Jean-Euphèle Milcé, né le 14 janvier 1969 en Haïti, a publié une dizaine de livres dont deux romans en français : L'Alphabet des nuits (Prix George-Nicole de la ville de Nyon, en Suisse, en 2004) et Un archipel dans mon bain, aux éditions Bernard Campiche Éditeur, ainsi qu'un roman en créole aux Presses Nationales d'Haïti. L'univers de Jean-Euphèle Milcé est construit autour des drames de l'exil et des incertitudes de la traversée.
Dans Les jardins naissent, on retrouve ce questionnement à travers le personnage de Marianne, jeune femme un peu perdue qui a décidé de s'engager dans un organisme de coopération internationale (le CICR - Comité International de la Croix Rouge) qui œuvre en Haïti. Là-bas, peu de temps avant la grande catastrophe du 12 janvier 2010, elle rencontre Daniel, en prison après avoir été arrêté au Canada, où il vivait illégalement. Le tremblement de terre lui rendra sa liberté et fera de lui un fugitif. Marianne décide de le suivre dans l'un de ses projets, consistant en la réappropriation de terrains vierges, où personne ne reconstruit encore, afin d'y planter des graines et créer des jardins de fruits, légumes, fleurs.
« - Ils veulent faire des jardins ? C'est super ! Depuis que je suis en poste ici, c'est la première fois que j'ai droit à une aussi bonne nouvelle !- Tu ne comprends rien. C'est beau, ce qui n'empêche pas qu'on soit en plein délire. » (p.31)
En s'engageant à ses côtés, elle enfreint toutes les règles de son travail. Par ailleurs, son organisme humanitaire croit ou veut faire croire à un enlèvement, afin de se désolidariser de l'attitude de son employée.
Il faut dire que Marianne n'est pas motivée par le travail qu'elle doit effectuer sur place, et l'attitude de sa cheffe la confronte souvent à ce manque de discipline :
« Je porte mal mon engagement. Depuis cette thèse en sciences po que j'ai abandonnée parce que j'étais en manque de références réelles et que j'étais incapable de prouver ma compréhension du monde. J'ai toujours été témoin et actrice de mes petites luttes pour le principe. Et pour l'honneur. » (p. 14)
Par ce texte poétique, Jean Euphèle Milcé nous parle de son peuple haïtien, le mieux placé pour savoir de quoi il a besoin après la terrible catastrophe du 12 janvier 2010.
Un roman assez noir, car ancré dans une réalité dont nous sommes les témoins impuissants (et comment juger, finalement, ceux et celles qui s'engagent pour aider, probablement avec sincérité ?). L'ouvrage se termine sur une légère note optimiste et lyrique parce que, malgré tout, la nature, elle, fait son travail, et qu'il y a « des jardins qui naissent », présage d'une vie meilleure.
Une entrevue très intéressante avec l'auteur sur RCI
[Lætitia Le Clech]
« Dans ce pays, il n'y a que la folie et le courage qui vaillent. Tout le reste est du faire semblant. Perte de temps. [...] Je n'ai pas besoin d'experts étrangers et déportés pour faire un jardin. La terre est disponible, mes hommes de la rue sont prêts et j'ai des semences à revendre : du pois, du maïs, du sorgho ainsi que plein d'autres ressources insoupçonnées. » (p.66)Il dresse également un portrait peu reluisant de la coopération internationale, dont les missions sont parfois dirigées par des personnes coupées de la réalité des pays dans lesquels elles sont sensés opérer. Cette critique de la coopération internationale n'est pas sans faire écho dans ma lecture actuelle, Versicolor, de Marc Forget, qui fera l'objet de ma prochaine critique sur ce blogue.
« RésilienceLes jardins naissent est un court récit qui pose de bonnes questions sur la reconstruction d'un pays ruiné, où la violence demeure malheureusement quotidienne (comme cette Philomène, qui reçoit une balle dans la jambe, ou la rudesse de la cheffe de Marianne).
La dernière trouvaille pour frotter le dos des trop pauvres. Une belle manière de valoriser la survie sous des bâches mal tendues. Les missionnaires évangélistes ont inventé la résignation et les humanitaires ne jurent que par la résilience du peuple haïtien. Foutaises ! Le vent souffle trop fort, les Haïtiens meurent comme des mouches. » (p.79)
Un roman assez noir, car ancré dans une réalité dont nous sommes les témoins impuissants (et comment juger, finalement, ceux et celles qui s'engagent pour aider, probablement avec sincérité ?). L'ouvrage se termine sur une légère note optimiste et lyrique parce que, malgré tout, la nature, elle, fait son travail, et qu'il y a « des jardins qui naissent », présage d'une vie meilleure.
Une entrevue très intéressante avec l'auteur sur RCI
L'auteur sera présent au Salon international du livre de Québec du 13 au 17 avril.
[Lætitia Le Clech]
1 commentaire:
Le ton a l'air net et sans concession, ce qui rend ce récit très intéressant à première vue.
Merci pour cette mise en lumière,
s.h.
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