Photo prise au Salon du livre 2010 |
L'école des films, de David Gilmour, Éditions Leméac, 2010 (le livre se trouve en France sous le titre Le film club, Éditions Leduc.S Littérature)
Dans Jésus de Montréal, une rivalité entre deux critiques de théâtres les amène respectivement à dire des conneries. Je le sais, je l’ai vu au moins quinze fois. La première affirme que Daniel s’en tire avec un premier prix de conservatoire, là où la seconde prétend qu’il est autodidacte. C’est un peu gros, c’est une caricature. Un trait d’humour affectueux d’ailleurs, on reconnaît parmi ces critiques une Francine Grimaldi au bord de la syncope tant elle est ébouriffée par la prestation des acteurs et la profondeur de la mise en scène. Quand on aime, on ne compte pas.
Dans Jésus de Montréal, une rivalité entre deux critiques de théâtres les amène respectivement à dire des conneries. Je le sais, je l’ai vu au moins quinze fois. La première affirme que Daniel s’en tire avec un premier prix de conservatoire, là où la seconde prétend qu’il est autodidacte. C’est un peu gros, c’est une caricature. Un trait d’humour affectueux d’ailleurs, on reconnaît parmi ces critiques une Francine Grimaldi au bord de la syncope tant elle est ébouriffée par la prestation des acteurs et la profondeur de la mise en scène. Quand on aime, on ne compte pas.
Du coup, je me méfie des critiques. J’y peux rien, je l’ai juste vu quinze fois. Jésus de Montréal s’entend. Tandis que cette semaine, j’ai terminé la lecture de L’école des films de David Gilmour. Aucun rapport, sinon que lui en est un, de critique.
Ah, on en apprend de belles à l’école des films. C’est autre chose que sur les bancs de classe livides. David Gilmour peut nous en parler, lui, le père avec son fils, se dépatouillent de leurs emmerdements respectifs, l’adulte et sa carrière fluctuante, le jeune avec ses blondes tantôt intransigeantes, tantôt frivoles et insatisfaites. Merde alors, c’est bien ça la vie, non ?
À l’adolescence, les gars ont pas mal besoin d’une présence paternelle. C’est ce qu’on dit, en tout cas. Lui, il s’appelle Jesse. Il a tout l’avenir devant lui mais par-dessus tout, il s’ennuie à terminer son secondaire. Et David Gilmour s’en rend compte. À une époque où le modèle éducatif est constamment ébranlé, remis en cause par les défaillances d’un système de moins en moins crédible, par des réformes dont on ne sait plus ce qu’elles réforment, l’auteur prend sur lui de retirer son fils du milieu scolaire. Une condition : trois films par semaine et c’est papa qui choisit.
Ensemble, ils vont s’en cogner un paquet de cinoche, mais ce n’est pas ça le plus important. La relation qu’ils vont entretenir à partir de ce moment-là. En commençant par les doutes du père face à sa décision. N’a-t-il pas fait preuve d’une trop grande désinvolture ? Ne risque-t-il pas de tout foutre en l’air dans l’éducation de son p’tit gars ? De lui ouvrir toute grande la porte de la dégringolade ? Son fils peut-il s’épanouir en dehors du système ? Parce que du coup, j’en viens à me demander à quoi qu’il sert ce système. Merde alors !
On ne nous présente pas assez souvent un adolescent dans son milieu naturel. D’un point de vue éthologique, l’animal résiste à plusieurs gueules de bois, à quelques peines de cœur carabinées, à de nombreuses discussions avec son paternel de père qui, bon an mal an, s’escrime à partager avec lui les rudiments de la vie amoureuse. On ne nous présente guère plus de pères aux prises avec eux-mêmes, partagés entre leurs propres expériences dont on rigole avec le temps, et les affres de la communication intergénérationnelle.
Est-ce parce que j’en suis rendu là ? Oh, je n’ai pas la disponibilité de David Gilmour mais veut, veut pas, la question du décrochage scolaire commence à se poser à la maison, pas frontalement mais pareil. Celle de comment partager son expérience ? Comment lui éviter les conneries qu’on n’a jamais su s’éviter soi-même ? Justement, David Gilmour n’a pas cette prétention. Il le laisse se vautrer si c’est par là que Jesse doit passer, il le laisse mais le regardant tomber, il peut lui tendre la main in extremis et amortir sa chute. Alors, oui, c’est touchant et oui, ça fait réfléchir.
L’autre personnage du récit, bien entendu, c’est le cinéma lui-même. Or, il se trouve que le premier film dont il parle est français, Les 400 coups, mais c’est pratiquement le seul. Difficile d’en vouloir à David Gilmour, cet anglophone a baigné sa vie durant dans un jus à la sauce anglo-amerloque. C’est pas faute d’avoir enseigné le français dans une vie antérieure. Rien à faire, la preuve est faite sur ce point, il est fichtrement difficile de s’extraire de ses canons culturels. Pourtant. Le cinéma indien. Le cinéma soviétique. Le cinéma polonais. Le cinéma espagnol ou suédois. Le cinéma underground. Merde, le cinéma québécois !
Autre aspect de la culture anglo-américaine, c’est le regard du spectateur qui lui-même vient de l’étude de la littérature anglo-américaine. C’est l’art de s’attacher aux détails comme révélant le tout. Comme légitimant le tout. Eh bien, je m’y perds, là-dedans. Le geste minuscule de James Dean dans Giant m’émouvrait peut-être si je me rappelais l’avoir remarqué. Ne pas le remarquer en soi ne m’empêche pas de prendre la mesure d’un film non plus que du jeu des acteurs. On dit souvent wow face au jeu de certains acteurs, mais l’image au cinéma est si grosse que les détails nous échappent parfois et que certains aspects de l’interprétation peuvent passer pour plus joliets que nature. Ça vient peut-être de l’Actors Studio, comme de s’écrier à la gloire des quelques kilos qu’avait pris De Niro pour interpréter Raging Bull. De savoir tout ça n’apporte vraiment rien à l’histoire que nous racontent les artistes, sinon que c’est une manière supplémentaire d’agrandir le cadre, d’en mettre un peu plus sur celui qui existe déjà et qu’on appelle l’écran. Et qui devrait s’auto suffire, non ? Est-ce pour cette raison que David n’emmène jamais Jesse au cinéma ? Si c’est le cas, il n’en parle pas.
Il faut dire que l’approche est celle d’un critique, soumis, par la force des choix éditoriaux sans doute, à une certaine sélection. La part belles aux films cultes, ainsi soient-ils. Et encore, pas les plus osés. Pas les Eyes Wide Shut, pas les Dancer in the Dark, autrement dit, pas des films trop… Ceux qui justement donnent l’heure juste d’une société qui par ailleurs est sérieusement malmenée.
Évidemment, il y a des films grandioses, des films qui nous ébranlent en profondeur, d’autres qui nous exposent un point de vue inédit, nous éclairant du même coup sur le truc qui nous turlupine, justement. David s’en sert à dessein, lorsque le silence s’installe entre son fils et lui, lorsque les mots d’un père pourraient choquer ou blesser, le cinéma prend le relais et pif paf pouf, la liaison père-fils est rétablie parce qu’in fine, le cinéma a toujours raison. Ici encore, le dialogue est important. Le dialogue est capital.
Voilà d’ailleurs pourquoi ces quelques lignes, ce billet d’humeur, oh oh oh, en guise de remerciement à Laetitia – entre autres – qui m’en a procuré l’occasion et que je salue ici. So long, partner, et longue vie au roman !
[Stéphane Petit]
2 commentaires:
Merci camarade pour cette chronique inspirée!
Ce livre sera de la sélection du Combat des livres de Radio-Canada. Il sera défendu par l'avocate Anne-France Goldwater. À écouter du 14 au 18 mars prochains.
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