18 novembre 2010

La nuit de l'illusionniste

La Nuit de l'illusionniste, Daniel Kehlman, traduit de l'allemand (Beerholms Vorstellung) par Juliette Aubert, Éditions Actes Sud, 2010 (l'édition originale date de 1997, mais l'auteur l'a entièrement remaniée en 2007)

Dans ce premier roman du jeune auteur prodige germano-autrichien Daniel Kehlman (né en 1975 et déjà 9 romans ou essais, dont 4 traduits en français), nous suivons le récit d'Arthur Beerholm, jeune homme qui va se consacrer à la magie.
D'enfant adopté à jeune orphelin s'apprêtant à devenir prêtre, le destin peu commun d'Arthur nous est raconté par lui-même, dans ce qui semble une confession rédigée dans l'urgence.
Nous apprendrons ainsi comment Arthur est devenu magicien, de ses débuts avec un jeu de cartes jusqu'à ses cours pris avec son maître Jan Van Rode, de son découragement jusqu'à la parfaite maîtrise et l'assurance totale.
Arthur est un tel maître de l'illusionnisme (ou devrais-je dire de l'illusion ?) que son récit lui-même semble être un vrai tour de prestidigitation, transgressant la barrière entre la fiction et la réalité à plusieurs reprises.
«La certitude n'existe pas. Jamais. Et encore moins pour les magiciens.»
Lui-même atteint un tel sommet dans son art qu'il en arrive à interagir sur la réalité, à moins que ce ne soit qu'un rêve, ou la folie qui l'a atteint. Car comment rester sain quand on peut déformer la réalité de cette façon ? Quand on a une vision de la vie totalement métaphysique ? Comment ne pas être pris pour un fou quand on s'adresse à Vivianne, une fée créée par Merlin l'Enchanteur ? À moins que Vivianne n'existe réellement ? Toutes ces questions nous traversent l'esprit tout comme elles traversent l'esprit mathématique d'Arthur. Mathématiques auxquelles Arthur se réfère souvent, leur conférant un rôle de première importance, presque sacré...
«Crois moi : il y a peu de raisons plus valables de faire des cauchemars que de découvrir, caché au cœur des mathématiques, le germe de la folie. Ou celui de la révélation.»
Si j'avais été déçue par Les arpenteurs du monde, au sujet ambitieux et pourtant terriblement attirant pour moi, celui-ci m'a beaucoup plu. Sa brièveté et son sujet original n'y sont pas pour rien. Le style, on le sent, est très travaillé (pas étonnant quand on apprend que l'auteur a entièrement revu son livre 10 ans après l'avoir écrit), et cela me fait un choc de lire que je n'avais justement pas aimé le style des Arpenteurs du monde (en réalité, je ne me souvenais plus de ne pas l'avoir aimé!).
Cependant, la progression du récit d'Arthur dans la Nuit de l'illusionniste est assez chaotique, l'idéal est certainement de lire le livre d'une traite pour ne pas se perdre trop. Cela accentue encore une fois l'urgence de ce récit, le besoin de raconter ou d'expliquer quelque chose de difficile à saisir, comme une illusion finalement...


En écrivant sur ce livre, j'écoute Les Vulgaires Machins, Requiem pour les sourds (India Records, 2010)

1 commentaire:

m a dit...

Encore une excellente critique Laetitia, je ne me lasse pas de te lire! Il est noté dans mes livres à lire en tous cas :)