Depuis le début de sa carrière en 1965, la présence incendiaire de Diane Dufresne n’a cessé d’exercer une réelle fascination sur tous les publics. Parmi les événements marquants de sa vie d’interprète, évoquons la sortie de son premier album Tiens-toé ben, j’arrive en 1972, ses prestations à la Place des Arts (1975), au Forum de Montréal (1980–1982) et au Stade Olympique en 1984 où Magie rose avait attiré plus de 57 000 personnes. D’importants spectacles en France et au Japon lui permettent aussi de trouver de nombreux adeptes. Elle a été de tous les événements majeurs du Québec, chantant avec Les Girls de Clémence DesRochers, pour les Fêtes de la Saint-Jean, lors de plusieurs festivals et dans les premières versions de Starmania. Le parolier Luc Plamondon et le compositeur François Cousineau ont été d’importants complices dans la trentaine de titres que compte sa discographie. Elle détient aussi plus de 37 nominations et prix à l’ADISQ. Artiste entière, elle ose dans tous les styles de musique, présentant à deux reprises des concerts symphoniques dans lesquels même Mahler a sa place. Au cours des années 90, celle que l’on nomme la Diva ou avec respect La Dufresne entreprend une démarche d’auteur qui culmine en une série de concerts au Musée d’art contemporain. Plus récemment, elle entreprenait avec succès sa plus longue tournée en carrière avec son spectacle Liberté conditionnelle. Honorée par la France, le Canada et le Québec pour sa «grande contribution» à l’essor de la musique francophone à l’échelle mondiale, Diane Dufresne a fait entendre le rock québécois de Québec à Tokyo, en passant par Paris. À l’instar d’Édith Piaf et Juliette Gréco, elle chante ce qu’elle ressent et communique l’essence même de la vie.
(Source : Atma Classique)
Le 21 avril dernier, Diane Dufresne se produisait en supplémentaire au Monument-National dans son spectacle Plurielle, qui porte bien son nom puisqu’il est constitué de quatre tableaux très distincts reprenant des thématiques chères à Diane Dufresne, avec un parfum d’au revoir flottant dans l’air… Le premier acte très glamour rappelle Hollywood, pour les vieux, comme moi, qui se souviennent du premier des deux spectacles présentés au Forum en 1982: la chanteuse apparaît vêtue d’une robe de star (décolleté froufroutant et jambes dévoilées), les initiales DD scintillant sur la ceinture. De petites lumières bleues balisent la scène, et l’on se dit que la Dufresne se la joue diva une fois de plus. Mais le public se fait prendre à contre-pied quand elle tire un tissu blanc de sa robe, et qu’y sont projetées des images des méga-spectacles passés tandis qu’elle livre quelques mesures des Adieux d’un sex-symbol de Starmania, et qu’elle entonne Partir pour la gloire, chanson de 1982 de Luc Plamondon qui noue la gorge 24 ans plus tard. Diane Dufresne est-elle vraiment prête à «raccrocher ses patins» et se retirer auprès de son ange gardien? Pas tout de suite! a-t-on envie de lui répondre.
Heureusement, le spectacle se poursuit avec un tableau Kurt Weill, qui résume très joliment, et en formation cabaret berlinois, le spectacle symphonique orchestré par Yannick Nézet-Séguin deux ans plus tôt. La chanteuse se fait gouailleuse et coquine, évoluant dans l’univers portuaire et paumé de Bertolt Brecht avec aisance et sensibilité. Puis l’humaniste s’inquiète du sort de la planète dans une série de chansons «écologiques», se glissant derrière une robe-écran qui lui donne l’allure d’être enceinte de la Terre, une Terre qui n’en peut plus… Des projections apocalyptiques émaillent le tout, de même pour les chansons sur la guerre en Irak et sur le sida. Et, pour terminer la soirée, on reprend des éléments de la folie, récurrents dans les spectacles de Diane Dufresne, auxquels on a ajouté quelques interprétations, dont une version étonnante de la magnifique chanson Dis tout sans rien dire de Daniel Bélanger et un extrait de l’opéra romantique Nelligan, de Michel Tremblay et André Gagnon. La folie dans la création, l’art qui apaise les âmes tourmentées, qui offre un asile aux hypersensibles. Un tableau d’une grande poésie.
Pour un fan qui suit Diane Dufresne assidûment depuis plusieurs années (c’est mon cas), ce spectacle aura des airs de patchwork et parfois de réchauffé. La chaise dans le quatrième tableau, les extraits des spectacles passés dans le premier acte, on avait déjà vu ça dans les spectacles précédents. Mais ne faisons pas trop la fine bouche… Plurielle offre de très beaux moments, et un bel échantillonnage du fabuleux talent de la chanteuse. Diane Dufresne incarne les personnages de Kurt Weill magnifiquement, on les dirait taillés sur mesure pour elle. Son interprétation de Surabaya Johnny était particulièrement émouvante. Et aucun artiste n’ose aller si loin dans la folie, elle se promène au bord du précipice dans la quatrième partie avec une impudeur qui force l’admiration. Le tableau «engagé» est sans doute le plus personnel du spectacle, les préoccupations écologiques et pacifiques de la chanteuse étant aussi l’inspiration principale de la parolière, qui nous propose ici des inédits: Mille et une nuits, sur les bombardements de Bagdad, Mauvais quart d’heure, autrefois créée sur la musique de Kashmir de Led Zeppelin, ici chantée sur une musique originale de Sylvain Michel, et L’été n’aura qu’un jour, une chanson sur la disparition de certaines espèces animales. Dans ce bloc, la sincérité ne fait aucun doute, mais le ton est parfois trop appuyé, soit dans le propos, soit dans l’illustration visuelle.
Je finirai sur une demande spéciale, que je me permettrai puisque je suis une fan finie : la première partie serait parfaite si on avait droit aux Adieux d’un sex-symbol dans son intégralité ! Quelle frustration que de se faire couper l’émotion ainsi…
C. H.