25 juin 2011

BD sur le Proche-Orient

Cité d'argile, Milan Hulsing, Éditions Actes Sud - l'An 2, collection dirigée par Thierry Groensteen, 2011, 2004 pour le texte de Mohammed El Bisatie, sur lequel est basé cet ouvrage

L'histoire, telle que décrite en quatrième de couverture :
« Salem, un fonctionnaire égyptien corrompu, détourne de l'argent public soi-disant destiné à payer les forces de police d'une ville qu'il a imaginée de toutes pièces, Khaldiya. Obligé de rédiger des rapports sans fin pour abuser ses supérieurs, Salem construit dans son propre appartement, avec de l'argile, un modèle réduit de cette ville fictive. Peu à peu, il perd le sens des réalités.
Corruption, répression policière, commerce des femmes : Khaldiya concentre les maux qui caractérisent un régime bureaucratique et autocratique.
Quoique non située dans le temps, cette bande dessinée sur l'Égypte d'Hosni Moubarak apparaît prophétique à la lumière de la révolution survenue début 2011. »

Cette BD est difficile à résumer et à comprendre d'un premier abord. Sa composition est plutôt originale, de par son graphisme tout d'abord, s'apparentant plus à un livre d'art, et c'est là que l'expression « roman graphique » prend tout son sens. Les couleurs dominantes oscillent entre l'ocre et le gris-jaune. Couleurs plutôt rares pour une bande-dessinée, mais qui nous offrent un résultat sublime.
J'ai pensé quelquefois au roman L'immeuble Yacoubian, d'Alaa El Aswany dans lequel la corruption égyptienne est décrite assez précisément. Dans ce roman graphique, celle-ci amène son personnage à la folie. Par le biais de cette folie, et de la poésie qui s'en dégage, l'auteur touche à des sujets politiques et graves, alternant entre la réalité, qu'il connaît bien puisqu'il vit en Égypte depuis cinq ans, et la fiction, créée par l'imagination de Salem. Une bande dessinée puissante et évocatrice.

Une critique intéressante, qui fait le parallèle avec Ibicus, de Rabaté


Comment comprendre Israël en 60 jours (ou  moins), Sarah Glidden, Éditions Steinkis, 2010 (version originale), 2011 (traduction française par Fanny Soubiran)
Sarah, une jeune New-Yorkaise d'origine juive, participe à un Taglit, c'est à dire un voyage tout frais payé en Israël, voyage destiné à tous les jeunes juifs du monde, qui ne connaissent pas encore la Terre Sainte. Au programme, visite exhaustive du pays, de Jérusalem au Plateau du Golan, en passant par un Kibboutz et par la mer de Galilée, tout cela avec un guide attitré.
L'intérêt principal de ce voyage initiatique pour la narratrice, est qu'elle part avec de multiples préjugés sur les Israéliens et sur le conflit israélo-palestinien. Elle n'est pas du tout objective, et en même temps, se pose de nombreuses questions qui lui permettront d'entrer en contact avec les personnes sur place et de discuter véritablement avec elles. Son voyage lui offrira également une réflexion sur son identité juive et son américanité. De plus, son amoureux, resté à New York, est d'origine arabe, ce qui poussera la réflexion aux frontières de son intimité, surtout lorsqu'elle doit faire face à l'incompréhension de certaines personnes qu'elle croise sur sa route.

Les anecdotes vécues et racontées par Sarah Glidden sont parfois cocasses ou drôles, mais reviennent toujours à cette question très complexe du conflit israélo-palestinien. Alors, si cet ouvrage ne nous permet pas de tout comprendre, l'auteure nous apporte au départ une vision saine et assez nouvelle sur le sujet.
Par contre, on reprochera le manque de dialogues avec des Palestiniens, probablement à cause de l'essence même du voyage organisé que Sarah effectue. Si elle craint - au début de son séjour - de participer à une excursion de propagande, elle s'éloignera de ce sentiment, aveuglée par les émotions qu'elle éprouve tout au long de son périple. Elle s'écartera peut-être alors quelque peu de son esprit critique, au fur et à mesure que son retour aux États-Unis approche.
De plus, ce qui était le but ultime de son voyage, une incursion en Cisjordanie pour observer la réalité et parce que (je cite) « il en va de notre responsabilité d'aller voir ce qui se passe de l'autre côté de la ligne verte.» (p.17), n'aura finalement pas lieu, pour d'obscures raisons (le bus dans lequel elle doit embarquer ne se présente pas).  Petite déception donc, face à l'annulation de ce qui aurait pu apporter un contrebalancement judicieux et intéressant à cette histoire.
Malgré tout, Comprendre Israël en 60 jours (ou moins), loin d'atteindre le but proposé (avec humour) par le titre de l'ouvrage, reste plaisant à lire et on saisit bien la bonne foi (peut-être la naïveté ?) de l'auteure qui résume probablement les questionnements de nombreuses personnes, juives ou non juives. Mais à cause de cette naïveté, Sarah Glidden est loin de défoncer des portes ou de provoquer des scandales. En contrepartie, elle nous offre un récit empreint d'émotions vécues, reproduites par un dessin très dense, aux nombreux textes qui enrichissent le récit d'histoire, de géographie et d'anecdotes sur Israël.

Un avis mitigé donc, qui ne doit cependant pas empêcher ceux qui s'intéressent au sujet de lire cette bande-dessinée, en attendant celle de Guy Delisle, prévue en novembre 2011 (Chroniques de Jérusalem, voir la couverture que l'auteur vient tout juste de terminer ici).

[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Laetitia Sheriff, Codification (Corida, 2004)

1 commentaire:

Mo a dit...

Je ne connaissais pas "Cité d'Argile". Je note la référence car ce que vous en dites m'a donné envie de découvrir l'album par moi-même. Merci pour cet article