04 octobre 2015

Les transformations du livre


Débat : Devons-nous brûler nos livres?
ARTVstudio. Animation : Marie-Christine Trottier et Michèle Corbeil (directrice du festival)

(image empruntée au site internet du FIL)
Nous étions conviés le samedi 26 septembre dernier à débattre, dans le cadre du Festival international de la littérature (FIL), « autour de l’avenir du livre et des autres traces écrites en cette ère du grand virage numérique » (d’après le programme du FIL).
Le Festival international de la littérature, créé en 1994 par l’UNEQ (Union des écrivaines et des écrivains québécois), célèbre les mots par des spectacles littéraires, des conférences et des animations littéraires originales et créatives.

Dans le petit ARTVstudio de la Place des Arts, plusieurs intervenants du domaine du livre, ainsi que de simples lecteurs, se sont exprimés sur ce vaste sujet : le directeur de la nouvelle Maison de la littérature de Québec, Bernard Gilbert; le directeur de l’UNEQ, Francis Farley-Chevrier; l’auteur, critique littéraire et journaliste, Pierre Lepape; l’auteure, critique littéraire et éditrice, Michèle Gazier; l’auteur, journaliste et éditeur, Tristan Malavoy-Racine; le blogueur, Manouane Beauchamp; le photographe officiel du FIL, Pierre Crépô – qui a établi une relation entre le traitement réservé aux livres et celui réservé à la photographie; l’écrivaine et animatrice de radio, Violaine Forest; ainsi qu’une ancienne archiviste; une journaliste du magazine L’actualité, et bien d’autres.

Grâce à cette diversité de participants, la discussion a pu s’ouvrir sur de nombreux horizons. Ainsi, parler de « brûler des livres », « se débarrasser de nos livres » ou, dans un acte moins définitif, les donner à des organismes ou à des amis, histoire d’élaguer nos bibliothèques, pose la question de la durée de vie d’un livre, et en particulier de sa vie dans notre bibliothèque.
Dans notre monde mouvant, comment imaginer, par exemple, transporter notre bibliothèque si l’on doit partir vivre dans un autre pays?
C’est ici que le support numérique intervient. Le livre numérique nous offre la possibilité de garder avec nous nos livres préférés, même en voyageant ou en immigrant. 
D’autre part, le rêve d’une bibliothèque totale – cher aux grands lecteurs, mais rendu impossible par la quantité grandissante de publications nouvelles – ne pourrait devenir réaliste que par le biais d’une bibliothèque virtuelle, disent les défenseurs du livre numérique présents dans la salle.

L’idéal serait peut-être un équilibre entre les deux supports, afin de cesser de voir le livre numérique comme un adversaire du livre traditionnel. Les bibliothèques publiques gagneraient à suivre la vague du numérique pour ne pas perdre leurs lecteurs, selon une ancienne archiviste. Lorsque l’on pense à se débarrasser de certains de nos livres, il faudrait donc être prêt à ne garder que les livres-objets essentiels.

Du point de vue d’une spécialiste de la littérature jeunesse, le livre numérique perd tout intérêt dans ce domaine, où le contact avec le livre comme objet est d’une première importance pour l’enfant qui découvre la lecture. Le livre numérique – qui standardise tout, y compris le format – supprime toutes les particularités de cette littérature. 
Néanmoins, pour d’autres clientèles – comme les aveugles, par exemple –, le livre numérique est un support indispensable. Cette avenue avait déjà été balisée par le livre audio.

Par ailleurs, le livre numérique permet d’accéder très facilement à la littérature du monde entier, tel que le souligne Michèle Corbeil (la directrice du festival) qui se dit, malgré tout, plutôt réticente face au format.

Avant tout, la question essentielle, telle qu’énoncée par Tristan Malavoy-Racine, n’est-elle pas de savoir ce qui nous fait tant réagir lorsqu’il s’agit de parler de la « fin » du livre papier? Pourquoi le livre est-il vu comme un objet sacro-saint? Représente-t-il l’ultime refuge dans des temps de noirceur? Cette réflexion a provoqué à la fois l’euphorie et un silence perplexe dans l’assistance.

Le livre peut-il représenter, comme le souligne le photographe Pierre Crépô, une présence ancrée dans le temps face à l’instantanéité de notre époque? En effet, la valorisation du « commentaire » rapide et éphémère (puisqu’avoir une discussion sur les réseaux sociaux correspond, en quelque sorte, à une nouvelle forme de correspondance épistolaire) n’abolit-elle pas la notion du temps, étant donné que ces commentaires s’effacent souvent aussi vite qu’ils ont été écrits?

L’idée de « brûler nos livres » – que tous s’entendent à trouver horrible – a donc engagé les participants à ce débat à réfléchir à plusieurs transformations. Notamment celles de l’objet-livre – qui n’a pas vraiment changé depuis les débuts de l’imprimerie moderne (il y a plus de 550 ans) tel que l’a précisé l’auteur Pierre Lepape. Les modifications de l’écrit (entraînées par l’arrivée des réseaux sociaux) et les changements dans le comportement des lecteurs ont également été abordés, sans oublier les modifications que le support numérique entraîne (notamment pour les droits d’auteur) telles qu’expliqué par le directeur de l’UNEQ, Francis Farley-Chevrier.

Cependant, il semble n’y avoir qu’un pas entre l’océan de possibilités offertes par le numérique et... la noyade! Les chiffres relatifs aux ventes de livres numériques aux États-Unis ont baissé et laissent présager un retour en force du livre traditionnel. D’autre part, il se publie de plus en plus de romans chaque année, ce qui tend à relativiser les données catastrophistes sur la baisse de la lecture. Tout ceci reste donc discutable.
Une réflexion qui se poursuit donc et qui devrait nous aider à envisager l’avenir, particulièrement à titre de futurs professionnels de l’information, en incluant ces nouvelles manières de lire, afin que personne ne s’y perde!


Lætitia Le Clech

Voir, sur le sujet du  livre numérique, l'article de Fabien Deglise paru dans Le Devoir ce samedi 3 octobre, L'impossible mort d'un livre bien vivant.


Le paradis dans une bibliothèque



(photo empruntée au site Internet du FIL)
Présenté à l’occasion des 10 ans de la Grande Bibliothèque du Québec, le spectacle littéraire Le paradis n’est-il pas une bibliothèque ? porte un titre qui fait référence à Borges (La bibliothèque de Babel, 1941) et à Bachelard (La poétique de la rêverie, 1960). Il a eu lieu le vendredi 25 septembre dernier dans le cadre de la 21e édition du Festival international de la littérature (FIL). Ce festival, créé en 1994 par l’UNEQ (Union des écrivaines et des écrivains québécois), célèbre les mots par des spectacles littéraires, des conférences et des animations littéraires originales et créatives. 

« Une bibliothèque que l’on monte est une vie » (Dominguez, 2004) 

Le but du spectacle littéraire Le paradis n’est-il pas une bibliothèque ? était de présenter des extraits de livres qui parlent de bibliothèques, en les révélant dans une lecture collective et passionnée. Les comédiens et comédiennes Marc Béland, Renaud Lacelle-Bourdon, Marie-Ève Pelletier, Dominique Quesnel et Simon Lacroix se sont prêtés au jeu du partage littéraire avec une grande ferveur.
La mise en scène épurée (brouillonne par moments), agrémentée de projections d’extraits de films (trop courts et non référencés), forçait le spectateur à se concentrer sur les mots livrés par les comédiens. Ceux-ci ont commencé le spectacle par un extrait jubilatoire et particulièrement bien senti d’Un ange cornu avec des ailes de tôle, de Michel Tremblay (1996). Chaque spectateur a ressenti l’émotion de sa première visite dans une bibliothèque grâce aux mots du grand auteur et dramaturge québécois… 

« Les livres sont notre immortalité » (Chalamov, 2003) 

Les lectures, tour à tour théoriques avec Georges Perec, philosophiques avec Carlos Maria Dominguez, poétiques avec Victor Hugo ou politiques avec Ray Bradbury et Alberto Manguel, nous ont fait découvrir ou redécouvrir l’amour incommensurable de ces écrivains pour les mots et les livres. Mais aussi la réflexion qu’ils ont menée toute leur vie sur la portée que les mots peuvent avoir dans notre vie.  Ce qui aurait pu devenir lassant s’est révélé une brillante mise en exergue de la présence et de l’importance des livres dans la vie de tout lecteur, jusqu’à en devenir parfois fou, comme dans le livre de Carlos Maria Dominguez, La maison en papier. L’auteur y présente les livres comme dangereux pour qui les aime trop… 

« La censure des livres est commune à tous les peuples de tous les temps » (Manguel, 2006) 

Abordant également le thème de la censure, le spectacle nous a présenté ceux qui ne les aiment pas, les livres, avec un extrait d’archives de l’autodafé de livres sur l’Opernplatz de Berlin, en 1933 (plus de 20 000 livres considérés comme « hérétiques » furent brûlés par les nazis), suivi d’un extrait de Fahrenheit 451, de Ray Bradbury, joué par nos comédiens.
Ne jamais oublier que la liberté reste fragile… et ici en particulier celle que nous procurent les livres.
L’Histoire n’a pas ménagé les livres, et Victor Hugo s’en est offusqué dans son poème À qui la faute ?, tiré du recueil consacré à l’année 1870, L’année terrible. En effet, l’incendie du palais du Louvre, le 24 mai 1871, par les communards a détruit une grande partie des livres de la bibliothèque du Louvre.
 « As-tu donc oublié que ton libérateur
C’est le livre ? Le livre est là sur la hauteur ;
Il luit ; parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d'esclave et plus de paria. »

Quelques pauses cabotines (pas toujours nécessaires) nous ont permis de souffler quelques minutes en écoutant l’énumération des bibliothécaires célèbres (Jorge Luis Borges, Georges Bataille, Roland Barthes, Goethe, André Breton, peu de femmes ici…). Le combat littéraire que se sont livré Renaud Lacelle-Bourdon et Marie-Ève Pelletier, sur le mode « je choisis un livre au hasard dans le chariot, je lis les premiers mots et tu devines de quel livre il s’agit », se voulait drôle mais tombait quelque peu à plat. Le cabotinage a des limites…
Car ce qui comptait vraiment, dans ce spectacle, était de « prêter l’oreille aux livres silencieux [pour que] les voix du monde [nous] parviennent » (Jean-Frédéric Messier).
De ce point de vue-là, il s’agissait d’une soirée réussie.

Lætitia Le Clech

Livres évoqués dans ce texte :

Bachelard, G. (1960). La poétique de la rêverie. Paris: PUF.
Borges, J. L. (1951). La bibliothèque de Babel. Dans Fictions. Paris : Gallimard.
Bradbury, R. (1955). Fahrenheit 451. Paris: Denoël.
Chalamov, V. (2003). Mes bibliothèques. Paris: Interférence.
Dominguez, C. M. (2004). La maison en papier. Paris: Seuil.
Hugo, V. (1872). À qui la faute ? In L’année terrible. Consulté à l’adresse http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/victor_hugo/a_qui_la_faute.html
Manguel, A. (2006). La bibliothèque, la nuit. Paris: Actes Sud/Leméac.
Perec, G. (2003). Penser/Classer. Paris: Seuil.
Tremblay, M. (1996). Un ange cornu avec des ailes de tôle. Paris/Montréal: Actes Sud/Leméac.

Vous trouverez d’autres suggestions de livres qui portent sur les bibliothèques à la page de l’événement, sur le site du FIL.