Le chardonneret, de Donna Tartt, Éditions Plon, Collection
Feux Croisés, traduit de l'anglais (The Goldfinch) par Edith Soonckindt, 2013,
787 pages
Prix Pulitzer 2013, catégorie fiction
Fil rouge de ce roman-fleuve, Le
chardonneret, petit tableau du peintre flamand Carel Fabritius, élève de
Rembrandt, habite cette fiction digne des plus grands romans initiatiques. Peuplée de
personnages forts, Theodore Decker et Boris en tête, il nous guide en quelque sorte
dans la quête de Theo, que nous suivons durant 14 années, de New York à
Amsterdam en passant par Las Vegas.
Nous avons tous une "année charnière" dans
notre vie, une année où nous grandissons subitement, où nous vivons un
événement plus grand que nature, qui nous fait changer, nous fait avancer
différemment. Theodore, ou Theo, vit ce moment à l’âge de 13 ans, lorsqu’il perd sa mère
subitement dans un attentat alors qu'ils visitent un musée à New York. Dans cette exposition sur les maîtres flamands, Le chardonneret, de Carel Fabritius, « le tableau le plus extraordinaire de toute l'exposition », selon la mère de Theo. « Fabritius y dévoile quelque chose qu'il a découvert seul et qu'aucun peintre au monde ne savait avant lui – pas même Rembrandt » (p.35). Pris d'un sentiment d'urgence, encouragé par un vieil homme blessé par l'attentat, il subtilise le tableau. Celui-ci l'accompagnera alors, tantôt fardeau et tantôt objet rassurant et nostalgique. Suite au drame, Theo est balloté entre la riche famille Barbour et son père qui réapparaît tout à coup,
peut-être appâté par l’héritage de son fils, et qui l’emmène à Las Vegas.
Malheureux dans cet univers factice, temporaire et superficiel (les «vrais»
habitants de Las Vegas – dans ce livre – vivent dans des résidences en plein
désert, loin de tout et souvent pour des périodes déterminées par des contrats
de travail instables), délaissé, mal aimé, sombrant dans alcool et drogues très
jeune avec son nouvel ami Boris, Theo s’enfuira de nouveau à New York pour
retrouver Hobie, auquel il est lié par le drame qu’il a vécu à 13 ans. Fragile psychologiquement, en possession de son trésor qui le raccroche à sa mère, à cet instant charnière, à l'amour, le seul, le vrai, et à la vie, il deviendra au fil des années l'associé d'Hobie dans son magasin d'antiquités. Et donc en lien permanent avec l'art, qui le sauve en quelque sorte du drame qui le hante toujours.
La première partie new-yorkaise, déchirante,
décrit la souffrance, la perte, le deuil d’un jeune garçon. On se rapproche alors de Dickens et son Oliver Twist et
aussi de L’attrape-cœurs de Salinger pour les déambulations new-yorkaises d'Holden Caulfield, la solitude, la déprime
et le malheur qui semblent interminables.
La partie située à Las Vegas, dans la même veine, offre peu de répit. Nous voyons Theo sombrer dans une sorte de déchéance, sur les pas de son père alcoolique et accompagné par son nouvel ami d’origine russe Boris, qui, s’il n’en est pas moins un véritable ami (et presque le seul vrai ami que Theo aura) demeure une sombre influence pour lui. De plus, la bouillonnante "grosse pomme" s'oppose à l'ennuyante Las Vegas, cela n'aide pas. Choc des cultures : l'Amérique est vaste.
À
la page 563 de la version française, nous assistons à un retournement de situation qui nous laisse sur le carreau. Cela paraît un peu tiré par les cheveux, mais nous n’en sommes pas à une invraisemblance près dans ces quelques 786 pages, qui s'étirent quelque peu sur la fin et qui auraient sûrement pu être resserrées un peu. La finale "amsterdamienne", notamment, affûte la patience du lecteur, ou l'exaspère, au choix.
J’avoue que cette partie m’a un peu perdue pendant quelques chapitres. Le changement de style, passant tout à coup, sous la gouverne de Boris, du roman initiatique au polar est cependant négocié avec brio et nous tient – finalement – haletants jusqu’au dénouement (mais alors, on a hâte d'y arriver!).
La traduction de ce livre, souvent louangée,
m’a une fois de plus laissée perplexe, non pas à cause des quelques
coquilles qui me semblent inévitables et pardonnables, mais à cause de l’aspect
franco-français insupportable pour un roman américain. Theo ne va pas à l’école
secondaire mais au «lycée» et il s’exprime parfois d’une drôle
de manière pour un petit américain. Pour éviter ces frustrations, je vous conseille
donc la lecture de cet excellent roman, véritable page-turner (tiens, pour
employer un vrai mot anglais difficile à traduire), en anglais, si vous en êtes
capable. Sinon, ce n’est quand même pas si mal, et de toute façon, je ne suis
pas assez spécialiste et j’ai bien trop
de respect pour les traducteurs pour en juger ou critiquer.
Ce qui est sûr, c’est que l'on n'envisage plus du même œil les tableaux
des expositions d’art que nous souhaitons visiter dans le futur et que ce joli petit
chardonneret, que l’on peut admirer à La Haye (Pays-Bas) au musée Mauritshuis a inspiré un beau et ambitieux
troisième roman à Donna Tartt, que l’on peut découvrir également en lisant ses
deux premiers livres Le maître des illusions (The Secret History) et Le petit copain (The Little Friend).
On sent cette auteure imprégnée par son sujet et peut-être s'est-elle laissée elle aussi séduire par le tableau de Fabritius.
Car « si un tableau se fraie vraiment un chemin jusqu'à ton cœur et change ta façon de voir, de penser et de ressentir, tu ne te dis pas "Oh, j'adore cette œuvre parce qu'elle est universelle", "j'adore cette œuvre parce qu'elle parle à toute l'humanité". Ce n'est pas la raison qui fait aimer une œuvre d'art. C'est plutôt un chuchotement secret provenant d'une ruelle. Psst, toi. Hé gamin. Oui toi. [...] Un choc cardiaque individuel. Ton rêve, celui de Welty, celui de Vermeer. Tu vois un tableau, j'en vois un autre, le livre d'art le place encore à un autre niveau, la dame qui achète la carte à la boutique du musée voit encore tout à fait autre chose, et je ne te parle pas des gens séparés de nous par le temps, quatre cents ans avant nous, quatre cents après notre disparition, cela ne frappera jamais quelqu'un de la même manière, pour la grande majorité des gens, cela ne les frappera pas en profondeur du tout, mais un vraiment grand tableau est assez fluide pour se frayer un chemin dans l'esprit et le cœur sous toutes sortes d'angles différents, selon des modes uniques et particuliers. À toi, à toi. J'ai été peint pour toi. » (p. 773)
On sent cette auteure imprégnée par son sujet et peut-être s'est-elle laissée elle aussi séduire par le tableau de Fabritius.
Car « si un tableau se fraie vraiment un chemin jusqu'à ton cœur et change ta façon de voir, de penser et de ressentir, tu ne te dis pas "Oh, j'adore cette œuvre parce qu'elle est universelle", "j'adore cette œuvre parce qu'elle parle à toute l'humanité". Ce n'est pas la raison qui fait aimer une œuvre d'art. C'est plutôt un chuchotement secret provenant d'une ruelle. Psst, toi. Hé gamin. Oui toi. [...] Un choc cardiaque individuel. Ton rêve, celui de Welty, celui de Vermeer. Tu vois un tableau, j'en vois un autre, le livre d'art le place encore à un autre niveau, la dame qui achète la carte à la boutique du musée voit encore tout à fait autre chose, et je ne te parle pas des gens séparés de nous par le temps, quatre cents ans avant nous, quatre cents après notre disparition, cela ne frappera jamais quelqu'un de la même manière, pour la grande majorité des gens, cela ne les frappera pas en profondeur du tout, mais un vraiment grand tableau est assez fluide pour se frayer un chemin dans l'esprit et le cœur sous toutes sortes d'angles différents, selon des modes uniques et particuliers. À toi, à toi. J'ai été peint pour toi. » (p. 773)
Lætitia Le Clech
5 commentaires:
J'aime beaucoup ce que tu as écrit sur ce livre : entre le fil rouge et le chardonneret il y a cet événement traumatisant qui rend notre vie plus grande d'un seul coup... la vie... La peinture nous emmène parfois dans des recoins insoupçonnés. Mais 800 pages me découragent avant même de commencer. Qui sait peut-être un jour ?
Merci :)
Le chardonneret est dans ma liste de livres à lire depuis un bon moment. Ton commentaire me rappelle qu'il faudrait que je m'y mette.
Merci Sylvie pour ton beau commentaire. C'est exactement ça que le livre veut montrer.
C'est vrai, 800 pages, c'est beaucoup. Mais les 600 premières se lisent toutes seules ! ;)
Le livre parfait pour quand on est cloué au lit... je ne te le souhaite pas tout de même !
Merci Philippe pour ton commentaire. Je te souhaite de trouver le temps de le lire... Il y a tant de choses à lire !
J'ai été très deçu par la fin.
Mais je suis souvent déçu par les fins de romans (américains). ça commence toujours en trombe et ça tombe à plat (je pense à Freedom par exemple).
Par contre j'aime bien te lire. Toujours.
Whitetigle
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