Malavoy-Racine dans le Voir

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Chocolat

11 mai 2011

Château de sable

Château de sable, Frederik Peeters et Pierre Oscar Levy, éditions Atrabile, Collection Bile Blanche, 2010

Je vous avais déjà parlé de Frederik Peeters ici, au sujet de son livre Pilules bleues, que j'avais adoré.
Il y avait bien longtemps que je n'avais pas critiqué de bande dessinée sur ce blogue, laissant ce domaine à François.
Mais là... Je ne pouvais résister, ayant mis la main sur le dernier ouvrage de Frederik Peeters, Château de sable, paru aux éditions Atrabile, dans la collection Bile Blanche.
Je ne peux cependant pas vous raconter l'histoire sans en dévoiler trop d'éléments, car le récit, tour à tour lyrique, fantastique, mystérieux, dévoile son intrigue progressivement.
Le dessin est superbe, noir et blanc, d'une sobriété remarquable, tout en décrivant par un trait subtil les émotions de chaque personnage.
Le scénario est alambiqué, digne d'un roman de science-fiction de Philip K. Dick. Pierre Oscar Lévy, le scénariste, a rencontré Frederik Peeters en travaillant sur un projet d'adaptation cinématographique de Pilules bleues. Si Château de sable est son premier scénario pour la bande dessinée, il n'en est pas à ses premières armes en cinéma documentaire. Et l'on sent bien cet univers cinématographique, avec une véritable ambiance, de plus en plus sinistre, un lieu bien incarné, cette plage magnifique et sauvage et une douzaine de personnages, ayant chacun un rôle bien précis.
C'est donc encore une fois une œuvre impressionnante d'originalité, mise en dessin par un artiste hors-norme, qui a publié des albums aussi intéressants que fantaisistes tels que Lupus, Koma, Pilules bleues et maintenant Château de sable

Bibliographie intégrale de Frederik Peeters
Frederik Peeters, le site

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : le dernier Moby, Destroyed (PIAS, 2011)

01 mai 2011

Versicolor

Versicolor, de Marc Forget, Éditions XYZ, 2011

David Dupuis, jeune médecin, s'engage avec un organisme humanitaire au Sud Soudan, après une rupture amoureuse.
Réfractaire à toute reprise des rênes de sa propre vie, il s'occupera de celle des autres, enfants tuberculeux, familles diminuées par la maladie, la malnutrition, la pauvreté.

Marc  Forget, un ancien de La Course destination monde (en 1991-1992), nous décrit le monde de la coopération internationale, ses limites, ses réussites, le dévouement des personnes qui s'y engagent.
Devenu médecin lui-même, Marc Forget a l'expérience des missions humanitaires.
Parallèlement à David Dupuis, il met en scène Loïc, le meilleur ami de David. Celui-ci déroule le fil de sa vie sous forme épistolaire,  de sa jeunesse perturbée jusqu'à ses retrouvailles avec David, après plusieurs années de séparation.
Versicolor, c'est le titre du film que Loïc rêve de réaliser.
Versicolor fait aussi référence aux couleurs que David ne peut plus voir. On peut trouver à ce titre plusieurs explications, tant il convient parfaitement à l'histoire qui nous est contée.
L'auteur adopte un style télégraphique, sous forme de carnets, particulièrement dans la première moitié du livre, lorsque David se trouve au Sud Soudan. Petit à petit, le style s'apaise, se fait moins saccadé, l'urgence est moins présente. Mais elle est toujours là, prête à bondir, on sent que le drame surviendra probablement (peut-être un peu maladroitement par les lettres de Loïc ?).
Les choix que font les protagonistes dans le roman auraient sans doute mérité plus d'explications, ce qui aurait donné plus de profondeur aux personnages.

Versicolor démontre le talent indéniable de Marc Forget, pour raconter des histoires prenantes, qui sentent le vécu et nous amènent ailleurs.
Mais mettre sur un pied d'égalité deux personnages forts qui vivent des choses totalement différentes était périlleux et ambitieux. En chemin, on y perd un peu en émotions. Particulièrement dans la partie où on les retrouve, ensemble, en Argentine. Chaque personnage pris séparément est fort et intéressant, mais la chimie entre eux transparaît moins bien dans le style de l'auteur.
C'est dommage, mais ça ne gâche pas l'intérêt de ce livre, pour le monde qu'il nous fait entrevoir, et la découverte d'une nouvelle plume talentueuse québécoise.

L'article de La Presse, par Marie-Claude Girard
L'entrevue avec Michel Désautels sur Radio-Canada

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Mark Berube and the Patriotic Few (vu cette après-midi au lancement du OffTA)