28 mars 2013

Visite la nuit

Visite la nuit, recueil de nouvelles de Caroline Legouix, Les Éditions de La Grenouillère, 2012


Dans ce recueil de 19 nouvelles, dont certaines ont été au préalable publiées dans des revues littéraires telles que Moebius ou Virages, et dont deux ont remporté des prix en France*,  Caroline Legouix manie une plume très efficace qui nous amène dans des mondes tour à tour inquiétants, violents, sombres ou nostalgiques.

La suite ici...

Humeur musicale : Nick Cave, No More Shall we Part (Mute, 2001)

23 mars 2013

Nick Cave

Nick Cave and The Bad Seeds, Métropolis de Montréal, 22 mars 2013

Hier soir, dans un Métropolis plein à craquer, c'est fébrile que la foule attend Nick Cave, en visite à Montréal pour la deuxième fois en 5 ans. Son nouvel album, Push the Sky Away, sorti le mois dernier revient à une musique plus douce, digne des Boatman's Call et autre No More Shall we Part.
Nick Cave et ses Bad Seeds, qui fêtent ensemble leurs 30 ans d'existence cette année, en ont interprété quelques morceaux avec vigueur et notamment une Jubilee Street très plaisante et qui démarrait fort bien ce spectacle.
Puis le groupe s'est tourné vers sa longue carrière pour y puiser toutes les plus grandes chansons qu'il pouvait y trouver : Red Right Hand, toujours aussi inquiétante quand le grand et maigre Nick se penche sur les premiers rangs éclairé d'une lumière rouge sang, God is in the House, The Weeping Song, Into my Arms, au piano, intermèdes bienvenus après des moments très énergiques pour le chanteur et le public. Stagger Lee, enfin, chanson traditionnelle américaine inspirée d'une sordide histoire qui s'est déroulée en 1895 aux États-Unis.
Avec Nick Cave and The Bad Seeds, nul besoin de mise en scène, de décors originaux ou de lumières spéciales, Nick Cave EST la mise en scène à lui seul, courant d'un bout à l'autre du stage, serrant des mains au passage, s'appuyant même sur des personnes pour s'avancer le plus possible vers les gens, et tout ceci en continuant de chanter, s'adressant à des personnes au premier rang, adaptant ses paroles pour faire de l'humour grinçant (dans Stagger Lee : « The Devil is in, It's your fucking I-Phone! », pied de nez aux dizaines de personnes qui le mitraillaient de leur téléphone intelligent sans qu'il ne s'en plaigne par ailleurs) ou interpeller de jolies personnes. 
Nick Cave est un vrai rocker qui peut tout se permettre, son passé punk avec The Boys Next Door ou The Birthday Party ressurgit sur scène, dans sa gestuelle, son aisance naturelle, son rythme. Il possède de plus un charisme capable de faire chavirer n'importe qui. 
Le gourou Cave nous a donc livré une performance qui ressemblait à celle de 2008, comme on peut s'en rendre compte en relisant mon billet du 7 octobre 2008, mais agrémentée des nouvelles chansons de Push the Sky Away.

Je dois mentionner aussi l'excellente Sharon Van Etten, qui a assuré avec brio la première partie du concert. Sharon est aussi une des choristes de Nick Cave and The Bad Seeds.

Ici, vous pourrez écouter et voir Into My Arms
Et ici, le clip de Stagger Lee
Encore une pour se faire plaisir, Henry Lee, avec PJ Harvey, dans l'émission anglaise The White Room
Et enfin, une performance plus récente de The Mercy Seat, à Glastonbury en 2010

La critique du concert par Erik Leijon, dans The Gazette
L'article de La Presse, par Alain Brunet

Lætitia Le Clech

Inutile de vous faire part de mon humeur musicale... :)

14 mars 2013

La courte année de Rivière-Longue

La courte année de Rivière-Longue, Elise Lagacé, Éditions Hurtubise, 2013

Quel petit livre intéressant que ce premier roman d'Elise Lagacé ! Par sa plume faussement naïve et son style imagé, l'auteure se rapproche du conte, et nous offre plusieurs niveaux de lecture. Le monde décrit nous semble bien réel par ses éléments palpables, mais la présence de quelques ingrédients surnaturels (le chat, l'ours), et de personnages ou de situations hors-normes nous amènent ailleurs, même si « À Rivière-Longue, on rejette l'ailleurs. Ailleurs, ça n'existe plus, même en pensée, même en secret, même en rêve. À Rivière-Longue, on préfère Nulle part et l'on se contente d'ici. » (p.24). Le lecteur, lui, ne se sent pas nulle part. Il se retrouve dans ce village imaginaire où il est interdit d'avoir des chiens. Où la suspicion des habitants entraîne une omerta omniprésente et empêche quiconque de s'en aller. Où l'on « se nourrit de veilles rancunes et des colères du jour » (p.22). Où il n'est pas bien vu d'acheter ailleurs ce que l'on peut trouver sur place. Rivière-Longue, d'où Aline, la mère de Marcelle, s'enfuira cependant, tournant le dos à la violence qu'elle subit de son mari Son, et qui est évoquée à demi-mots au début du roman. Plusieurs années s'écoulent, entre non-dits, routine du village, violence de Son, jusqu'à l'apparition d'un "étrange", sorte de survenant arrivé de la ville, de cet ailleurs que les habitants de Rivière-Longue redoutent tant.
Lié à Aline par les mots que cette dernière a écrit à sa fille et qu'il est le seul à pouvoir lire, cet étranger, Roland, se met en tête de construire une maison pour qu'Aline revienne au village. Mais cela signifie également revenir vers son bourreau, qui sera enfin clairement identifié comme tel par Martin, le doux et bon Martin, dans une confrontation qui scellera le destin de Rivière-Longue.
« Faut pas croire tout ce qu'elle raconte, Martin. C'est une hostie de menteuse, comme la plupart des femmes. Si t'es trop faible pis trop naïf pis que tu la crois, c'est ton problème. Je te dis ça en ami.
Martin devient de plus en plus enragé et sa voix s'éteint dans un chuchotement :

Elle a pas eu besoin de dire grand-chose. T'as jamais fait dans la dentelle, pis t'as jamais été discret. Crisse ! Tu fermais même pas les fenêtres quand tu la battais, pis tu hurlais après pendant des heures. Penses-tu vraiment qu'on entendait rien? » (pp. 140-141)
Roland s'entourera de tous les originaux du village (Mario le verbomoteur, simple d'esprit qui récite du Michel de Montaigne, Simone, enfant de 3 ans qui parle et agit comme un adulte), les solitaires (Gitane l'avocate du village), et les animaux, comme la chatte Verlaine :
« Verlaine, c'est le seul chat du village. Même sur la ferme à Bourrassa, il n'y en a pas. Ce qui fait qu'il y a bien des rats. C'est pourquoi elle habite avec Gitane et Simone. Personne n'oserait faire de mal au chat d'une avocate. elle connaît le Code civil, et le Code civil, ça fait peur. » (p. 79)
Le récit s'essouffle par moment mais quelques beaux passages et une certaine dose d'humour viennent relever le tout pour au final en faire un premier roman très agréable à découvrir.
« Elle le sait, tout cela n'est que temporaire, c'est une famille de secours et elle ne peut prévoir ce qui en restera. Gitane profite donc du moment présent. Le seul qui nous appartienne vraiment. Le passé se travestit de nos souvenirs et le futur s'habille de nos craintes » (p.118)
« La vieille Sophie, qui avait passé sa vie à courir après son temps, mourut écrasée sous son horloge grand-père. C'était un frêle petit bout de femme, toute brune, qui ne sortait presque jamais de sa maison. Un soir, elle tentait de remonter l'horloge qui trônait, paternelle, dans son salon, quand l'étalon à Bourrassa, en rut et en fugue, vint ruer contre le mur extérieur de sa maison. Le choc fit basculer l'horloge qui sombra sur la vieille sans défense et le temps s'arrêta à cinq heures et vingt de l'après-midi. Cela permit au moins au docteur de prononcer l'heure du décès. Ce fut pour lui une mort bien commode, quoique peu commune. Le dimanche suivant, la vieille Sophie ratait la messe pour la première fois en soixante-dix-huit ans. » (p. 177)

Une plume que je rangerais dans le même genre que certains nouveaux jeunes auteurs québécois des derniers mois, comme Stéphanie Pelletier, qui magnifient la nature et accueillent le mystérieux avec un naturel désarmant. Élise Lagacé se définit elle-même comme « écrivailleuse, autodidacte, chercheure, trouveuse, gosseuse de fiction, gastronome des mots, terre d'asile pour personnages en quête d'un foyer ». Ça promet d'autres futures belles créations...

Lætitia Le Clech

Humeur musicale : Nick Cave and The Bad Seeds, Push the Sky Away ( Bad Seed Limited, 2013)