09 mars 2011

Purge

Purge, de Sofi Oksanen, Éditions Stock, Cosmopolite, 2010 pour la traduction française (traduit du finnois par Sébastien Cagnoli)

Zara, jeune femme de Vladivostok émigrée à Berlin avec l'espoir d'une vie meilleure, se retrouve exploitée par un proxénète mafieux, sadique et dangereux. À l'occasion d'un voyage en Estonie, elle s'enfuit et échoue chez Aliide Truu, près de Koluvere.
L'Estonie, libérée depuis peu du joug russe (1991), après avoir été occupée par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale, vit des changements importants et essaie surtout de se remettre de plus de 50 ans de domination communiste violente et répressive.
Zara n'est pas arrivée chez cette vieille femme par hasard et le lien qui les unit sera dévoilé au lecteur au fur et à mesure, au moyen de retours dans le passé et de retranscriptions de lettres d'un certain Hans et de rapports secrets.

Si la lecture de la première partie m'a semblé laborieuse, l'évolution du drame et la compréhension historique du pays ne laissent pas indifférent par la suite. L'écriture s'attache aux petits détails insignifiants avec une telle précision que l'on ressent exactement ce qui est écrit, les odeurs, les sons, mais aussi les émotions beaucoup plus subtiles, peur, culpabilité, effroi. Et ce, malgré un style dur et froid, aux silences pesants et aux non-dits omniprésents, qui empêchent de tout de suite rentrer dans l'histoire.
L'auteure explique : «Ce qui m'attire avant tout, ce sont les destins bâillonnés, les personnages muets, les histoires tues. S'approcher du non-dit et tenter de l'articuler, n'est-ce pas l'essence même de l'écriture ?»
(Le Monde - 09 septembre 2010)
L'horreur est palpable à tous les chapitres de ce roman, souvent courts et aux titres curieusement anodins et légers (Les tribulations d'Aliide Truu, L'armoire contient la valise de la grand-mère, laquelle contient l'anorak du grand-père...), de l'expérience de la jeune Zara comme "prostituée de l'Est", exploitée et méprisée, jusqu'à l'humiliation d'Aliide lors d'interrogatoires violents, en passant par le sort d'Ingel, la sœur d'Aliide, et de sa fille Linda, ou  bien encore les mensonges malsains dans lesquels s'enfonce Aliide. Tous ces drames - vécus à différentes époques - sont reliés par un fil ténu, celui de l'Histoire avec un grand h.

Ce livre frôle et explore de nombreux sujets amenant une réflexion profonde, notamment sur l'exploitation des humains,  et particulièrement des femmes, que ce soit pour une idéologie, un régime, ou pour l'argent, le sexe ou le pouvoir.
Pour purger ces abcès qui purulent en secret comme des rivières souterraines, Sofi Oksanen a lu tout ce qu'elle a pu trouver sur le viol en temps de conflit. «Les victimes présentent toutes le même genre de traumatismes, souligne-t-elle. Elles se lavent sans arrêt, le corps, les mains, et évitent de regarder les autres dans les yeux... C'est pour ça qu'au début j'avais conçu Purge comme une pièce de théâtre. Le théâtre vous force à regarder en face ce qui est fait pour rester caché.»
(Le Monde - 09 septembre 2010)
Les seules lumières que l'on entrevoit dans cet ouvrage sont l'amour absolu d'Ingel et Hans, personnages incarnant la pureté (idéologique et amoureuse) et la sincérité, et la rédemption de Zara, qui personnifie alors l'avenir d'une Estonie nouvelle et libérée.

Sofi Oksanen est Finlandaise et Estonienne. Purge (Puhdistus) est son troisième roman (à seulement 34 ans!) et elle a reçu de nombreuses distinctions, les plus prestigieuses étant celles reçues dans son pays (équivalentes au Goncourt français), ainsi que le prix Femina étranger en France.
L'Estonie n'est qu'à deux heures de bateau d'Helsinki, en Finlande. Aujourd'hui, c'est une destination très prisée par les Finlandais, particulièrement depuis le 1er janvier 2011, date à laquelle le pays a intégré la zone euro.
Des dizaines de drapeaux estoniens flottent fièrement sur la place principale à Tallinn et plus personne n'est exécuté pour en posséder un chez soi. Les choses on changé pour le mieux et Purge permettra de ne jamais oublier jusqu'où la guerre et la répression peuvent nous amener, dans les plus profonds retranchements de l'âme humaine.
La purge prend ici le sens de purification, de catharsis, et se passe à plusieurs niveaux : se purger de la domination soviétique, ou de l'occupation allemande, se laver de la culpabilité, se purger de la peur pour arriver à la rédemption. Elle fait aussi bien sûr référence aux purges staliniennes.

Excellent article de Libération, par Frédéric Roussel


[Lætitia Le Clech]

Humeur musicale : Jimmy Hunt, Jimmy Hunt (Grosse Boîte, 2010)

2 commentaires:

Rodolphe a dit...

Cool ta critique ! J'ai terminé de lire Purge hier soir, et j'ai pensé que tu l'avais sûrement chroniqué sur ton blog. Effectivement, je l'ai trouvée tout de suite via Google (elle est bien référencée;)

Je suis tout à fait d'accord avec toi concernant le début, les 70 premières pages sont vraiment ennuyeuses, ça va très lentement et il ne se passe pas grand chose... Mais heureusement ça s'arrange ensuite. L'histoire de Zara m'a souvent fait penser à celle de l'héroïne de Lilja 4-ever de Lukas Moodysson. C'est terrible ce que certains se permettent de faire aux femmes, et ça ne va pas s'arranger si on interdit complètement la prostitution, qui se développera alors clandestinement, sans aucun contrôle possible et avec le genre d'exploitation décrite dans ces deux œuvres.

Tu sais que les Finlandais ont fait un film de Purge, sorti cet été ? Je vais essayer d'aller le voir, si il est encore à l'affiche. Et tu sais peut-être aussi que Sofi Oksanen a sorti son 4ème roman cet automne (Kun kyyhkyset katosivat, si on traduit littéralement "Quand les colombes ont disparu"). Il paraît qu'il est mieux que Purge. Et sinon, ça t'amusera de savoir que je croise Sofi Oksanen assez souvent en ville, à Stockmann ou à Kamppi. C'est le phénomène "capitale", les stars marchent sur les mêmes trottoirs que le peuple :p

dasola a dit...

Bonjour, j'avoue que la partie "contemporaine" avec Zara m'a passablement ennuyée. En revanche dès que S. Oksanen aborde l'histoire de l'Estonie et tout le drame de la jalousie avec ces deux femmes qui aimèrent le même homme m'a beaucoup plu et touchée. Bonne journée.